Anonyme, Les On-dit dans La Quotidienne, édition du 24 août (pp. 2-8) 1838



On dit que la Dame d’Urgelle,
Dont l’âme est généreuse et belle,
Et qui sait que Dieu nous commande
Aux pauvres de faire l’offrande,
Fit à sa bonne cousine
Charité d’un peu de farine,
Pour aider son père indigent.
Tout chrétien en eut fait autant.

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Mais un commis fesse-Mathieu,
Qui pourrait tricher le bon Dieu,
Ladre, mouchard, délateur, traître,
Enfin disciple de son maître,
En fidèle porte-panier,
Fut en avertir ce dernier,
Et puis, comme c’est l’ordinaire,
Sut très bien allonger l’affaire.

Soudain, mon nouvel Harpagon
Tombe dans une pamoison !
Il était là, raide, insensible,
Ne remuant rien de visible
Si ce n’est ses doigts tout crochus
Qui semblaient compter des écus.
Son ……, plein d’épouvante,
Appelle à grands cris la servante,
Et dit d’apporter sans retard
Du sel à conserver le lard.
Javotte, tendre de nature,
En fourait à bonne mesure,
Dont fortement on lui frotta
Temples, mains, pieds et cætera.

Bientôt l’avare se réveille,
Ouvre les yeux, dresse l’oreille,
Et se voyant ainsi salé :
« Malheur ! dit-il, je suis ruiné !
« Sur moi tout le monde se rue :
« On veut me mettre dans la rue,
« Jusqu’à Javotte, juste Ciel !
« Voyez la dépense de sel !!!
« Sans rien coûter, l’eau froide et claire
« Aurait fait aussi bien l’affaire.
« Hier, c’était ma fleur froment,
« Demain, ce sera mon argent !!
« Ah ! sauvez-moi de la détresse,
« Saints, je paye une basse messe !!!

(Craignant d’avoir été entendu et qu’on ne le
vole il se reprend aussitôt.)

« Mon argent, grand Dieu ! qu’ai-je dit ?
« Je n’ai pas un maravédis.
« Sur mon honneur ; et c’est bien pire,
« Ma tante LaMain peut le dire,
« Je suis trahi, volé, pillé,
« Je suis… je suis… as… sas… siné !!! »

Il allait retomber en transes,
Mais au souvenir des dépenses,
En un clin d’œil il se calma.
Ça ne devait pas rester là,
Il lui fallait une vengeance !
Des grands cœurs c’est la jouissance.
Il fit appeler devant lui
La jeune cousine et lui dit :
« Je veux que le diable escamotte
« Toi puis la maudite Javotte,
« Et…… » Soudain la petite fine,
Qui prévoit où cela termine,
Coupant court à notre orateur,
Lui dit : « mais pour votre bonheur,
« Vous ne devez pas m’envoyer
« Où vous devez vous-même aller. »