Jean-Aubert Loranger, Le vagabond dans Les atmosphères 1920



Le Vagabond


Si l’homme, quand il fut sur la route, ne se retourna pas pour un dernier regard au village qu’il venait de traverser, c’est qu’il lui en venait du mépris, pour trop de désillusion qu’il y avait trouvée.

Il venait d’y recevoir un refus presque total de repaître par des aumônes la vie dont il avait besoin pour continuer plus loin. On avait mal répondu à ses quêtes pour lesquelles il s’était tant humilié.

En ce moment qu’il en était enfin sorti, une seule chose l’occupait ; s’en éloigner le plus vite possible, avant que ne se développe trop l’idée qui s’ébauchait de retourner en arrière avec tout un plan de vengeance.

La route, avec la fatigue qui s’y ajoute, promettait d’épuiser en lui par de la distance l’énergie qu’il faut pour une entreprise pleine de difficultés, et il y marchait.

La poussière, comme de la neige, gardait les vestiges de l’homme. Les pas enregistraient à la route la décision qu’il avait de s’éloigner.

Ce village, il ne l’avait pas voulu, il n’en avait pas fait son but. Il s’était tout simplement trouvé inévitable à la route, et il l’avait traversé avec la route.

Aucune intention d’exploitation ne lui en était venue, quoiqu’il fît étalage de richesses et de pleine confiance. Il ne lui avait demandé que la victuaille qu’il faut pour atteindre à un autre village.

Somme toute, une aumône, en ce cas, c’était, croyait-il, une récompense due à son honnêteté, étant donnée la facilité que l’on sait à un vagabond de voler.

Aussi, quand il fut de nouveau sur la route, l’homme se jura-t-il de ne plus être dupe de l’appréciation que peut avoir le villageois des bonnes intentions.

Son désenchantement justifiait de la résolution qui lui vint de commettre un vol au village suivant, et il y allait.