VOYAGE À LA NOUVELLE-ZÉLANDE,


PAR M. FERDINAND DE HOCHSTETTER[1].


1858-1860 — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS D’APRÈS DES DOCUMENTS ORIGINAUX.


VIII


Invitation d’un chef christianisé. — Visite au roi de la paix. — Coup d’œil sur le passé et l’état présent de la race maorie.

Au sud-ouest de Rotorua, est un vieux pah maori célèbre par les sources thermales qui l’avoisinent. Nous en étions encore à trois milles, la fumée d’un grand feu que mes gens avaient allumé sur une hauteur annonça, suivant la mode maorie, notre arrivée aux habitants du pah, qui m’invitèrent par écrit à les visiter.

Voici la lettre que m’adressa en cette occasion le chef Pini-te-Kore-Kore.

« À Hochstetter !

« Ami ! Je te salue. J’ai reçu une lettre du gouverneur qui m’apprend que tu es un hôte distingué, et m’engage à te recevoir amicalement. Viens donc, honorable hôte, viens tout droit dans mon village.

« Je n’ai pas besoin d’en dire davantage.

« Ton ami qui te salue cordialement.

« Pini-Te-Kore-Kore.
« À Hochstetter, chef de l’autre côté de l’eau, visiteur du ciel. »

Pini-te-Kore-Kore, le brave chef d’Ohinemuta, accompagné de ses vassaux, vint solennellement à ma rencontre. Vêtu à l’européenne, il était enveloppé d’un manteau, coiffé d’un chapeau de paille, et tenait une bannière blanche, portant cette inscription en lettres bleues : Sancta Maria, ora pro nobis. Quand nous eûmes fait environ vingt pas, il s’arrêta, s’inclina profondément, puis, ôtant son chapeau, il nous cria d’une voix forte le salut d’usage : Haeremai (viens) ! Je vins, je lui serrai la main, j’échangeai quelques paroles de politesse, puis je fus conduit dans le pah. Ma tente était déjà dressée, et le repas servi, car tel est l’usage chez les Maoris. Quelqu’un vient-il en visite dans une maison européenne, on lui demande s’il a faim, et seulement alors on prépare à manger. Il n’en est pas ainsi chez les Maoris ; lorsque des amis ou des étrangers arrivent de loin, les femmes du village commencent aussitôt à peler les pommes de terre, et quand la cérémonie de réception est terminée, le repas est prêt.

Dès que notre connaissance fut devenue plus intime, Pini-te-Kore-Kore fut extrêmement communicatif. Il avait entendu parler de la brillante réception faite à l’évêque catholique Pompallier, à bord de la Novara, à Auckland, et il souhaitait vivement que je pusse dire à mes amis qu’il était venu à ma rencontre avec la bannière catholique. Élevé dans l’école des Missions, fondée et dirigée par Mgr Pompallier, il était âgé d’environ trente ans, tatoué seulement dans le bas du visage ; et dans son extérieur aussi bien que dans ses manières, il avait beaucoup gardé de ses maîtres français. Il m’entretint jusqu’au soir des environs et de leurs habitants, ainsi que de maints combats meurtriers que ceux-ci s’étaient livrés.

Le 4 mai, Pini-te-Kore-Kore revint dans ma tente vers l’heure du déjeuner, et il m’invita d’un air solennel à une cérémonie singulière. Les hommes du village s’assirent en cercle ; dans le milieu était un cochon gras, lié à un poteau ; à côté se trouvaient six corbeilles de pommes de terre et de kumaras, et un grand sac de farine. Le chef s’avança dans le cercle, fit entendre quelques paroles amicales, et, prononçant mon nom, te rata Hokiteka, il toucha d’un bâton le porc, les pommes de terre et le sac de farine, qui me furent offerts en présent de sa part et de celle de sa tribu, à moi et à mes amis, d’après la coutume maorie. Le capitaine Hey remercia pour moi en langue indigène.

