Poésie de M. J. Lecoq dans Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore

1896



À Marceline Desbordes-Valmore


Tandis que sonneront autour du monument
les fanfares ; tandis que, solennellement,
vêtus de noir et cravatés de blanc, très dignes,
d’autres feront à ton bronze l’honneur insigne
de le saluer par d’admiratifs discours,
moi, je veux évoquer ta pensée inquiète,
et causer avec toi, de poète à poète,
loin du bruit et dans l’ombre où tu te plus toujours.
Car le tumulte effarouchait ton âme tendre
et très simple. Peut-on, parmi la foule, entendre
s’exhaler un soupir, s’étouffer un sanglot ?
Pas plus que l’on n’ouït sous le fracas des armes,
ou dans le formidable grondement des flots,
sourdre, jaillir, rouler et tomber une larme.

Oui, c’est bien sous le ciel du vieux pays flamand,
ciel de grisaille où vont, mélancoliquement,
les nuages teintés parfois de reflets fauves,
que tu naquis, Desborde, et ton esprit charmant
eut la langueur de nos lointains aux brumes mauves.
Tu fus mélancolique et triste comme lui,
et sur l’harmonieux envol de ton lyrisme,
quand l’éclair fulgurant des passions a lui,
plane un ressouvenir de notre ciel sans prisme.
Et ceux-là te comprennent qui, nés comme toi,
dans les plaines sans fond où s’assourdit la voix,
dans les marais stagnants mi cachés sous les herbes
et d’où s’élancent les roseaux aux longues gerbes,
dès l’enfance, en le calme épandu, ont goûté
L’indicible douceur d’une sérénité.

Mais sait-on ce qui s’élabore en le mystère
des eaux profondes et sourdes ? et qui dira
les intimes tourments de l’âme solitaire
où le divin amour éperdument vibra ?
Tu fus la femme aimante, et tu devais souffrir
mystérieusement. Or, voici qu’on s’acharne
autour de ta douleur, qu’on prétend découvrir
ce que fut l’être en qui ton rêve ardent s’incarne.
De quel droit ? N’es-tu pas maîtresse de ton cœur ?