Simon de Coiffier de Moret, Les enfans des Vosges 1808



LES ENFANS DES VOSGES.



Depuis deux ans j’avais été obligé de quitter ma patrie ; mais ne pouvant éloigner de mon cœur une espérance qui lui était trop chère, je restais le plus près de la frontière qu’il m’était possible, comme si j’avais craint en m’éloignant de m’exposer à éloigner mon retour. Une petite maison sur une colline aux environs d’Offenbourg, me servait de retraite, de là je contemplais chaque jour la belle plaine de l’Alsace, et je n’en passais pas un seul sans voir cette France qui pouvait me proscrire, mais non pas m’empêcher de l’aimer.

Enfin Robespierre succomba ; déjà deux mois s’étaient écoulés depuis sa chûte ; l’humanité commençait à soulever le fardeau dont il l’avait trop long-tems accablée ; on ne pouvait pas encore compter sur le bonheur ; mais enfin la vie n’était plus menacée, et vivre en France n’est-ce pas déjà beaucoup ? Je ne m’étais occupé que de ce qui pouvait hâter la fin de mon exil ; cependant Robespierre m’avait proscrit, et ne pouvant encore sans dangers revoir les lieux où je suis né, je voulus au moins respirer l’air d’une des provinces de ce pays dont le nom seul me faisait tressaillir ; et après avoir pris les précautions qu’exigeait la prudence, je résolus d’aller habiter l’Alsace.

Je partis d’Offenbourg, le 30 septembre 1794. Je passai le Rhin à Altenheim ; je trouvai sur la rive opposée un habitant de Colmar, qui étant prévenu par un de nos amis communs, se chargea de me conduire dans cette ville, de me procurer les moyens d’y rester, et même ceux de parcourir tout le département.

Ce n’est pas mon histoire que je veux raconter, aussi je ne parlerai pas de mon séjour dans la seconde ville de l’Alsace ; mais je ne saurais m’empêcher de consacrer ici le bon accueil que je reçus de ses habitans, dont plusieurs n’ignoraient pas ma situation et par conséquent les dangers auxquels pouvait les exposer la bienveillance qu’ils me témoignaient.

Quand on sort de Colmar par la route de Strasbourg, on aperçoit sur la gauche de vastes ruines qui couronnent, une des plus hautes montagnes de toute cette partie des Vosges. J’avais déjà fait plusieurs promenades de ce côté-là ; et bientôt la curiosité me décida à visiter ces antiques restes du château de Koenigsbourg ; c’est ainsi que s’appellent les ruines dont je viens de parler.

J’étais à peine à moitié de la montagne, lorsque je rencontrai un homme déjà avancé en âge, qui s’appuyait sur l’épaule d’un jeune garçon de douze à treize ans, et tenait par la main une jeune fille de dix à onze. L’homme âgé était