Après le déjeuner, je gravis la montagne Ngongotaha, et, arrivé au sommet, je pus jouir d’une vue magnifique, qui d’un côté s’étendait jusqu’aux rives de la baie Plenty sur l’Océan, et, de l’autre, jusqu’aux immenses nuages de vapeur blanche que vomissait l’île-volcan Whakari (l’île Blanche de d’Urville et le White-Island des Anglais). L’après-midi fut consacrée à la visite du pah de notre hôte, et à de longues digressions sur les origines et les coutumes passées de sa race.

Ayant appris de moi la visite que les chefs des environs d’Auckland avaient faite à bord de la Novara et les exercices guerriers dont ils nous avaient donné le spectacle, Pini-te-Kore-Kore me dit qu’à cet égard je n’avais rien vu, et que nulle mise en scène actuelle ne pouvait donner l’idée de l’horrible danse de guerre à laquelle se livraient ses ancêtres en présence de l’ennemi.

Danse de guerre des Maoris. — Dessin de Émile Bayard d’après Thompson.

« Alors, disait-il, l’armée entière, après avoir couru pendant une vingtaine de mètres, se disposait en lignes de cinq, dix, vingt et même quarante hommes de profondeur ; chaque groupe s’accroupissait, puis, soudain, à un signal donné par le chef, tous les guerriers se trouvaient debout, leurs armes à la main droite, et tous, avec la régularité d’un régiment sur le champ de manœuvre, levaient d’abord la jambe droite et tout le côté droit du corps, puis la jambe gauche et le côté gauche. Ensuite, rapides comme l’éclair, ils sautaient en masse à deux pieds au-dessus du sol, brandissant leurs armes en l’air et poussant des hurlements terminés par une espèce de long et profond soupir et accompagnés de toutes sortes de grimaces : bouche béante, narines gonflées, figure tordue, langue pendante ; ils remuaient leurs yeux en tous sens, et l’on peut dire qu’il n’y avait pas un de leurs muscles en repos. C’est de la sorte qu’ils se trémoussaient, marquant la mesure en frappant leur cuisse de la main gauche et en chantant diverses chansons. À ces mots de l’une d’elles : « Qu’ils fuient ! » les contorsions des danseurs devenaient effrénées.

« Bientôt les guerriers des deux armées, furieux jusqu’à un véritable désespoir, avaient mis bas toute leur défroque. Les guerriers célèbres se mettaient à appeler par leur nom et à provoquer d’autres guerriers dans les rangs ennemis ; les épithètes, les gestes insultants s’entre-croisaient ; enfin les deux partis, enflammés de haine et fous de rage, brandissaient leurs armes et se précipitaient, hors d’eux-mêmes, en poussant d’affreux hurlements, préludes d’un combat mortel. Chaque guerrier choisissait son ennemi et la bataille se transformait en d’innombrables combats personnels. Ces duels ne duraient pas depuis une minute que déjà l’un des deux partis avait pris la fuite, poursuivi par les vainqueurs, hurlant comme des chiens en chasse. L’armée qui avait tué le premier homme, chargé avec le plus d’énergie ou poussé les cris d’attaque les plus effrayants, réussissait souvent à remporter la victoire en frappant ses adversaires de terreur panique. La reculade se changeait en défaite et la défaite quelquefois en destruction.

« Après quelques minutes de poursuite, les vainqueurs revenaient sur le champ de bataille pour jouir de leur triomphe ; ils relevaient solennellement leurs morts, marquant avec une lance la place où chaque guerrier avait succombé. Les blessés étaient emportés sur des litières formées par deux brancards reliés l’un à l’autre. Les morts ennemis étaient cuits et mangés ; seul, le premier tué d’entre eux était mis à part pour les dieux ; les blessés ennemis étaient insultés et tués, et les chefs mourants, avant d’exhaler leur dernier soupir, étaient livrés à d’horribles tourments ; on leur sciait le corps, dans les parties les plus sensibles, avec des scies faites de dents de requin ébréchées ; on leur versait de la gomme de kauri sur la peau ; on les faisait cuire vivants. Les jeunes gens qui venaient de combattre pour la première fois étaient appelés par les prêtres, qui leur demandaient s’ils avaient ou non tué quelque ennemi.

