Librairie Hachette (p. 111-116).


Elle fut bien surprise de voir sortir de cet œuf un petit animal.

X

Histoire de Fanfan.


Il y avait une fois une poule blanche ; elle avait de jolies plumes bien lisses, un bec et des ongles fort brillants, comme toute poule bien propre qui se respecte ; de beaux yeux ronds et l’air étonné.

Depuis quelques semaines, elle couvait avec ardeur un gros œuf. Un jour, elle fut bien surprise de voir sortir de cet œuf un petit animal qu’elle se mit à aimer de tout son cœur. C’était son premier-né, elle le nomma Fanfan.

Malgré toute sa tendresse et tout son désir de le trouver gentil, elle ne pouvait s’empêcher de constater qu’il avait les pattes bien grosses et d’une singulière forme, ainsi que le nez bien long, bien large. C’était aussi l’avis général, dans le poulailler ; et, un vieux coq, passablement moqueur, s’étant mis un jour à chanter en regardant Fanfan :

Ah ! quel nez ! ah ! quel nez !
Tout l’monde en est étonné !

la pauvre mère sentit l’indignation la gagner et les larmes lui montèrent aux yeux.

Elle éleva Fanfan avec grand soin, lui apprit à faire sa toilette, à se nourrir et l’avertit de tous les dangers qu’il fallait éviter : « Les renards d’abord, lui dit-elle, les fouines, les rats, tous ces affreux animaux qui sont les ennemis nés de notre race ; les chiens également, plusieurs d’entre eux sont méchants ; les enfants aussi, quelquefois ; et surtout, oh ! surtout, les automobiles qui écrasent si impitoyablement et sans se gêner les malheureuses volailles. »

Fanfan se mit à rire.

« Que vous êtes peureuse, ma pauvre maman, lui dit-il en nasillant.

— Il n’y a pas là de quoi rire, Fanfan, » repartit sévèrement la mère.

Fanfan ne répliqua rien et la conversation en resta là. Quelques semaines passèrent, Fanfan devenait fort et vigoureux ; sa maman l’emmenait promener loin des routes, de peur des fâcheuses autos qui l’épouvantaient tant, car, il faut le dire, un jour elle l’avait échappé belle !

Elle se promenait tranquillement, picorant de-ci de-là, dans le chemin, lorsque, au milieu d’un nuage de poussière, une de ces terribles voitures avait tout à coup fondu sur elle avec un bruit d’avalanche.

Étourdie par la trompe du wattman qui cornait avec rage, aveuglée par la poussière et la fumée, folle enfin, elle courait tout droit devant elle sans savoir où se garer… Une seconde plus tard, anéantie, stupide, éprouvant dans la patte gauche une vive douleur, elle se retrouva toute seule sur la route, tandis que l’automobile disparaissait à l’horizon. Un instant, elle se crut la patte cassée. Elle n’était heureusement que fortement contusionnée, et la petite poule blanche revint à la basse-cour.

Fanfan ignorait tous ces détails qu’elle se réservait de lui raconter plus tard, quand il aurait l’âge de raison et qu’il comprendrait les choses.

Il se promenait donc à côté d’elle, en se dandinant d’une façon disgracieuse dont rien, jusqu’ici, n’avait pu le corriger. « Marche donc droit, Fanfan », lui disait souvent sa mère.

Fanfan essayait, mais c’était en vain. De même, elle eût voulu le corriger de cette façon affreuse de parler du nez, mais, là encore, elle échoua comme pour le reste.

« Allons du côté de la mare, dit Fanfan, par un beau matin ensoleillé, c’est bien plus amusant. — Mais volontiers, mon fils, lui répondit la poule, l’idée est excellente, nous trouverons, de ce côté, de bons petits vermisseaux dont nous nous régalerons tous les deux, » et, vite, ils allèrent vers la mare où s’ébattaient joyeusement canards et poules d’eau.

« Pas si près, mon enfant, lui dit sa mère en le voyant se pencher sur le bord ; ma parole, on dirait qu’il veut aller se baigner. »

Fanfan, en effet, paraissait attiré par cette eau d’une façon irrésistible. Tout à coup, il n’y put tenir. « Coin, coin, coin, coin, coin », répondit-il à sa mère, en s’élançant dans la mare, et tous les canards, à cette vue, de pousser à l’unisson de retentissants « coin, coin, coin !!! ».

La pauvre poule, restée sur la rive, s’arrachait les plumes de désespoir. Un moment, elle chercha à se jeter à l’eau pour secourir son petit ; le vieux coq moqueur, qui passait par là, l’arrêta et lui dit en ricanant : « Mais, sotte que vous êtes, ne voyez-vous pas que cet enfant est un canard ?

— Un canard ? vous voulez plaisanter, riposta la poule blanche profondément blessée.

— Moi, plaisanter ? mais non certes ; ne le saviez-vous pas que la fermière avait trouvé, près de la mare, un œuf abandonné par une cane et qu’elle l’avait mis dans votre nid ? »

La poule blanche en restait abasourdie : « C’est donc pour cela, gémit-elle, que Fanfan avait le bec si large et les pieds si différents des miens, des pieds palmés ! »

Pendant les jours qui suivirent, elle eut, à ce sujet, le cœur très gros, mais, malgré tout, étant juste et bonne, elle se fit une raison et continua à se montrer, pour Fanfan, la plus tendre des mères.

Fanfan, de son côté, ne fut pas ingrat : il devint un grand et beau canard et entoura, jusqu’à la fin, la poule blanche de prévenances filiales et de respect.