Dante, La Divine Comédie 1314

Traduction Lamennais 1863



L’ENFER





CHANT PREMIER


1. Au milieu du chemin de notre vie, ayant quitté le chemin droit, je me trouvai dans une forêt obscure.

2. Ah ! que chose dure est de dire combien cette forêt était sauvage, épaisse et âpre, dans la pensée cela renouvelant la peur,

3. Si amère elle était, que guère plus ne l’est la mort ; mais pour parler du bien que j’y trouvai, je dirai les autres choses qui m’y apparurent.

4. Comment j’y entrai, je ne le saurais dire, tant j’étais plein de sommeil quand j’abandonnai la vraie voie.

5. Mais, arrivé au pied d’une colline, là où se terminait cette vallée qui de crainte m’avait serré le cœur,

6. Je levai mes regards, et je vis son sommet revêtu déjà des rayons de la planète qui guide fidèlement en tout sentier.

7. Alors apaisée un peu fut la peur qui jusqu’au fond du cœur m’avait troublé durant la nuit que je passai avec tant d’angoisse.

8. Et comme celui qui, sorti de la mer, sur la rive haletant se tourne vers l’eau périlleuse, et regarde ;

9. Ainsi se tourna mon âme fugitive pour regarder le passage que jamais ne traverse aucun vivant.

10. Quand j’eus reposé mon corps fatigué, je repris ma route par la côte déserte, de sorte que le pied ferme était le plus bas,

11. Et voici qu’apparut, presque au pied du mont, une panthère agile et légère couverte d’un poil tacheté.

12. Elle ne s’écartait pas de devant moi, et me coupait tellement le chemin que plusieurs fois je fus près de retourner.

13. C’était le temps où le matin commence, et le soleil montait avec ces étoiles qui l’entouraient, quand le divin Amour

14. Mut primitivement ces beaux astres ; de sorte que bien espérer me conviaient le gai pelage de cette bête fauve,

15. L’heure du jour et la douce saison : non toutefois que ne m’effrayât la vue d’un lion qui m’apparut.

16. Il paraissait venir contre moi, la tête haute, avec une telle rage de faim que l’air même semblait en effroi.