« Telle était la vieille manière de combattre des Néo-Zélandais. Trente ans se sont écoulés depuis qu’on n’a plus vu de semblables rencontres ; aujourd’hui, ils se contentent généralement de se fusiller de loin.

« Une bataille comme celle que nous venons de décrire terminait, d’habitude, une campagne. Ceux des vaincus qui avaient échappé à la mort et à la captivité fuyaient dans les solitudes des forêts ou d’inaccessibles rochers. Les vainqueurs se gorgeaient, comme des boas constricteurs, de la chair de leurs ennemis, puis reprenaient la route de leur patrie, portant en triomphe les têtes sacrées de leurs chefs morts, et balançant, avec des cris insultants, celles de leurs ennemis, plantées au bout de leurs lances. Les femmes, restées à la maison, se précipitaient à la rencontre des triomphateurs, et, si elles avaient à déplorer la perte d’un mari ou d’un parent, elles tuaient, pour se venger, quelques prisonniers… Les têtes des chefs morts étaient soigneusement conservées intactes par d’ingénieux procédés et déposées au milieu des ossements des ancêtres pour en être retirées aux occasions solennelles et servir alors à exciter les guerriers à la vengeance. Les têtes sanglantes des ennemis étaient plantées au pied des palissades faisant le tour du village et on les injuriait en ces termes : « Tu voulais fuir, mais mon mère t’a arrêté du coup ; je t’ai cuit et mangé. — Et où est ton père ? — On l’a cuit ! — Et ton frère ? — On l’a mangé ! — Et ta femme ? — Elle est chez moi, devenue ma femme, a moi ! — Et tes enfants ? — Ah ! vois-les là-bas, chargés de fardeaux, esclaves sans retour !… »

Quand nous descendîmes le Waikato pour revenir à Auckland, le 21 mai, nous débarquâmes à Ngarnawania afin de rendre à Potatau la visite dont nous nous étions abstenus à notre premier passage.

Dans la première hutte ou nous entrâmes, nous vîmes le secrétaire privé du roi, Te Wetini Te Tekrahi, homme grand, robuste, au visage artistement tatoué, dont tout l’aspect annonçait la fierté et la résolution. Il nous reçut cordialement, fit aussitôt servir une collation aux Maoris de notre suite, et sortit pour annoncer au roi notre arrivée. Le palais de ce prince, hutte spacieuse et bien construite, dominée par le pavillon national, se trouve au sommet de la langue de terre comprise entre le Waikato et le Waipa, en sorte que la vue peut s’étendre sur ces deux fleuves. Quelques misérables huttes, éparses au milieu de buissons de fougère sauvage, forment le noyau de ce que devait être un jour, d’après le plan du parti royal, la capitale de la Nouvelle-Zélande.

Potatau nous fit dire qu’il était prêt à nous recevoir. Devant la porte de sa demeure, était une sentinelle avec une capote d’uniforme bleue, aux parements rouges, et aux boutons de laiton. C’était là la garde du palais. Nous entrâmes par une porte basse. Vingt personnes environ se trouvaient réunies dans la hutte ; à droite, dans un coin sombre, était assis sur une natte de paille un vieillard aveugle, à la tête courbée ; nous avions devant nous Potatau te Whero Whero, le roi maori. Sa figure, surchargée de tatouages, était belle et régulière ; sur le front, une cicatrice profonde révélait l’ancien guerrier qui avait pris part à plus d’une bataille sanglante. Enveloppé dans une couverture de laine d’un brun foncé, Potatau nous rendit notre salut par un léger mouvement de tête. Le capitaine Hey parla de notre voyage, mais le vieillard ne répondit pas un mot. Deux jeunes Maoris, très-avides de s’instruire des usages européens, prirent la parole à sa place. Un tout jeune homme, aux yeux noirs et brillants, nous fut présenté comme le fils du roi, et nous apprîmes que les princesses ses filles étaient, comme la Nausicaa d’Homère, occupées à laver. On nous invita à une collation, et, par une attention délicate, on nous offrit du requin séché. J’étais émerveillé de l’appétit des Maoris, cependant je ne pus prendre sur moi de toucher à ce mets, et je fus ravi, en sortant de la hutte royale, de respirer de nouveau l’air pur du dehors.

