Librairie Hachette (p. 251-261).


Encore pâle, le petit garçon entra.

XVIII

Tout est bien qui finit bien.


Le lendemain matin, M. de Brides fit appeler Jacques dans son fumoir. Encore pâle et mal remis de ses mésaventures, le petit garçon entra.

M. de Brides.

Jacques, mon enfant, je ne t’ai pas grondé hier, malgré la faute, bien grave cependant, dont tu t’es rendu coupable. Deux fois coupable, comme disait le commissaire, car, non seulement tu désobéissais, tu te montrais ingrat envers moi, tu m’offensais cruellement, mais encore tu avais amené ta sœur à en faire autant, car jamais Gina, la pauvre petite, n’aurait rien imaginé de pareil : elle en est tout à fait incapable.

Jacques.

Oh ! oui, papa, c’est bien vrai, c’est moi qui ai tout fait.

M. de Brides.

Bien, Jacques, cet aveu courageux rachète un peu ta mauvaise conduite. Ta punition a été assez forte, je n’y saurais rien ajouter. Je veux seulement te faire connaître une décision irrévocable que je viens de prendre : c’est de te mettre au collège.

Je connais le directeur du collège La Fontaine, à Paris. C’est un excellent homme, qui a été mon camarade autrefois, à Louis Le Grand. Les élèves, qui composent sa maison, appartiennent tous à des familles honorables, et les études y sont fort soignées.

Jacques, suppliant.

Oh ! papa !…

M. de Brides.

Ne m’interromps pas, mon enfant.

Encore une fois, je te le répète, ce n’est pas une punition, mais, là, tu prendras des habitudes de régularité, de travail et de soumission dont tu as grand besoin. Tu es plutôt en retard pour ton âge : il est temps que tu te mettes à travailler sérieusement, car je souhaite vivement que tu fasses comme moi, que tu passes par l’école de Saint-Cyr, pour être militaire.

Cette perspective, qui plaisait à Jacques, releva son courage.

Jacques.

Saint-Cyr ! oh ! oui, papa, mais pourrai-je y arriver ? On dit que c’est si difficile !

M. de Brides.

Oui, certes, tu y arriveras si tu le veux, et même dans un bon rang : j’en réponds, il s’agit seulement de piocher ferme.

Jacques.

Je travaillerai, papa, vous verrez ça.

M. de Brides.

C’est bien, mon enfant, je retiens cette bonne parole. Je vais maintenant te dire quelque chose qui te fera plaisir.

Lorsque j’ai parlé de collège, ce matin, à ta belle-mère, elle s’est presque jetée à mes genoux pour me supplier de ne pas t’y mettre, mais je suis resté inébranlable, car, ce que j’en fais, c’est pour ton bien uniquement. Elle a seulement obtenu que nous prendrions un appartement à Paris, afin de te faire sortir les jours de congé et d’aller te voir, au parloir, tous les jeudis et tous les dimanches. À cela, par exemple, j’ai consenti très volontiers.

Jacques remercia son père, avec effusion et reconnaissance.

Les jours qui suivirent ne furent pas bien gais : le frère et la sœur étaient tristes, à l’idée de la séparation prochaine, mais Jacques sentait si bien la sagesse de la décision de son père qu’il parvint à en persuader Gina, ce qui, le jour du départ, empêcha les larmes de couler trop abondamment. D’ailleurs, n’allait-on pas se retrouver, bientôt, à Paris ?

Des semaines, des mois s’écoulèrent : M. et Mme de Brides étaient à Paris, ainsi que Gina. Ils habitaient avenue Montaigne. Jacques, à Passy, au collège La  Fontaine, s’était vite habitué à la vie de pension et travaillait avec une incroyable ardeur ; aussi M. et Mme de Brides étaient-ils heureux, les jours de congé, de le récompenser par quelques distractions.

Quant à Gina, elle faisait ses études sous la direction de Mlle Laurier, charmante personne, nièce de la maîtresse de pension de Mlle Herminie, qui l’avait chaudement recommandée à Mme de Brides, comme gouvernante.

Autant Gina était, autrefois, malingre et souffreteuse, autant, à présent, grâce aux soins intelligents dont on l’entourait, elle devenait vigoureuse et bien portante. C’était une transformation.

Elle aussi avait pris goût au travail, avec Mlle Laurier, ainsi qu’aux arts d’agrément que Solange se donnait la peine de lui enseigner. Oh ! sa belle-mère, elle l’aimait tendrement ! Avec quel bonheur elle l’appelait Maman, comme le jour où, pour la première fois, dans la voiture, elle s’était réveillée dans ses bras !…

Jacques aurait bien voulu en faire autant, mais un excès d’amour-propre le retenait. Cela ne l’empêchait pas d’apprécier les belles et nobles qualités de Mme de Brides qui avait si bien su conquérir tous les cœurs autour d’elle : son mari, les domestiques, Lison elle-même, l’adoraient ; il n’était pas jusqu’à Mme de Hautmanoir qui ne cessât de dire : « Dieu soit loué ! dans ma vieillesse, il m’a rendu une fille ! Et il a donné, à mes petits-enfants, une seconde mère ! »

Une année après son entrée au collège, Jacques fit sa première communion, il s’y était préparé très sérieusement, maîtrisant son caractère emporté, essayant de se corriger de ses défauts : il accomplit ce grand acte avec beaucoup de piété et de recueillement.

