Jack London, Une aventure dans les airs 1902

Traduction Louis Postif 1922


UNE AVENTURE DANS LES AIRS



Je suis un ancien capitaine des airs.

C’est-à-dire qu’au temps de ma jeunesse — laquelle n’est pas très éloignée — je naviguais en qualité d’aéronaute dans cet océan qui nous entoure et s’étend au-dessus de nos têtes. Bien entendu, cette profession comporte des risques et, cela va de soi, elle m’a procuré de nombreuses aventures dont je vais vous narrer la plus émouvante.

C’était avant l’époque où j’adoptai les ballons gonflés à l’hydrogène, entièrement de soie enduits, doublés, bordés, etc. et destinés non plus à des ascensions d’une heure, mais à des voyages de plusieurs jours.

J’employais alors pour mes ascensions le Petit Nassau, ainsi baptisé en souvenir du Grand Nassau son ancêtre.

C’était un ballon à air chaud, genre montgolfière, de belles dimensions, mais formé d’une seule épaisseur de toile capable de tenir environ une heure en l’air et d’atteindre une altitude de seize cents mètres au moins. Il faisait mon affaire, car j’exécutais alors des descentes de huits cents mètres en parachute dans les parcs d’attractions et les foires de province.

Je me trouvais à Oakland, en Californie, où une Compagnie de tramways urbains m’avait engagé pour la saison d’été. Cette compagnie possédait un vaste terrain aux portes de la ville et il était de son intérêt d’y installer quelques attractions afin d’attirer sur ses lignes les citadins désireux de respirer une bouffée d’air pur. Mon contrat prévoyait deux ascensions par semaine. Les gens goûtaient fort ce genre de spectacle, car ces jours-là la recette montait considérablement.

Pour vous permettre de comprendre mon histoire, je vais vous donner quelques explications sur les caractéristiques du ballon à air chaud employé pour les descentes en parachute. Si vous avez assisté à une de ces performances, vous vous rappelez sans doute que, aussitôt le parachute détaché, le ballon se retourne, la fumée et l’air chaud qui le gonflaient s’en échappent, il s’aplatit, tombe verticalement et atteint le sol avant le parachute. Ainsi il n’est point besoin de poursuivre le gros sac abandonné de son passager à travers des kilomètres de campagne : on gagne du temps et même on s’épargne des tracas.

Ce renversement s’obtient en attachant au sommet du ballon une longue corde, lestée à sa partie inférieure. Le parachutiste, assis sur son trapèze, est suspendu au-dessous du ballon et, par son poids, le maintient vertical. Mais quand il lâche prise, le poids du lest agit sur le sommet de l’enveloppe : le bas, où se trouve l’ouverture, se retourne instantanément vers le ciel en laissant échapper l’air chaud. Sur le Petit Nassau j’employais un sac de sable pour lester la corde.

Ce jour-là la foule était encore plus nombreuse que d’ordinaire et la police avait fort à faire pour la contenir. Il se produisait des bousculades et les cordes menaçaient de se rompre sous la pression des hommes, des femmes et des enfants. En sortant du vestiaire, je remarquai deux jeunes filles de quatorze et seize ans environ qui tenaient par la main un gamin d’une dizaine d’années.