Maintenant, quelques mots sur l’hôte de ce palais sauvage et sur les causes qui avaient fait de ce vieillard infirme et aveugle le chef suprême d’une race guerrière et indomptée.

Dans le même moment où le principe de nationalité revendiquait ses droits sur la Péninsule italienne, aux antipodes les tribus maories se soulevaient au nom du même principe pour reconquérir leur indépendance. Dans la Nouvelle-Zélande, ce mouvement est déterminé par des causes bien évidentes, et qui proviennent de l’antagonisme des races indigènes et des immigrants européens. Aussi longtemps qu’il y aura parmi les Maoris une étincelle de vie et de sentiment national, le fait seul de leur décroissance et de la multiplication des étrangers, en leur faisant pressentir leur complet asservissement et leur entière absorption par une race plus puissante, doit les pousser à la résistance.

Types australiens en regard d’un type de femme maorie. — D’après M. F. de Hochstetter.

À l’époque de mon séjour dans la Nouvelle-Zélande, les journaux publiaient un grand nombre d’articles sous les titres de The Maori king movement et Land-league, pour attirer l’attention du gouvernement sur les efforts d’un parti national indigène qui cherchait à gagner toutes les tribus et à les soumettre à un même roi. L’élection de ce chef, chargé de rendre la justice aux naturels, avait pour but de supplanter la couronne anglaise dans ses droits de souveraineté, en même temps que, par le refus de vendre des terres au gouvernement, ils espéraient mettre obstacle aux progrès des colonies européennes. L’autorité n’accorda que peu d’importance à cette affaire. On prit tout cela pour des jeux d’enfant de la part d’un peuple qui, sortant de la barbarie la plus grossière, était tenté d’imiter puérilement en tout les Européens. On crut que la politique la meilleure et la plus sage était de fermer les yeux sur la royauté maorie. En agissant ainsi, disait-on, quand l’attrait de la nouveauté aura disparu pour les indigènes, ce roi de carnaval s’évanouira de lui-même. Mais « ce jeu d’enfant » a amené une lutte sanglante.

Bien qu’une guerre ouverte avec les Européens ne fût nullement dans les vues primitives des diplomates inventeurs du royaume maori, néanmoins toute personne douée de quelque pénétration pouvait voir qu’après l’excitation générale des esprits, entretenue par le parti national, la moindre occasion conduirait a des hostilités ouvertes.

Pendant mes voyages dans l’intérieur de l’île du Nord, j’ai eu, on l’a vu, l’occasion de faire la connaissance des chefs du mouvement et du roi lui-même. Je pus dès lors me convaincre facilement que l’agitation qui attirait à elle les indigènes était plus sérieuse et avait des racines plus profondes qu’on ne me l’avait dit à Auckland.

Un vieux chef du haut Waganni me développa un jour ses vues dans un long discours, sous la forme caractéristique qui suit : il prit une fougère, plante qui, à la Nouvelle-Zélande, croît partout en forme de buissons, la brisa en trois parts, l’une longue et les deux autres petites ; la longue tige figurait la Divinité ; il la plaça debout sur la terre ; les deux autres indiquaient le Maori et le Pakeha (Européen).

« Avant que les Pakehas ne vinssent, ajouta-t-il, nous nous regardions comme très-voisins de la Divinité et comme presque aussi élevés que notre Dieu. »

Et il planta la tige maorie tout près de celle de la Divinité.