Les vacances arrivèrent. Toute la famille de Brides alla prendre les bains de mer à Dinard. On y devait passer le mois d’août et, de là, se rendre à la Saulaie pour y rester, pendant tout le mois de septembre, auprès de Mme de Hautmanoir qui se réjouissait de voir « ses quatre enfants », comme elle disait, réunis autour d’elle. On se promettait également un pèlerinage au Mont Saint-Michel, avec visite à Mlle Virginie et au bon Père Paterne heureusement toujours de ce monde.

Un jour, Mme de Brides était avec Jacques et Gina sur la plage. Celle-ci sortait du bain que son frère prolongeait avec plaisir. Elle regagnait sa cabine accompagnée de sa belle-mère :

« Ne vous écartez pas du bord, Jacques, lui avait crié Mme de Brides, avant de s’éloigner.

— Non, non, lui avait-il répondu ; je veux m’exercer un peu à nager, l’eau est si bonne ! »

Tout à coup retentirent des cris d’épouvante poussés par les promeneurs.

Mme de Brides, ouvrant précipitamment la porte de la cabine.

Qu’y a-t-il ?

Un vieux Monsieur.

C’est un petit jeune homme qui vient brusquement de disparaître dans la mer. Il était là, nageant bien tranquillement ; un instant il a plongé et n’a plus reparu. Sans doute, il aura été emporté par le courant.

Mme de Brides, cherchant Jacques des yeux.

Ah ! mon Dieu, c’est lui, c’est Jacques !…

Et, sans perdre une seconde, elle arracha son chapeau, laissa glisser sa longue robe, et, vêtue seulement d’un jupon court, s’élança dans les flots.

Elle avait aperçu comme un petit remous vers lequel elle se dirigea rapidement, car elle était bonne nageuse.

Elle y fut en quelques brasses, vit le corps de Jacques qui flottait entre deux eaux et le saisit par la ceinture ; mais ce corps était inerte, il ne s’aidait en aucune façon. Elle eut soin de mettre la tête de l’enfant hors de l’eau, le chargea sur ses épaules et revint ainsi vers la rive.

Tout cela n’avait duré que quelques instants à peine. Mais la frayeur sans doute et l’eau de mer qu’il avait avalée avaient fait perdre connaissance à Jacques.

Les promeneurs s’empressèrent pour lui porter secours. Quelques frictions et un peu d’eau-de-vie, qu’on fit pénétrer à grand’peine entre ses dents serrées, le ranimèrent. Quand il ouvrit les yeux, la première personne qu’il aperçut, anxieusement penchée sur lui, c’était sa belle-mère, les cheveux épars, toute ruisselante, affreusement pâle : c’est elle qui lui avait sauvé la vie, sans elle il était noyé !…

Un grand attendrissement le prit, il lui saisit la main et la baisa : « Maman ! chère, chère maman ! » lui dit-il, en sanglotant !…

Les promeneurs pressaient Mme de Brides d’aller se changer, car elle était glacée et claquait des dents.

On lui jeta un châle sur les épaules, mais il était trop tard, elle avait pris un refroidissement : une fluxion de poitrine se déclara.

Deux jours plus tard, elle était aux portes du tombeau.

Jacques la soigna avec un dévouement filial tout à fait touchant et ne voulut prendre de repos que lorsque tout danger fut écarté.

Dès lors, elle trouva en lui un fils très tendre, très respectueux et n’eut jamais le plus léger reproche à lui adresser.

Deux ans plus tard, les enfants eurent une grande joie : il leur naquit une sœur que l’on nomma Rose. Gina en prit soin, comme une petite mère.

Jacques l’aimait bien également, mais il eût voulu un frère à élever, à son tour ; il fut servi à souhait. Un petit Serge vint au monde. Jacques, cette fois, fut au comble du bonheur : « On peut compter que j’en ferai un solide gaillard, déclara-t-il, c’est moi qui lui apprendrai à monter à cheval, à faire des armes, et, quand il sera grand, lui aussi sera Saint-Cyrien. »

Et les années passèrent… Sans doute nos petits amis ne furent pas toujours heureux. La vie leur réserva des épreuves, comme à tout le monde, mais, en toute occasion, ils venaient se retremper au sein de la famille, sûrs d’avance qu’ils étaient d’y trouver sages conseils, appui et réconfort.

C’était pour eux un grand bonheur : ils surent l’apprécier, et, constamment, se montrèrent reconnaissants envers celle qui avait aidé leur père à relever le foyer domestique un moment détruit.