Un instituteur nègre à Tombouctou

Un instituteur nègre à Tombouctou
Revue pédagogique, premier semestre 18817 (p. 276-287).

UN PROFESSEUR NÈGRE À TOMBOUCTOU
xvie siècle


Tandis que les sciences arabes se développaient en Orient, avec la même rapidité que les conquêtes, il se formait en Afrique un second centre d’arabisme, moins florissant peut-être, à cause de la différence des langues, mais aussi actif que l’apostolat. À la suite des commerçants, qui furent les premiers missionnaires, le Koran entra dans les régions du Soudan, quelques années après la mort de Mahomet, et les esclaves, transportés, les uns en Égypte, les autres à la Mekke, furent-convertis, affranchis, puis instruits et employés comme agents de civilisation parmi leurs compatriotes. Ce qui nous autorise à supposer l’existence de ce mode de pénétration, c’est que, pendant les premiers siècles de l’hégire, il s’était établi un courant d’émigration entre la Nigritie et les lieux saints, et que plusieurs générations de nègres sont allées successivement compléter leurs études, soit au Caire, soit à la Mekke. La présence de la langue arabe est partout en Afrique, à l’heure qu’ilest, la preuve d’une certaine civilisation, et c’est grâce à l’arabe que ce continent possède quelque littérature. Aussi cette langue a-t-elle exercé sur les idiomes indigènes une influence considérable : le berber, les langues du Zanzibar, du Sénégal et de la Guinée n’ont point échappé à cette action envahissante du Koran, qui, à chaque station, établissait une école en signe de victoire.

La notice que je publie ici est extraite d’un livre rédigé à Tombouctou, vers la fin du xvie siècle, par un érudit de face noire, qui professa longtemps dans sa ville natale, et même au Maroc, à la suite de sa captivité. On y trouvera la révélation d’un mouvement littéraire au milieu de peuplades qui étaient regardées comme abruties par le fétichisme. Nous possédions bien des renseignements sur les productions du sol et sur le commerce de cette contrée presque mystérieuse ; nous en avions aussi sur les mœurs des indigènes ; mais de leur vie intellectuelle quelques faibles notions nous étaient à peine parvenues. Ibn-Batoutah et El-Bekri sont les seuls géographes qui nous aient laissé une description permettant de reconnaître la domination de l’islamisme dans la Nigritie. De son côté, l’historien Ibn-Khaldoun rapporte avec fidélité quélques notes qu’il tenait des cheikhs Otman et Ibn-Ouaçoul. La science serait donc réduite à ces éléments incomplets, sans la découverte du livre d’Ahmed-Baba, le Tombouctien.

Nous avons plusieurs biographies de lui ; les plus connues sont la notice écrite par Abou-abdallah-el-Merrakechi et son autobiographie placée à la fin du Tekmilet-ed-Dibadj. À l’aide de ces documents, il nous sera facile de mettre en lumière la vie et le caractère d’un nègre qui ne doit pas moins sa célébrité à ses écrits qu’à ses infortunes. Ahmed-Baba descendait d’une famille de savants. Son père, son oncle, son grand-père, ainsi que plusieurs de ses ancêtres, avaient rempli les fonctions d’imam, de mufti, de cadi, de professeur, dans la capitale du Soudan[1]. On lit dans le Tekmalet-ed-Dibadj, fol. 180, v° : « L’auteur du présent recueil biographique est Ahmed-ben-Omar-ben-Mohammed-Akit-ben-Yahia-ben-Koudalata-ben-Bekr-ben-Nik-ben-Lak-ben-Tachta-ben-Tabkar-ben-Hirân-ben-Badjard-ben-Unçar-ben-Abibekr-ben-Omar-Latneci[2]. » Berbère d’origine, puisqu’il appartient à la tribu des Sanhadja, il naquit dans le village d’Arawân, au nord-ouest de Tombouctou, vers la fin de l’année 1556 : c’est du moins ce qu’il déclare, contrairement à l’usage de ses coreligionnaires, en disant qu’il a vu la date de sa naissance écrite de la main de son père.