« Mais quand les Pakehas arrivèrent, nous pensâmes qu’ils étaient plus élevés que nous ; nous croyions que le Pakeha était très-près de la Divinité. »

Et alors il plaça la tige pakeha près de la Divinité, et il éloigna la tige maorie et l’enfonça plus avant dans la terre.

« Mais aujourd’hui nous avons appris que le Maori et le Pakeha proviennent de la même source, qu’ils viennent de Dieu, qu’ils ont tous deux de bonnes et de mauvaises qualités, et qu’ils sont tous deux égaux devant Dieu. »

En même temps il mit les deux petites tiges à côté l’une de l’autre, devant celle qui les dépassait de beaucoup et figurait la Divinité.

« Pakeha et Maori sont égaux entre eux, ils ont tous deux des droits égaux, et il est bien naturel que les Maoris aient aussi, comme les Pakehas un roi de leur langue et de leur sang. C’est pourquoi nous avons choisi un roi parmi les nôtres, un roi des Maoris, afin qu’il représente nos droits. »

Tels étaient les discours du vieillard, et tous les adhérents du parti royal pensaient comme lui.

Chef maori. — D’après M. F. de Hochstetter.

Quant au vieux Potatau, il pressentait que la paix avec les Européens pouvait être troublée, et il exprimait en toute occasion le désir qu’elle fût maintenue. Il ne se laissait pas appeler roi des Maoris, mais il se donnait le titre officiel de Te Kingi ote Marietanga-tuarna, c’est-à-dire deuxième roi de la paix, faisant ainsi allusion à Melchisédech, le roi de la paix de l’Ancien Testament. Et comme on arborait en grande cérémonie, devant l’habitation royale, le nouveau pavillon national composé d’un fond blanc bordé de rouge, avec une croix rouge et trois étoiles au-dessous de l’inscription : Nuitireni, c’est-à-dire Nouvelle-Zélande, on désigna ces trois étoiles comme le symbole des trois principes du nouveau royaume : Wakapono, aroha, ture, c’est-à-dire croyance, amour et loi. Cela signifiait que le royaume n’était pas un retour à l’ancien paganisme, mais que les défenseurs du nouvel étendard, puissants et fortifiés dans la lutte avec l’aide de Dieu, apporteraient la fraternité, l’unité et l’amour à toutes les tribus maories, au lieu de la guerre et des anciennes inimitiés ; que la loi et la paix régneraient non-seulement parmi les indigènes, mais encore entre eux et les Européens.

Ainsi pensait et parlait alors le roi maori : « La royauté, c’est la paix. » Mais Potatau n’avait que le prestige de son nom, c’était en réalité un faible vieillard. Les hommes d’action étaient de jeunes chefs résolus qui s’intitulaient les ministres du roi, et à leur tête, en qualité de premier ministre, se trouvait un homme très-habile et très-énergique de la tribu des Ngatihahuas, William Thompson, ou le faiseur de rois, comme on le surnommait généralement. Âgé de quarante ans, chrétien zélé et fort versé dans la Bible, il est à la tête de l’insurrection actuelle.

L’élection du roi maori avait été déterminée, seulement par le sentiment national et un besoin dépendance qui se faisait jour chez les Zélandais, aussi par un mécontentement croissant contre le gouvernement anglais. Ce mécontentement s’était amèrement manifesté par des plaintes publiques qui, malheureusement, dans beaucoup de cas, n’étaient que trop fondées ; et comme leurs plaintes n’avaient pas été entendues, les Maoris cherchaient les moyens de mettre eux-mêmes un terme à leurs griefs.

