Une poignée de vérités/Quelle doit être l’attitude des Français ?

Imprimerie Gagnon, éditeur (p. 104-110).


XVI

QUELLE DEVRAIT ÊTRE L’ATTITUDE DES FRANÇAIS ?


Quant à nous, notre rôle est tout tracé : nous savons que si l’on parle français dans l’Amérique du Nord nous le devons à nos Canadiens. Ce ne sont pas les groupes de l’« Alliance Française » qui suffisent à maintenir là-bas notre langue. Certes, l’effort de ces groupes est efficace ; malheureusement, outre qu’ils ne sont pas encore assez nombreux, chacun d’eux, sauf cinq ou six, ne compte qu’un très petit nombre de membres parlant français couramment.

Les Canadiens-français, au contraire, sont le nombre et s’accroissent tous les jours. De soixante mille ils sont devenus quatre millions. Nous, Français, ne devons-nous pas être fiers de cette extension en songeant que, sur ce sol encore jeune, tant de nations se disputent la préséance, et prétendent imposer leurs coutumes et leurs mœurs ? L’avenir de la France dans l’Amérique du Nord est intimement lié à l’avenir des Canadiens-français. Ceux-ci joueront là-bas le rôle civilisateur que la France a joué en Europe.

Mais il faut que la France s’intéresse davantage aux efforts et aux luttes de ses enfants exilés.

Malheureusement, elle semble actuellement s’en être complètement détachée. Parle-t-on de supprimer le français dans les écoles, ou de ne lui accorder que de courtes heures par semaine ? Elle n’intervient pas, elle ne proteste pas.

Au moment où notre alliance avec l’Angleterre et les États-Unis vient de se sceller dans le sang, il semble qu’elle pourrait invoquer les droits de l’amitié et les principes de liberté. Pourquoi ne le fait-elle pas ? Il y a là peut-être des empêchements diplomatiques, que je ne puis deviner : un chansonnier ne fera jamais qu’un piètre politicien.

Cependant, si pour une raison ou pour une autre nous devons ne pas intervenir, faisons au moins sentir à nos frères d’outre-mer que nous sommes avec eux de tout cœur, que nous prenons notre large part de leur misères comme de leurs joies.

On a osé dire que les Canadiens-français n’aimaient pas la France : c’est de l’adoration, passez-moi le mot, qu’ils ont pour elle ; jamais ils n’ont oublié leur mère-patrie. C’est précisément de quoi ils souffrent, c’est ce que leur reprochent encore et toujours les Canadiens-anglais.

Quels sont les Canadiens-français qui n’ont pas rêvé de venir un jour chez nous, de parcourir la Bretagne, la Normandie ou la Saintonge pour voir s’ils ne se trouveront pas un arrière cousin, un neveu, ou quelque parent inconnu ?

En 1880, sept ans après notre désastre, voici ce qu’ils se disaient encore entre eux. C’est encore Sir Wilfrid Laurier qui parle : — « C’est lorsque nous arriva la nouvelle des premiers désastres de l’armée française que nous sentîmes combien nous étions Français. Qui ne se souvient d’avoir vu, dans ces jours funestes, toute la population française de Québec, massée autour des bureaux de journaux, attendant, dans une poignante anxiété, que le télégraphe transmit le résultat des batailles livrées la veille sur le sol de l’antique mère-patrie ? Qui ne se souvient de ces foules énormes enfiévrées par l’angoisse, et que cependant la moindre lueur d’espoir faisait frissonner d’émotion, et qui ne se dispersaient que lorsque le doute n’était plus possible en face de la fatale vérité ? Et lorsqu’arriva la catastrophe suprême, lorsqu’il fallut nous rendre à l’évidence, lorsqu’il fallut nous résigner à croire que la Lorraine et l’Alsace allaient être séparées de la France, j’en appelle à vos souvenirs, Messieurs, si on nous eût enlevé à nous-mêmes un de nos propres membres, n’est-il pas vrai que nous n’aurions pas souffert plus cruellement ? » —

Il faut l’avouer, puisque nous avons promis une poignée de vérités, ce que le Canadien-français n’aime pas c’est notre gouvernement de francs-maçons et d’athées, qui ont inauguré l’école sans Dieu, la séparation de l’Église et l’expulsion des religieux. Ils savent que si le Canada revenait à la France ce serait la fin de leurs libertés. Aussi ne demanderont-ils jamais à redevenir citoyens français. Mais ils continueront à aimer la France, la France catholique qui n’est pas morte, (heureusement !) d’un amour profond, solide, indéracinable !

