Vieilles servantes flamandes (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 48-51).


VIEILLES SERVANTES FLAMANDES


 

Sur le métier des jours systématiques

Les servantes, Normes antiques,
Tissent le mal, tissent le bien,
Dont est faite la vie égale et mince
De la province.
Autant de fils, autant de liens !
Et la navette ardente et rude
Allant, venant,
Trame l’imperméable vêtement

Des habitudes.


Avec la pâle et vieillotte clarté

De leur cerveau pieux et entêté,
Les servantes jugent, blâment ou louent ;

Toute la ville est traînée à la barre,
Chaque matin qu’un scandale se carre
Les deux pieds dans sa boue.


Elles serrent, sous leur noir bonnet,

La vigilance aiguë et sombre,
Et leur œil dur surveille et reconnaît,
Rien qu’à leur ombre,
Tous ceux qui passent,

Sur le trottoir d’en face.


Ce que disent les murs,

Ce que dévoilent les fenêtres,
Leur angoisse veut le connaître.
Dessous fangeux, recoins obscurs,
Elles flairent comme des chiennes
L’existence quotidienne
Des plus humbles et des plus hauts ;
L’ample ménage du notaire
Et la famille du vicaire
Et les affaires du bedeau,
Tout est raclé sous les limes falotes

Et féroces de leurs parlotes.


En mantelets profonds et noirs,

Le dimanche, elles vont au prêche ;
Au temps des offices, le soir,
Elles longent, dignes et rêches,
L’égout qui luit près du trottoir ;
Elles causent et s’attardent sous les poternes
En groupements obscurs,
Et la lueur oblique des lanternes

Double leur geste au long des murs.


Dites, avec quel soin, avec quel zèle !

Dites, depuis quel temps !
Elles servent invariablement
Un vieux curé maussade et impotent
Ou quelque vieille demoiselle ;
Ou bien encor, le marguillier, chrétien fervent
Qui tous les jours entend la messe,
Puis s’en revient, par le couvent,
Saluer, ponctuellement,

La chanoinesse.


Ainsi vivent-elles les servantes, là-bas,

À Dixmude, Courtrai, Lierre, Deynze ou Termonde,
Serrant la vie et mesurant le monde,
Avec leur aune vieille ou leur pauvre compas ;

Ainsi mènent-elles brouter leurs existences
Au petit pré de leurs désirs,

Aimant les jours de fête où l’on prie à loisir
Et les matins de jeûne où l’on fait pénitence,
Et ne rêvant à rien sinon au clair moment
Où l’on célébrera leur bel enterrement
Avec le grand drap blanc et les quatre grands cierges

Gardant leur corps et affirmant qu’il resta vierge.