Voyage en Orient (Nerval)/Appendice/III

Calmann Lévy (Œuvres complètes de Gérard de Nerval III. Voyage en Orient, IIp. 241-244).


III — FÊTES PARTICULIÈRES


Il y a fête chez les Égyptiens lorsqu’un fils est admis comme membre d’une société de marchands ou d’artisans. Parmi les charpentiers, les tourneurs, les barbiers, les tailleurs, les relieurs et gens d’autres états, l’admission a lieu de la manière suivante.

Le jeune homme qui doit être admis dans le corps de métier, accompagné de son père, se rend chez le cheik et lui donne connaissance de l’intention qu’il a que son fils soit admis comme membre de la corporation. Alors, le cheik envoie convier les maîtres du métier dont il est le néophyte et quelques-uns des amis du candidat pour assister à sa réception. Un officier, appelé nakib, porte alors une botte d’herbes vertes ou de fleurs qu’il distribue à chacune des personnes invitées en disant : « Répétez le fattah pour le prophète. » À quoi le nakib ajoute : « Venez à pareil jour et à pareille heure ici pour prendre une tasse de café. »

Les personnes ainsi invitées se rassemblent soit chez le père, soit chez le jeune homme, et quelquefois à la campagne où ils sont régalés de café et où on leur donne à dîner.

Le néophyte est conduit devant le cheik ; on récite des vers à la louange du prophète, puis on lui met autour de la taille un châle noué par un nœud aux extrémités. On récite des versets du Coran, puis on fait au châle un second nœud ; au troisième nœud, qui se fait après qu’on a dit encore quelques versets du Coran, on fait une rosette au châle, et le jeune homme est admis comme membre du corps de métier auquel il se voue. Alors, il baise la main du cheik et de chacune des personnes présentes ; il donne une légère contribution et fait partie du corps de métier.

Les Égyptiens, qui vivent habituellement de la manière la plus frugale, mettent dans leurs festins le plus de variété et de profusion ; mais le temps consacré au repos est très-court. Dans les réunions de ce genre, ordinairement on fume, on boit à petits coups du café ou des sorbets, et on fait la conversation.

Pendant la lecture du Coran, les Turcs s’abstiennent, en général, de fumer, et les honneurs qu’ils rendent au livre sacré ont fait dire d’eux que « Dieu a mis la race d’Othman au-dessus des autres musulmans, parce qu’ils honorent le Coran plus que ne le font les autres ! »

Les seuls amusements de ces réunions sont quelques récits ou quelques contes ; mais tous prennent un plaisir extrême aux danses et aux concerts des musiciens que l’on fait exécuter pendant ces jours de fêtes.

Il est à remarquer qu’un Égyptien s’amuse à jouer n’importe à quel jeu, à moins qu’il ne soit en petit comité de deux ou trois personnes ou dans sa famille. Quoique sociable, l’Égyptien donne rarement de grandes fêtes, et il faut pour cela des événements extraordinaires, comme un mariage, une naissance, etc. Ce n’est aussi qu’alors qu’il est convenable de faire venir des danseuses dans les maisons particulières ; en toute autre circonstance, on considère cela comme blessant les usages.

Il y a aussi des fêtes à l’occasion des mariages. Le septième jour (appelé yom es suboua) après le mariage, l’épousée reçoit les femmes ses amies, le matin et l’après-midi. Quelquefois, pendant ce temps, le mari reçoit ses amis, qu’il amuse le soir au moyen de concerts et de danses. La coutume établie en Égypte veut que le mari s’abstienne des droits que lui donne le mariage jusqu’après le septième jour, si celle qu’il épouse est une jeune vierge. À l’issue de ce temps, il est d’usage de donner une fête et de réunir des amis. Quarante jours après le mariage, la jeune mariée se rend au bain avec quelques-unes de ses amies. En revenant chez elle, la mariée leur donne une collation, puis elles s’en vont. Pendant ce temps, le mari donne un repas et fait exécuter des danses et un concert.

Le lendemain de la naissance d’un enfant, deux ou trois danseurs ou danseuses exécutent des pas devant la maison ou dans la cour. Les fêtes à la naissance d’un fils sont plus belles qu’à celles d’une fille. Les Arabes conservent encore en cela le sentiment qui portait leurs ancêtres à détruire leurs enfants du sexe féminin.

Trois ou quatre jours après la naissance d’un enfant, les femmes de la maison, si l’accouchée appartient à l’une des classes élevées ou à l’aise, préparent des mets composés de miel, de beurre clarifié, d’huile de sésame, d’épices et d’aromates, auxquels on ajoute parfois des noisettes grillées[1].

L’enfant est ensuite proclamé par des femmes ou des jeunes filles dans tout le harem ; chacune d’elles porte des cierges allumés de couleurs différentes : ces cierges, coupés en deux, sont placés dans des mottes d’une certaine pâte formée de henné ; on en met plusieurs sur un plateau. La sage-femme, ou une autre des dames présentes, jette à terre du sel mêlé avec de la graine de fenouil. Ce mélange, placé la veille à la tête du berceau de l’enfant, sert à le préserver des maléfices. La femme qui répand de ce sel dit : « Que ce sel se loge dans l’œil de celui qui ne bénit pas le prophète ! » ou bien : « Que ce sel impur tombe dans l’œil de l’envieux ! » et chacune des personnes présentes répond : « Ô Dieu ! protège notre seigneur Mahomet ! »

Un plateau en argent est présenté à chacune des femmes ; elles disent à haute voix : « Ô Dieu ! protège notre seigneur Mahomet ! que Dieu t’accorde de longues années ! etc. » Les femmes donnent ordinairement un mouchoir brodé, dans l’un des coins duquel se trouve une pièce d’or ; ce mouchoir est le plus souvent placé sur la tête de l’enfant ou à ses côtés. Le don d’un mouchoir est considéré comme une dette contractée que l’on acquitte en pareille occasion, ou qui sert à payer une dette contractée en une semblable occasion. Les pièces de monnaie ainsi recueillies servent à orner pendant plusieurs années la coiffure de l’enfant. Outre ces largesses, on donne aussi à la sage-femme. La veille du septième jour, une carafe remplie d’eau, et dont le goulot est entouré d’un mouchoir brodé, est placé à la tête du berceau de l’enfant endormi. La sage-femme prend ensuite une carafe qu’elle place sur un plateau, et elle offre à chaque femme qui vient visiter la femme en couche un verre de cette eau, que chacune d’elles paye au moyen d’une gratification.

Pendant un certain temps après l’accouchement, et qui diffère selon la position ou les doctrines des diverses sectes, mais qui d’ordinaire est de quarante jours, la femme qui a mis au monde un enfant est considérée comme impure. Après le temps appelé nifa, elle va au bain, et dès lors elle est purifiée.

  1. Quelques femmes joignent encore à ces mets, s’ils ne sont pas destinés à des amies, une pâte composée d’escargots qui doit, à ce qu’elles croient, engraisser les femmes.