En 1593, Ahmed, sultan du Maroc, ayant envoyé le général Mahmoud Zergoun, à la tête d’une armée, pour soumettre la Nigritie, celui-ci s’empara de Tombouctou et y fit reconnaître la souveraineté de son maître. Le cheikh Ahmed-Baba, alors âgé de trente-sept ans, était l’homme le plus instruit du pays. Il demanda à ses concitoyens quel était le monarque auquel ils venaient de jurer soumission. — C’est, lui répondit-on, le sultan du Maroc. — Eh bien, moi, je ne connais pas d’autre souverain en Occident que le roi de Tunis, répliqua Ahmed-Baba. On voit, remarque à ce sujet Ibn-abi-Dinar, que ce savant avait des notions sur l’histoire de la Tunisie, bien que son pays dépendit plutôt du Maroc par sa position géographique. Quoi qu’il en soit, Ahmed-Baba fut cruellement éprouvé dans cette circonstance : car il eut la douleur de se voir transporter, les fers aux pieds, à Merrakech, le premier jour de ramadhan, avec une partie de sa famille. Ce ne fut que quatre ans plus tard qu’il lui fut donné de voir tomber ses chaînes. Au rapport du chroniqueur El-Marrakechi, la joie que fit éclater sa délivrance dans le cœur des vrais croyants fut unanime. En effet, à peine arraché à une obscure captivité, ce nègre, en qui ses gardiens mêmes avaient découvert un réservoir d’érudition, est entouré des lettrés de la ville ; on le prie, on le supplie de révéler ses précieuses connaissances. Ô prestige de la science ! De la prison, il est conduit comme en triomphe à la Mosquée des Chérifs, qui est le principal temple de la ville, et une affluence extraordinaire de tholba[3] émérites accourt à ses leçons.

Ici, je reprends le fil de son récit : « Lorsque nous fûmes soulagés, ma famille et moi, du poids de l’affliction, ajoute-t-il avec résignation, un grand nombre de personnes lettrées s’approchèrent de moi et m’invitèrent à ouvrir des cours publics. Ma première pensée avait été de refuser ; mais, à la fin, vaincu par l’insistance de leurs prières, je pris place dans la Mosquée des Chérifs, et j’inaugurai mon enseignement par la lecture du Précis de jurisprudence de Sidi-Khelil, dont j’élucidai le texte par des scholies, des citations et des exemples tirés des meilleurs jurisconsultes. Qu’il me soit permis d’énumérer les ouvrages compris dans cette période de mes conférences publiques ; ils faisaient partie des programmes suivis à Tombouctou : le Teshil d’Ibn-Malek sur les règles et les difficultés de la syntaxe arabe ; l’Alfia d’El-Yraki ou Résumé des traditions mohammédiennes ; le Teuhfet-el-heukkâm ou Cadeau offert aux juges, par Ibn-el-Aacem ; le Djaméel-Djouamé ou Recueil général des préceptes de l’islam, par Sebki ; le Heukm, ou Manuel du juge, par Ibn-Aatha-allah ; le Djamé-es-seghir ou Répertoire abrégé de préceptes moraux, par Soyouthi ; le Sahih de Bokhari, qui contient les actes ei les paroles de Mahomet, y compris les traditions regardées pas les uns comme éléments des lois, et par les autres comme moyens auxiliaires de la jurisprudence : le Sahih de Moslim, sur le même sujet ; le Chifa du cadi Ayyadh, qui comprend la définition des devoirs envers le prophète ; le Mowatta ou Aplanissement des difficultés du droit, par le fondateur de la secte malékite ; El-Moadjtzat-el-Kobra ou les principaux Miracles de Mahomet, par Soyouthi ; les Chemaïl de Termidi ou Description des qualités du prophète des Arabes, de sa vie intime et de sa politique ; — l’Iktifa d’El-Kilaï, qui traite de la vie de Mahomet, de la révélation qui lui a été faite du Koran et de l’histoire des trois premiers khalifes. »

