Maurice Maeterlinck, L’Oiseau bleu
1908


ACTE PREMIER


Tableau I

LA MAISON DU BÛCHERON


Le théâtre représente l’intérieur d’une cabane de bûcheron, simple, rustique, mais non point misérable. — Cheminée à manteau où s’assoupit un feu de bûches. — Ustensiles de cuisine, armoire, huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc. — Sur une table, une lampe allumée. — Au pied de l’armoire, de chaque côté de celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et un Chat. — Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et bleu. Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une tourterelle. — Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs sont fermés. — Sous l’une des fenêtres, un escabeau. — À gauche, la porte d’entrée de la maison, munie d’un gros loquet. — À droite, une autre porte. — Échelle menant à un grenier. — Également à droite deux petits lits d’enfant, au chevet desquels, sur deux chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.


(Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête dans l’entre-bâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. — La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont l’intensité augmente peu à peu filtre par les lames des volets. La lampe sur la table se rallume d’elle-même ; mais sa flamme est d’une autre couleur que lorsque la Mère Tyl l’éteignit. Les deux enfants semblent s’éveiller et se mettent sur leur séant.)
TYLTYL

Mytyl ?

MYTYL

Tyltyl ?

TYLTYL

Tu dors ?

MYTYL

Et toi ?…

TYLTYL

Mais non, je dors pas puisque je te parle…

MYTYL

C’est Noël, dis ?…

TYLTYL

Pas encore ; c’est demain. Mais le petit Noël n’apportera rien cette année…

MYTYL

Pourquoi ?…

TYLTYL

J’ai entendu maman qui disait qu’elle n’avait pu aller à la ville pour le prévenir… Mais il viendra l’année prochaine…

MYTYL

C’est long, l’année prochaine ?…

TYLTYL

Ce n’est pas trop court… Mais il vient cette nuit chez les enfants riches…

MYTYL

Ah ?…

TYLTYL

Tiens !… Maman a oublié la lampe !… J’ai une idée ?…

MYTYL

?…

TYLTYL

Nous allons nous lever…

MYTYL

C’est défendu…

TYLTYL

Puisqu’il n’y a personne… Tu vois les volets ?…

MYTYL

Oh ! qu’ils sont clairs !…

TYLTYL

C’est les lumières de la fête.

MYTYL

Quelle fête ?

TYLTYL

En face, chez les petits riches. C’est l’arbre de Noël. Nous allons les ouvrir…

MYTYL

Est-ce qu’on peut ?

TYLTYL

Bien sûr, puisqu’on est seuls… Tu entends la musique ?… Levons-nous… (Les deux enfants se lèvent, courent à l’une des fenêtres, montent sur l’escabeau et poussent les volets. Une vive clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent avidement au dehors.)

TYLTYL

On voit tout !…

MYTYL, qui ne trouve qu’une place précaire
sur l’escabeau.

Je vois pas…

TYLTYL

Il neige !… Voilà deux voitures à six chevaux !…

MYTYL

Il en sort douze petits garçons !…

TYLTYL

T’es bête !… C’est des petites filles…

MYTYL

Ils ont des pantalons…

TYLTYL

Tu t’y connais… Ne me pousse pas ainsi !…

MYTYL

Je t’ai pas touché.

TYLTYL, qui occupe à lui seul tout l’escabeau.

Tu prends toute la place…

MYTYL

Mais j’ai pas du tout de place !…

TYLTYL

Tais-toi donc, on voit l’arbre !…

MYTYL

Quel arbre ?…

TYLTYL

Mais l’arbre de Noël !… Tu regardes le mur !…

MYTYL

Je regarde le mur parce qu’y a pas de place…

TYLTYL, lui cédant une petite place avare sur l’escabeau.

Là !… En as-tu assez ?… C’est-y pas la meilleure ?… Il y en a des lumières ! Il y en a !…