Edward Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, tome VIII, chapitre XLIV : Idée de la jurisprudence romaine. Lois que publièrent les rois. Les Douze-Tables des décemvirs. Les lois du peuple. Les décrets du sénat. Les édits des magistrats et des empereurs. Autorité des jurisconsultes. Code, Pandectes, Novelles et Institutes de Justinien. 1°. Droits des personnes. 2°. Droits des choses. 3°. Injures et actions privées. 4°. Crimes et peines.

1776

Traduction François Guizot 1819


Idée de la jurisprudence romaine

LE temps a réduit en poussière les vains trophées des victoires de Justinien ; mais le nom de ce législateur est gravé sur un monument plus noble et plus durable. C’est sous son règne et par ses soins que la jurisprudence civile fut réunie en un corps dans trois ouvrages immortels, le CODE, les PANDECTES et les INSTITUTES [1]. La marche silencieuse du temps ou les travaux des législateurs ont introduit la raison publique des Romains dans les institutions domestiques de l’Europe [2]. Les lois de Justinien obtiennent encore le respect et l’obéissance de plusieurs nations qui n’ont jamais dépendu de son empire. Heureux ou sage est le prince qui peut lier sa réputation à l’honneur et à l’intérêt d’un ordre de gens destinés à se perpétuer à jamais dans la société ! Le zèle et l’adresse des gens de loi se sont de tout temps exercés à la défense de leur fondateur ; ils célèbrent pieusement ses vertus, ils dissimulent ou nient ses défauts, et leurs vigoureuses réprimandes n’épargnent pas les coupables ou insensés rebelles qui osent s’attaquer à la majesté de la pourpre. L’idolâtrie des partisans de Justinien a provoqué, comme on le voit d’ordinaire, l’acharnement de ses ennemis. Son caractère a tour à tour été attaqué et défendu avec l’aveugle véhémence de la haine et de la flatterie ; et la secte des antitriboniens en est venue à ce point d’injustice de refuser toute espèce d’éloges et de mérite à ce prince, à ses ministres et à ses lois [3]. Étranger à toute espèce de parti, attaché seulement à la vérité et à la bonne foi de l’histoire, dirigé par les guides les plus modérés et les plus habiles [4], je ne me hasarde cependant qu’avec une juste méfiance à traiter un sujet qui a consumé les jours de tant d’habiles jurisconsultes, et fourni de quoi garnir les murs d’un si grand nombre de vastes bibliothéques. Je suivrai dans un seul chapitre, et, s’il est possible, dans un chapitre qui ne sera pas d’une très-longue étendue, la jurisprudence romaine depuis Romulus jusqu’à Justinien [5] ; j’apprécierai les travaux de cet empereur, et je m’arrêterai à examiner les principes d’une science qui importe si fort à la paix et au bonheur de la société. Les lois d’un peuple forment la portion la plus instructive de son histoire ; et quoique je me sois dévoué à la composition des Annales de l’Empire dans sa décadence, je saisirai cette occasion de respirer encore l’air pur et fortifiant de la république.

Lois que publièrent les rois de Rome.

On découvre quelque adresse politique dans la formation du gouvernement primitif de Rome [6], composé d’un roi électif, d’un conseil de nobles et d’une assemblée générale du peuple. Le magistrat suprême était chargé de tout ce qui avait rapport a la guerre et à la religion : seul il proposait les lois qu’on discutait au sénat, et qui étaient enfin ratifiées ou rejetées à la pluralité des voix par les trente curies ou paroisses de la ville. Romulus, Numa et Servius Tullius sont renommés comme les premiers législateurs de Rome ; et chacun d’eux a des droits particuliers à l’une des trois divisions générales de sa jurisprudence [7]. On attribue à la sagesse naturelle de Romulus les lois sur le mariage, sur l’éducation des enfans et l’autorité paternelle, qui paraissent