Une nouvelle compensation paraissait réservée à Ahmed-Baba. Tandis que sa voix éloquente s’exerce à communiquer aux intelligences qui l’entourent la connaissance de la rhétorique, du droit et de la théologie[4], mais principalement du droit, sa sagesse est comme mise à l’épreuve. En effet, des questions de la plus haute gravité lui sont soumises par les représentants de la magistrature, et ses réponses deviendront des arrêts sans appel. C’est lui-même qui nous en fait la confidence dans le passage que voici : « Maintes fois j’eus l’occasion de prononcer des décisions, soit par écrit, soit de vive voix, sur des points de droit qui avaient embarrassé les hommes de loi les plus expérimentés, en sorte que la réputation de mon nom s’étendait depuis le sud du Maroc jusqu’à Alger, jusqu’à Bougie, et sans doute au delà, » Mais, comme s’il ressentait dans le fond de sa conscience un secret repentir de l’aveu qui concerne son mérite, il se hâte d’ajouter : « Peu confiant dans ma propre sagacité, et convaincu d’ailleurs de l’insuffisance de mon instruction, j’examinais la question à plusieurs reprises, puis j’invoquais l’assistance de Dieu, et la lumière me venait d’en haut. » Ahmed-Baba atteignait sa cinquantième année, lorsqu’il mit la dernière main au Tekmilet-ed-Dibadj. Nous apprenons par lui qu’il avait rédigé une partie de ses leçons, et que ces doctes essais étaient destinés à former plus tard des ouvrages de fond. Il avait même commencé un commentaire du Précis de Sidi-Khelil, ainsi que l’atteste cette réflexion : « Puisse Dieu m’accorder la faculté de l’achever ! »

La liste de ses ouvrages indique la variété féconde de sa pensée ; c’est une bibliothèque entière de morale, d’histoire, de belles-lettres, de théologie, de jurisprudence. Malheureusement tous ces écrits ne nous sont pas parvenus. On ne possède encore que celui d’où j’ai tiré les matériaux de la présente notice. Je suis d’autant mieux en mesure d’en faire une analyse détaillée, que, dans le cours de mes recherches sur l’histoire des musulmans d’Afrique, j’ai eu plus d’une fois l’occasion de le lire et d’en rédiger l’index complet, d’après trois manuscrits. Le Tekmilet, ou Dictionnaire biographique des savants et des saints durite malékite, est une compilation des auteurs qui se sont occupés avec prédilection de l’Espagne et de l’Afrique musulmanes. Il n’acquerra pas moins de valeur, aux yeux des orientalistes, par l’utilité du sujet que par les lectures originales dont il contient en quelque sorte la substance. Si la critique, d’ailleurs peu familière aux chroniqueurs mahométans, ne s’y fait pas assez sentir dans la peinture des caractères, on y remarque toutefois une certaine exactitude dans la partie bibliographique. Pour moi, qui ai vécu trente ans au milieu de la société arabe et qui en apprécie la moralité à sa juste valeur, j’abandonne volontiers à Ahmed-Baba son admiration, souvent monotone, pour les marabouts[5] de l’islam. Loin de moi la pensée de le chicaner sur ses sentiments religieux. Il vivait à une époque et sur une terre où la canonisation d’un personnage était trop aisément consacrée par la crédulité et la superstition. Je lui demande autre chose que le récit des visions, des extases et des révélations survenues à Sidi-bou-Medièn, protecteur de Tlemcen, ou bien à Sidi-Abderrahman, patron des Algériens. Au-milieu des tirades hagiographiques dont le Tekmilet-ed-Dibadj est parsemé, à l’instar des œuvres contemporaines, j’ai choisi des notices littéraires et quelques biographies remplies de faits véridiques, dans le genre de la vie de Sidi-Khelil, dont j’ai offert une copie à M. Reinaud, pour l’édition arabe du Mokhtaçar.