J’ai vu des Canadiens bien angoissés et prêts à pleurer, à l’annonce de la stupéfiante avance des Boches sur Paris. Ah ! si la France avait pu se permettre un appel aux Canadiens-français sous les plis de son drapeau !

Aujourd’hui plus que jamais nous devrions faire sentir à nos cousins Canadiens toute notre sympathie, car, aujourd’hui les attaques contre notre langue se font plus terribles, plus acharnées ! Ils luttent là-bas, ils se défendent pied à pied. Leur ténacité, leur courage, leur héroïsme sont admirables. On peut dire qu’ils sont devenus dans toute l’Amérique du Nord, les champions de la civilisation française. Ils ont affronté sans peur le plus grand péril qui se soit dressé devant eux : l’anglicisation et l’américanisation. Ils sont décidés à le combattre et à le vaincre. Canadiens-français ou Canadiens-américains, tous sont d’accord pour la défense de la langue. Une organisation vigoureuse et puissante a jailli spontanément aux États-Unis. C’est la « Ligue du Ralliement Français en Amérique ». Je ne connais rien de plus beau, de plus simplement noble que le programme de cette Ligue. Il n’est pas permis à un Français de France de l’ignorer : il ne pourra le lire sans se sentir ému jusqu’au plus profond du cœur : « L’heure est grave pour tous les Français d’Amérique. Nous sommes menacés dans nos intérêts les plus chers. Le problème qui se pose devant nous peut se définir à l’aide des mots célèbres : Être ou ne pas être. Un vaste mouvement d’anglicisation par l’école se prépare : en certains milieux, il est déjà lancé. La vague d’assaut s’en vient, et ses larges ondulations balaieront, si nous n’y prenons garde, le trésor sacré de notre langue maternelle. C’est au nom d’un sophisme que se fait cette campagne : Sous prétexte de nous américaniser ou de nous angliciser, l’on veut nous frapper de mort ; et jamais peut-être le noble mot de patriotisme n’aura davantage été profané, car il sert ici à couvrir un plan qui est la négation pure et simple de ce sentiment. »

« En conséquence, nous Français d’Amérique, reconnaissons la nécessité d’organiser une résistance pacifique, ferme, loyale, aux tentatives d’assimilation qui se voilent sous des apparences illogiques et trompeuses. Notre patriotisme a toujours été au-dessus de tout reproche ; notre adaptation à la langue anglaise s’est toujours accomplie avec une facilité qui a étonné ceux-là seuls qui ignoraient que, la langue française étant la source et comme la racine de l’anglais, savoir le français donne la clef du parler anglais. Quant à renoncer à cultiver notre langue maternelle dans nos écoles, quant à la supprimer de notre enseignement primaire, cela, non possumus, nous ne le pouvons pas, pour toutes sortes de raisons : ce serait abdiquer notre âme, nos traditions, notre passé ; l’apostasie sur ce point entraînerait l’apostasie religieuse, ou en tout cas une grave diminution de nos convictions catholiques, notre langue, pétrie de catholicisme, étant la gardienne de notre foi ; les États-Unis comme le Canada perdraient eux-mêmes à cet abandon, parler deux langues valant mieux qu’en parler seulement une, et la langue française étant considérée comme la plus riche et la plus glorieuse de toutes les langues modernes, comme la langue de la diplomatie et des relations internationales, comme la plus haute expression de la civilisation humaine. »

« Forts de nos droits imprescriptibles, nous avons fondé la Ligue de Ralliement Français en Amérique, pour les affirmer respectueusement et clairement en face de tous, pour travailler à les restaurer là où ils ont été méconnus, à les maintenir et à les affermir là où ils nous sont encore assurés, à empêcher qu’on y touche là où l’on n’a pas encore osé le faire. »

Rester indifférent en de pareils moments, ne pas faire clairement sentir à nos frères que nous suivons leurs efforts avec passion, que nous les approuvons, que nous les soutenons, c’est faire le jeu des assimilateurs, c’est consentir lâchement à l’anéantissement de l’influence et du génie français !