Voyage à mon bureau, aller et retour/Chapitre XXXIII

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LA RECEPTION

Si vous avez consulté l'almanach, vous n'ignorez pas, lecteur, que c'est aujourd'hui le 31 décembre, et vous saurez que c'est précisément le jour consacré aux grandes réceptions.

Nous aurons donc l'honneur d'aller rendre une visite à nos supérieurs. Veuillez, à cet effet, m'accompagner quelques instants jusque dans le cabinet de notre administrateur ; la réception sera de courte durée, et nous pourrons ensuite reprendre le fil de notre conversation.

Je vous préviens que, cette fois, nous avons des marches à gravir, et qu'il nous faudra parcourir de spacieux corridors pour arriver jusqu'au chef qui est le plus élevé en grade après le directeur général.

Hâtons-nous donc de nous habiller... Prenons notre chapeau, et suivez-moi, je vous en prie. Mes collègues vont m'imiter, et le chef de bureau se plaçant à notre tête, les sous-chefs à ses côtés, vous allez nous entendre marquer le pas...

A propos j'ai oublié mon parapluie ! Lecteur, soyez indulgent. Nous n'avons qu'une cour à traverser pour nous rendre à notre destination.

Nous montons l'escalier... Voici l'antichambre qui mène chez l'administrateur. - quelle affluence d'employés dans cette antichambre ! - ce sont les commis des autres bureaux de la division qui attendent qu'on les introduise auprès de l'administrateur. Nous passerons ensuite. - Ils sont entrés. - Attention ! - Ils sortent. - c'est maintenant à nous d'entrer. - Nous voici devant l'administrateur... C'est un homme qui, sachant se présenter, sait par conséquent recevoir. Il n'est point âgé ; il a bon ton, bonnes manières, et l'habit qui le distingue n'est pas celui de nos bureaux. On y remarque un petit ruban rouge disposé en rosette qui donne beaucoup d'attrait à la boutonnière de cet habit. Chacun s'incline, et le chef de bureau porte la parole en notre nom. L'administrateur lui répond avec le sourire sur les lèvres. Il l'encourage dans ses heureux projets d'amélioration du service, et il fait ensuite aux employés des compliments plus ou moins flatteurs.

Il ne leur dit pas, comme le vieux monsieur dessiné par Gavarni : « Mes petits enfants, vous aurez du bonbon quand je m'en irai », mais il leur promet de l'avancement sur les premiers fonds qui seront disponibles.

Il met tant de grâce à s'exprimer, tant d'abandon bienveillant envers les employés, que l'on est heureux de se retirer les mains vides, après avoir fait le salut d'usage que l'administrateur nous rend avec toute la distinction qui caractérise un homme du monde.

-Eh bien ! Êtes-vous satisfait ? - J'aurais voulu, direz-vous, être reçu chez le directeur général. - voilà bien de l'ambition ou de la vanité des gens et des lecteurs ! Sachez donc que le directeur général ne reçoit que l'état-major de son personnel.

Autrefois, les commis de tout grade étaient admis à la grande réception annuelle. Le temps a apporté des modifications à cet ordre des choses. N'ayant pas la qualité pour m'introduire avec les chefs admis à cette grande réception, si vous désirez en avoir un aperçu quelconque, je vous retracerai celle à laquelle j'ai assisté il y a vingt ans environ, à l'époque du jour de l'an.

Notre respectable directeur général, courbé sous le fardeau des ans, était appuyé près de la cheminée de son salon. Il nous reçut sans pouvoir faire un pas vers nous, mais prenant la parole, il nous adressa ce discours :

« Messieurs !... » Ici il s'arrêta pour faire salut à droite et un salut à gauche... « Messieurs !... Le jour de l'an... Messieurs !... Le jour de l'an est une cérémonie... qui...est une cérémonie... que... » Puis, anéanti par les souffrances de la goutte, il porta la main au cordon de sa sonnette qui fit ouvrir tout aussitôt la porte du salon, et l'huissier nous mit poliment dehors.

- Quoi ! s'écrièrent les employés, la réception est déjà finie ? - Il ne nous a rien dit !

- Vous vous trompez, chers collègues. Il a fait l'emploi de deux pronoms relatifs... à la circonstance ennuyeuse qui l'accablait ; vous avez ajouté le troisième pronom, on ne pouvait en exiger davantage.


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