Le Tekmilet-ed-Dibadj est extrait en grande partie de manuscrits presque introuvables aujourd’hui, mais dont les titres nous ont été heureusement transmis. Les plus importants sont : 1° les Tables bibliographiques (Fahraçat) d’’Ibn-Razi, d’El-Mendjour, d’Ibn-el-Ahmar, d’Abou-abdallah-el-Hadrâmi, d’El-Mentouri, d’Abou-Zakaria-es-Sarradi et d’Abd-eloushed-Cherif ; 2° les Considérations de Tadeli sur le soufisme et les soufis ; 3° l’Histoire de Médine par Ibn-Ferhoun ; 4° la Liste chronologique des traditionnistes ou écrivains sacrés de la secte malékite, par Ibn-Konfoud, le Constantinien ; 5° les Voyages de Todjibi, de Khaled-el-Fetouri, de Kalaçadi, d’’Ibn-Konfoud et d’El-Abdéri[6], voyages qui ressemblent beaucoup plus à des tournées littéraires qu’à des relations géographiques ; 6° les Annales de Grenade, par Liçan-eddine-ibn-El-Khatib, le Tlemcénien ; 7° la Notice des savants de Bougie, au viie siècle de l’hégire, par El-Rabrini[7] ; 8° la Galerie des grammairiens arabes du premier et du second ordre, par Soyouthi ; 9° les Tablettes chronologiques d’El-Ouancherici, intitulées El Ouafaïat ; 10° la Monographie des savants et des ascètes de Ceuta, connue sous le nom d’El-kaukeb el-ouikad fi men doufina min eloulema ou’z-zohad ; 11° la Notice d’EI-Makkari sur ses professeurs ; 12° l’Appendice d’Ibn-el-Abar au Sila d’Ibn-Bachekoual (Pascal) ; 13° Vertus et mérites de Sénouci par El-Malali ; 14° les Leçons d’Ibn-Merzoug le jeune, intitulées El-Marouïat ; 15° trois volumes de la Compilation du Tlemcénien Ibn-Saad, qui est connue sous le nom de l’Étoile fixe et qui contient la biographie des docteurs magrebins ; 16° les Additions au Tauchih-ed-Dibadj d’El-karafi, ouvrage qui a inspiré à Ahmed-Baba l’idée de rédiger le Tekmilet.

Voici après tout comment l’écrivain le plus distingué de la Nigritie explique la composition de cette œuvre de longue haleine et les différentes phases qu’elle a subies : « Le présent livre, qui devait former la suite et le complément du Dibadj ou Biographie des docteurs les plus célèbres du rite malékite, n’est que l’abrégé d’un travail très étendu. Dans le principe, j’avais eu seulement l’intention de préparer des additions au répertoire d’Ibn-Ferhoun, où figurent déjà six cent trente personnages, et de mentionner ceux dont il avait négligé de parler ou qui avaient échappé à sa connaissance, mais, peu à peu mes notes ayant pris du développement, je cédai au désir d’agrandir mon plan, et je groupai dans un cadre considérable tous les hommes de la même secte qui s’étaient illustrés, soit par leur érudition, soit par la sainteté de leurs actes. C’est ainsi que mes notes et mes extraits finirent par se fondre ensemble, à l’aide d’un nouveau remaniement. Je publiai[8] la première édition de la suite du Dibadj, en l’année 1596 ; comme elle ne laissa pas d’avoir quelque succès, on en multiplia les copies. Depuis lors, revenant sur mon idée, j’ai pensé qu’il valait mieux me borner à faire l’historique des imams et des auteurs hors ligne, et j’ai appelé mon livre Kifaïet el-mohtadj li-maarifet men leiça fi’d-Dibadj, « Documents suffisants pour connaître les docteurs qui ne sont pas mentionnés dans le Dibadj ».

Doué d’un esprit solide, d’une sagacité peu commune et d’un zèle infatigable pour la méditation des lois qui régissent la société musulmane, Ahmed-Baba avait sacrifié la plus grande partie de son temps à l’examen de Sidi-Khelil et de ses commentateurs. Ses efforts tendaient non seulement à aplanir les avenues de la jurisprudence, suivant son expression, mais encore à en reculer les bornes. Il se posa en interprète du code malékite, et c’est là son meilleur titre à la reconnaissance de la postérité. Le passage suivant que j’extrais de la biographie de Sidi-Khelil, en même temps qu’il nous initiera aux essais de l’auteur sur les matières du droit, fournit un spécimen de son style’: « Le Précis de jurisprudence composé par Sidi-Khelil a donné lieu à plus de soixante ouvrages, tant en gloses qu’en commentaires. Moi-même, j’ai osé m’avancer parmi les concurrents et décocher aussi ma flèche. J’ai écrémé plus de dix commentaires, dans le but d’augmenter la concision de certains articles, de déterminer le sens de plusieurs expressions techniques, et d’indiquer les sources où le maître avait puisé. D’où il résulte que j’avais acquis le droit de dire que, si mon travail était terminé, il pourrait dispenser les étudiants de recourir à d’autres livres. J’en ai soumis un volume au cheik Ibrahim-Châoui, qui était le juriste le plus entendu de Merrakech, et il en fut tellement satisfait qu’il daigna l’adopter dans son cours et en faire l’éloge devant ses collègues. J’ai rédigé en outre des observations sur quelques points obscurs du Mokhtaçar[9], sans parler d’une paraphrase du texte que je viens de commencer, et qui na laissera pas de rendre service, si Dieu me permet de la compléter.