Le parti royal gagna rapidement du terrain, et chercha à organiser les forces des indigènes. Wiremu Tako de Taranaki, habile et prudent politique, parcourut le pays, et, par son éloquence, sut réunir les tribus jusque là divisées. Des contributions payées avec empressement par les Maoris assurèrent au roi une dotation annuelle, et aux ministres les ressources nécessaires. Ngaenawahia, position très-avantageuse au confluent du Waikato et du Waipa, fut désignée comme la future capitale des indigènes. De là, le roi, ou plutôt son conseil, aplanissait les difficultés qui s’élevaient entre les Maoris ; c’est là qu’on donna l’ordre d’arborer le pavillon national dans le port voisin de Kawhia, sur la côte occidentale, et que l’on résolut d’établir un droit sur tous les vaisseaux européens qui jetteraient l’ancre en ce lieu ; c’est de là que les enfants de pères européens et de mères maories, surtout les jeunes filles qui étaient au service de familles européennes, reçurent l’ordre de revenir sous le giron de leurs mères. Cependant, le gouvernement voyait ces choses d’un œil indifférent, et il demeurait tellement inactif en face de tout ce qui se passait sous ses yeux dans l’intérieur du pays, que les missionnaires anglais eux-mêmes, quand ils avaient des sujets de plaintes contre les indigènes, aimaient mieux demander justice au roi maori qu’au tribunal d’Auckland.

Un chef influent du Waikato avait formé une association appelée Land league qui poursuivait un but analogue à celui du parti royal, en cherchant à empêcher les indigènes de vendre de nouvelles terres au gouvernement anglais.

Avant le traité de Waitangi, les chefs avaient souvent donné des districts tout entiers pour une ou deux livres de tabac ou pour quelques pièces d’étoffe. Après ce traité, le gouvernement payait en moyenne un shilling par acre aux indigènes ; mais leurs prétentions s’élevèrent d’année en année. On leur disait : « La terre ne vous a pas été donnée par Dieu pour que vous la laissiez en friche, car il est écrit dans la Bible que l’on doit cultiver la terre afin qu’elle rapporte cent pour un. » Les Maoris répondaient : « Oui, mais il n’est écrit nulle part que nous devons vous la vendre un shilling l’acre. »

En août 1859, ce mouvement s’était déjà étendu dans l’île depuis le nord jusqu’au sud ; un grand banquet maori eut lieu près de Wellington, dans la vallée de Wairarapa ; l’irritation survenue entre les indigènes et les colons avait alors atteint un tel degré, que beaucoup de ces derniers s’enfuirent à la ville, et que le Wellington Independant, sonnant l’alarme, demandait à quoi devaient servir les tonneaux de poudre rassemblés par les indigènes, et comment ils pouvaient acheter des cargaisons d’armes à feu.

Une vente de terres, sur la côte sud-ouest de l’île du Nord, dans le district de Taranaki, fournit le premier prétexte des hostilités, bien qu’il ne se fût pas formé encore en cet endroit un parti royal proprement dit. Un indigène de Taranaki, du nom de Te Teira, avait vendu au gouvernement une pièce de terre de six cents acres à Waitara, dans le voisinage de New-Plymouth capitale de la province de Taranaki. Mais Wiremu Kingi, (William-King) chef aussi brave que résolu, s’opposa à ce marché d’après le motif que Te Teira n’avait pas le droit de vendre la terre sans son consentement, et il empêcha l’arpenteur envoyé par le gouvernement de mesurer le terrain vendu. Quand l’arpentage eut eu lieu sous la protection des troupes anglaises, vers le milieu de mars 1860, Kingi aidé par ses partisans, construisit en une nuit sur le sol débattu un pah, c’est-à-dire un camp retranché, formé de fossés et de palissades, et reprit possession de la terre. Le 17 mars, ce pah fut enlevé par les troupes que commandait le colonel Gold ; et le premier coup de feu partit du côté des Européens qui, d’après les idées des naturels, devenaient ainsi responsables de tout le sang qui serait versé par la suite. Les journaux nous ont depuis informé des alternatives de la lutte. Les indigènes ont été vaincus, sans doute, mais au prix de beaucoup de sang.

  1. Suite et fin. — Voy. pages 273 et 289.