Voyage à mon bureau, aller et retour/Chapitre XXVII

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LE STYLE

On assure – j'ai oublié le titre du livre dans lequel j'ai lu cet argument – que le style représente l'homme. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec celui qui a eu une semblable opinion du style et des hommes, et je suis disposé à prouver que le style administratif ne représente ordinairement que l'administration elle-même.

L'homme, dans ce cas, est l'instrument dont se sert l'administration pour exprimer sa volonté. C'est l'administration qui rédige, et non le rédacteur, qui n'a pas à se glorifier de sa qualité. Le rédacteur n'est rien.

Maintenant que je me suis exprimé carrément, je puis vous annoncer, mon cher lecteur, que j'ai la confiance de l'administration, en ce qui touche la rédaction, et que j'ai le droit de minuter des lettres de service, sauf ratures et approbation du chef auquel j'en soumets la lecture. Cette soumission obligatoire rentre dans la filière administrative par laquelle chacun de nous doit passer.

Une fois vues et corrigées, les minutes de lettres sont remises à l'expéditionnaire qui est toujours mécontent du style. Les lettres, suivant lui, ne sont jamais assez laconiques. Il ne dit pas, comme certains ambitieux : « Si j'étais roi » mais il répète souvent : « Si j'étais rédacteur, les lettres ne retourneraient pas la page. »

Je serais, pour ma part, disposé à accepter le raisonnement de l'expéditionnaire, si le style administratif ne comportait aucun préambule, et si la plupart du temps ce préambule ne demandait pas une page à lui tout seul. Or, laissons l'expéditionnaire se plaindre à tort. Il ne sait pas, comme nous, que la paraphrase est l'art de bien rédiger, en fait de style administratif, et qu'il est indispensable de reproduire complètement la lettre à laquelle on répond, pour mériter le titre de bon rédacteur.

Mais c'est assez parler du style ; j'aurais l'air du marchand qui vante sa marchandise, et je me tairai, sinon par modestie, du moins pour qu'on ne me dise pas avec un sourire malin : « Vous êtes orfèvre, monsieur Josse. »



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