Virgile, Les Géorgiques ca 30 av. J.-C.

Traduction Charpentier (de Saint-Prest) 1859

Les


Géorgiques



LIVRE PREMIER


Quel art produit les riantes moissons, sous quel signe il faut retourner la terre et marier la vigne à l’ormeau, quels soins exigent les bœufs, comment on multiplie le bétail, quelle industrie est nécessaire pour l’éducation de l’abeille économe : voilà, Mécène, ce que je vais chanter.

Astres éclatants de lumière, qui guidez dans le ciel la marche des saisons, Bacchus, et toi bienfaisante Cérès, si, grâce à vos dons, la terre remplaça par de riches épis les glands de Chaonie, et mêla le jus de la vigne à l’eau des fontaines ; et vous, divinités protectrices des campagnes, venez, Faunes ; venez aussi, jeunes Dryades : ce sont vos bienfaits que je chante. Et toi, dont le trident redoutable fit, du sein de la terre, bondir le coursier frémissant, Neptune ; et toi, habitant des forêts, toi dont les nombreux taureaux, plus blancs que la neige, paissent les fertiles bruyères de Cée ; toi-même, Pan, protecteur de nos brebis, quitte un moment les bois paternels et les ombrages du Lycée, et si ton Ménale t’est toujours cher, viens, dieu du Tégée, favoriser mes chants. Minerve, qui nous donnas l’olivier ; enfant, inventeur de la charrue ; Silvain, qui dans tes mains portes un jeune cyprès ; dieux et déesses qui veillez sur nos campagnes ; qui nourrissez les plantes nouvelles nées sans semence, et du haut des cieux versez aux moissons des pluies fécondes, venez, et soyez favorables à mes chants.

Et toi, qui dois un jour prendre place dans les conseils des dieux, choisis, César : veux-tu, protecteur de nos villes et de nos campagnes, régner sur l’univers ? l’univers est prêt à révérer en toi l’auteur des fruits qu’il produit, le maître des saisons, et à ceindre ton front du myrte maternel. Dominateur souverain des mers, désires-tu recevoir seul les vœux des matelots ? Thulé, aux extrémités du monde, se courbe sous tes lois ; Téthys, au prix de toutes ses eaux, achète l’honneur de t’avoir pour gendre. Aimes-tu mieux, nouvel astre d’été, te placer entre Érigone et le scorpion qui la poursuit ? déjà devant toi le Scorpion replie ses serres brûlantes, et t’abandonne dans le ciel une espace plus que suffisant. Quel que soit l’empire qui t’est réservé (car les enfers n’oseraient t’espérer pour roi, et tu ne saurais pousser jusque-là le désir de régner, quoique la Grèce vante ses Champs-Élysées et que Proserpine dédaigne la voix d’une mère qui l’appelle), rends ma course facile, favorise mes efforts et mon audace ; et, sensible comme moi aux peines des laboureurs, viens les guider dans les routes qu’ils ignorent ; et accoutume toi à recevoir, dès à présent, les vœux des mortels.