Léon Pamphile LeMay, Fêtes et corvées. 1898




FÊTES ET CORVÉES

Dans un moment d’enthousiasme comme en ont quelquefois les poètes, j’ai vu se dérouler devant mes yeux la file joyeuse et bruyante de nos fêtes, mais de nos fêtes de jadis surtout, et j’ai cru que le passé n’était pas tout-à-fait disparu, et que les folles mascarades du carnaval, le pétillement des feux de la Saint-Joseph et de la Saint-Jean, les chansons et les danses autour de la grosse gerbe, et les éclats de rire de la braierie, n’étaient pas les échos d’un temps qui n’est plus, mais les préludes toujours agréables de fêtes qui recommencent toujours. Et j’ai voulu parler de ces fêtes comme si elles étaient encore dans toute leur splendeur.

N’importe, parlons-en ! qu’elles soient ou non disparues, puisque c’est faire l’histoire du peuple — histoire intime et vraie, que nul motif d’intérêt n’embellit injustement, que nulle passion ne travestit avec malice. Les récits des combats ou des luttes politiques, sont souvent entachés d’erreurs ou de préjugés ; et puis, ils ne montrent une nation que revêtue en quelque sorte des costumes d’emprunt qui sont nécessaires aux comédiens qui paraissent sur la scène.

L’histoire des grandes actions d’un peuple n’est pas toute l’histoire de ce peuple et ne le fait pas connaître entièrement ; de même que la nomenclature des œuvres d’un homme ne suffit pas pour nous éclairer sur le caractère, les manière, les passions et les vertus de cet homme. Dans l’intimité l’homme et le peuple se révèlent tels qu’ils sont ; et c’est par le choix de leurs amusements, surtout, qu’ils laissent véritablement deviner la force ou la mollesse de leurs caractères, la rudesse ou la douceur de leur esprit.

Mais, je ne m’arrêterai pas trop sur des considérations que chacun peut faire aussi bien que moi. Et, comme j’ai à parler des fêtes religieuses, la morale se glissera dans mon humble travail sans que j’aie l’air d’y toucher.

Commençons avec l’année, nous finirons avec elle. Commençons dans la joie, l’espoir et l’amour, et ne nous inquiétons point comment nous finirons. À chaque jour suffit sa peine, a dit un sage ; moi qui ne suis pas sage pourtant, j’ajouterai : À chaque jour aussi doit suffire sa joie, et ne désirons pas plus de bonheur que nous pouvons en porter.

La première fête, et l’une des plus belles pour tous, parce qu’elle apporte à tous sans exception une satisfaction profonde et une grande espérance — la satisfaction d’avoir vécu une année encore, et l’espérance d’arriver sans encombre à l’année suivante — c’est le jour de l’an. On ne songe pas même à dire le premier jour de l’an, mais le jour de l’an, parce que ce jour à lui seul vaut toute l’année. De là, en effet, on embrasse, d’un coup d’œil, une longue prospective, et l’on goûte, par avance, une foule de plaisir qui se tromperont probablement d’adresse et n’arriveront pas jusqu’à nous. Peut-être encore l’appelle-t-on ainsi parce que les autres jours n’en sont qu’une répétition, et que ce que l’on fait ce jour-là, on le fait tout le long de l’année.

Aussi, comme on a soin de dire aux enfants de ne pas pleurer, de ne pas être maussades, de ne point se quereller, mais d’être bons et obéissants. Malheur à ceux qui pleurent le jour de l’an, ils auront encore les yeux rouges à Noël ! disait un vieux de mon village.

Ce jour-là, l’enfant l’attend avec impatience ; il le voit dans ses rêves ; il l’appelle de toutes les forces de sa jeune âme. Il ne sait pourquoi, mais il sait bien que les bonbons pleuvent dans ses mains, comme les baisers sur son front ; il sait bien que l’indulgence des parents est plus grande, l’amitié des petits frères et des petites sœurs, plus douce que jamais. Ce jour est un événement heureux dans sa jeune existence, et, le soir, quand le charme se dissipe avec la nuit qui vient, sa naïve imagination cherche déjà, dans les brumes de l’avenir, l’autre jour de l’an.

Pour nous qui ne sommes plus, depuis tant d’années, des enfants, ou, du moins, des petits enfants, le jour de l’an est aussi un jour de réjouissance. Nous serrons alors avec plus de chaleur la main aux amis ; les sentiments généreux débordent de nos âmes, et — pour que nul nuage ne projette son ombre sur la sérénité des heures nouvelles — la haine ou le ressentiment se taisent.

Nous mesurons le chemin parcouru, et, tout en éprouvant une véritable satisfaction, nous sentons peut-être une larme à notre paupière, à la vue des lieux ensoleillés que nous avons laissés derrière nous. Les vieillards, — plus tristes, parce qu’ils ont plus vécu, plus sensibles, parce qu’ils ont aimé davantage, plus sages, parce qu’ils ont éprouvé plus de déceptions, — versent, en ce jour, comme une rosée, la bénédiction sur la tête de leurs fils. Ils disent : « c’est le dernier jour de l’an que nous voyons ! » mais ils n’en croient rien, car, au fond du cœur, il y a toujours cette voix mystérieuse qui murmure : Espère !