Gaston Tissandier, Voyages dans les airs 1885



VOYAGES
DANS LES AIRS

PREMIÈRE PARTIE

LA DÉCOUVERTE DES BALLONS


Rien ne paraît plus naturel aujourd’hui que de voir un ballon s’élever dans l’espace ; tout le monde sait qu’un aérostat monte dans l’air, parce qu’il est plus léger que l’air. Un morceau de bois, une balle de liège sont, à l’eau, ce que l’aérostat est au gaz atmosphérique. Cela est tellement évident qu’il y aurait puérilité à insister sur des notions aussi élémentaires, simples conséquences du principe d’Archimède ; mais l’histoire des inventions nous fait voir que ce sont parfois les choses les plus faciles à exécuter auxquelles on pense le moins. Il n’y a guère plus d’un siècle que les frères Montgolfier ont songé pour la première fois à remplir un grand sac en papier, d’air chaud, plus léger que l’air ambiant. Il n’en fallait pas plus cependant pour commencer la conquête de l’air, jusque-là rebelle à l’activité humaine, et quelque simple que soit cette première expérience aérostatique exécutée à Annonay le 5 juin 1783, elle n’en est pas moins une des plus belles que l’on doive au génie de l’homme. Le retentissement qu’elle eut alors est extraordinaire : l’influence qu’elle est appelée à exercer sur les destinées des peuples est immense, et ne saurait encore être exactement mesurée. Le nom des frères Montgolfier dont le grand sculpteur Houdon a reproduit l’image allait devenir immortel.

Quant on apprit à Paris le résultat de l’expérience d’Annonay — à cette époque elle semblait tenir du prodige, — la curiosité du public se trouva excitée au plus haut point ; l’étonnement et l’admiration étaient à leur comble. Un professeur de physique très instruit et très populaire, Charles, résolut avec le concours de deux constructeurs habiles, les frères Robert, de répéter l’expérience d’Annonay ; mais, en croyant imiter ce qu’avaient fait les frères Montgolfier, il créa de toutes pièces le ballon à gaz hydrogène qui se distingue complètement du ballon à air chaud ou montgolfière. Le nom de Charles doit être placé à côté de celui des Montgolfier, parmi les premiers inventeurs de l’art aéronautique.

Ce fut le 27 août 1783 que se fit au Champ de Mars, à Paris, la première expérience d’un globe aérostatique. Il était de taffetas, enduit d’un vernis imperméable, et avait 4 mètres de diamètre. On l’avait gonflé « d’un air inflammable très subtil » (gaz hydrogène). — On le porta pendant la nuit à l’aide de la lumière de torches. Le lendemain matin, il fut installé au Champ de Mars au milieu « d’un peuple immense ». « Il pleuvait fort en ce moment, dit un curieux récit du temps, mais l’intrépide Parisien, muni d’une lorgnette et d’un parapluie, supporta constamment la pluie. » Le globe ou ballon s’éleva, tandis que la foule faisait entendre des acclamations, et il ne tarda pas à se perdre dans la nue. — Il descendit à Gonesse où il causa, parmi les habitants, une alarme générale que représente la curieuse gravure ci-après. « Deux moines, lit-on sur la légende dont cette gravure est accompagnée, ayant assuré à des paysans que c’était la peau d’un animal monstrueux, ils l’assaillirent à coups de pierres, de fourches et de fléaux, et le curé fut obligé de se transporter près du ballon pour rassurer ses paroissiens épouvantés. »

Cependant le plus jeune des deux Montgolfier, Étienne, qui était arrivé à Paris, fut invité par l’Académie des Sciences à répéter l’expérience d’Annonay avec un ballon gonflé à l’air chaud. Le 19 septembre 1783, une sphère de 14 mètres environ de diamètre, construite en toile recouverte de papier, se gonflait à Versailles en présence du roi, de toute la cour, au moyen de l’air chaud formé par la combustion de la paille. La machine s’éleva emportant dans les airs une cage dans laquelle on avait placé un