Georges-Louis Leclerc de Buffon, Sur les inégalités de la surface de la terre dans Œuvres complètes de Buffon, augmentées par Cuvier, éd. Pillot, 1829

1749


Sur les inégalités de la surface de la terre..

Les inégalités qui sont à la surface de la terre, qu’on pourrait regarder comme une imperfection à la figure du globe, sont en même temps une disposition favorable et qui était nécessaire pour conserver la végétation et la vie sur le globe terrestre : il ne faut, pour s’en assurer, que se prêter un instant à concevoir ce que serait la terre, si elle était égale et régulière à sa surface ; on verra qu’au lieu de ces collines agréables d’où coulent des eaux pures qui entretiennent la verdure de la terre, au lieu de ces campagnes riches et fleuries où les plantes et les animaux trouvent aisément leur subsistance, une triste mer couvrirait le globe entier, et qu’il ne resterait à la terre de tous ses attributs, que celui d’être une planète obscure, abandonnée, et destinée tout au plus à l’habitation des poissons.

Mais indépendamment de la nécessité morale, laquelle ne doit que rarement faire preuve en philosophie, il y a une nécessité physique pour que la terre soit irrégulière à sa surface ; et cela, parce qu’en la supposant même parfaitement régulière dans son origine, le mouvement des eaux, les feux souterrains, les vents, et les autres causes extérieures auraient nécessairement produit à la longue des irrégularités semblables à celles que nous voyons.

Les plus grandes inégalités sont les profondeurs de l’Océan, comparées à l’élévation des montagnes : cette profondeur de l’Océan est fort différente, même à de grandes distances des terres ; on prétend qu’il y a des endroits qui ont jusqu’à une lieue de profondeur : mais cela est rare, et les profondeurs les plus ordinaires sont depuis 60 jusqu’à 150 brasses. Les golfes et les parages voisins des côtes sont bien moins profonds, et les détroits sont ordinairement les endroits de la mer où l’eau a le moins de profondeur.

Pour sonder les profondeurs de la mer, on se sert ordinairement d’un morceau de plomb de 30 ou 40 livres, qu’on attache à une petite corde. Cette manière est fort bonne pour les profondeurs ordinaires : mais lorsqu’on veut sonder de grandes profondeurs, on peut tomber dans l’erreur, et ne pas trouver de fond où cependant il y en a, parce que la corde étant spécifiquement moins pesante que l’eau, il arrive, après qu’on en a beaucoup dévidé, que le volume de la sonde et celui de la corde ne pèsent plus qu’autant ou moins qu’un pareil volume d’eau : dès lors la sonde ne descend plus, et elle s’éloigne en ligne oblique, en se tenant toujours à la même hauteur : ainsi, pour sonder de grandes profondeurs, il faudrait une chaîne de fer ou d’autre matière plus pesante que l’eau. Il est assez probable que c’est faute d’avoir fait cette attention, que les navigateurs nous disent que la mer n’a pas de fond dans une si grande quantité d’endroits.

En général, les profondeurs dans les hautes mers augmentent ou diminuent d’une manière assez uniforme ; et ordinairement plus on s’éloigne des côtes, plus la profondeur est grande : cependant cela n’est pas sans exception, et