La liste des autres livres d’Ahmed-Baba comprend les titres que voici : Études sur le Mokhtaçar de Sidi-Khelil,. depuis le chapitre de la dîme aumônière jusqu’à celui du mariage, en deux volumes ; — Éclaircissements sur l’article du serment (même ouvrage) ; — Inspirations divines pour l’intelligence des pensées de Khelil, intitulées Mounoun errabb el-djelil, en deux tomes ; — le Dourour el-ouichah ou Perles du baudrier, qui est un abrégé du livre de Soyouthi intitulé El-ouidhah fi fouaid en-nikah, et qui traite des avantages du mariage ; — Préceptes de morale tendant à démontrer qu’il faut étouffer son ressentiment pour éviter d’être injuste ; — le Classement du Djama el-maïar d’El-Ouncherici (jurisprudence) ; — le Niet-el-âmel, thèse où il prouve que c’est sur l’intention que la religion fonde ses arrêts, et que les actes se jugent d’après l’intention ; — le Désir et le but du vrai croyant, ou démonstration du plus grand des attributs de Dieu ; — Commentaire de la Sogra[10] de Senouci ; — Notice du cheik Senouci, dont le mausolée est situé près des murs de Tlemcen ; — Scholies sur le commencement de l’Alfia d’Ibn-Malek intitulées En-nokht el-ouf’ia fi cherah el-Alfia ; — Observations sur quelques passages de l’Alfia, avec cet autre titre En-nokht ez-zakia. Cet ouvrage, ainsi que le précédent, n’était pas terminé, en 1604 ; — le Raïet el-idjâda, qui traite de l’équivalence de l’agent et de l’inchoatit pour le sens de la proposition ; un mot sur l’Ihtidjadj d’Ibn-Edris ; ce travail, circonscrit en un petit nombre de pages, explique les termes employés par l’auteur.

Une communication récente de Si-Embarek, l’Algérien le plus versé dans la science historique, nous informe qu’Ahmed-Baba avait composé, dans les dernières années de sa vie, un traité en vers sur l’astronomie, et un livre sur les différentes peuplades noires, païennes ou musulmanes. Je ne doute point du fait, et j’ai l’espoir que le même hasard qui a dirigé vers ma main le Tekmilet, exhumera un jour l’Histoire du Soudan des bibliothèques du Maroc ou de la Tunisie, où l’on peut supposer qu’elle a été déposée par quelque voyageur lettré. C’est alors que se dérouleront dans un ordre régulier, et avec une clarté suffisante, les conquêtes de l’islamisme parmi les peuplades noires. Car la pureté avec laquelle la langue, la croyance et les mœurs arabes se sont conservées dans le centre de l’Afrique est un fait bien remarquable, et la meilleure preuve que le désert est la vraie patrie de l’Arabe.

De tous les faits qui précèdent on peut conclure que, pendant les xive, xve et xvie siècles, les sciences et la civilisation florissaient au même degré sur presque tous les points du continent que nous étudions ; qu’il n’existe peut-être pas une ville, pas une oasis, qu’elles n’aient marquée de leur empreinte salutaire, et surtout que la race noire n’est pas fatalement reléguée au dernier échelon de l’espèce humaine, comme l’ont prétendu certains ethnographes.

Auguste Cherbonneau,
Professeur à l’École spéciale des langues orientales vivantes.

  1. Au xive siècle, Melli était la capitale de la Nigritie ; mais déjà avant la fin du xve, Tombouctou était devenue la résidence du roi.
  2. J’ai tenu à enregistrer cette longue généalogie, afin de faire connaître des noms appartenant à la race berbère.
  3. Le mot thâleb, plur. tholba, signifie lettré.
  4. En arabe, unitéisme.
  5. Marabout est l’altération de morabit, qui signifie proprement : « attaché au culte de Dieu, religieux ».
  6. Voir la Revue de Géographie, juillet 1880.
  7. Voir le Journal asiatique, 1856.
  8. Avant l’introduction de l’imprimerie chez les musulmans, ce mode de publication consistait dans l’émission d’un petit nombre d’exemplaires de l’ouvrage, écrits par des copistes instruits.
  9. C’est le titre arabe du Précis de jurisprudence composé par Sidi-Khelil.
  10. Articles de foi.