Trois petits poèmes érotiques/La Foutromanie/02

Trois petits poèmes érotiquesImprimé exclusivement pour les membres de la Société des bibliophiles, les amis des lettres et des arts galants (p. 77-81).

ÉPÎTRE DÉDICATOIRE

AUX

FOUTROMANES DES DEUX SEXES


Ce n’est point ici une religion nouvelle, un culte moderne, que je viens vous offrir, aimables débauchés qui comptez pour les plus doux moments de la vie ceux que l’on donne aux plaisirs, à la volupté. Les tendres impulsions de la nature sont d’une antiquité égale à celle de l’existence du genre humain ; et s’il s’agissait de vous présenter ici l’arbre généalogique de la foutromanie, vous le verriez porter sa tige touffue dans l’Olympe, et ses racines profondes dans les gorges du Ténare. Les dieux, les déesses furent donc foutromanes ; c’est, un axiome de la Fable, de cet ingénieux emblème de la vérité. A leur exemple, les demi-dieux, les héros s’abandonnèrent au doux penchant de la lubricité. On vit dans tous les siècles, dans tous les âges, la luxure exerçant son inévitable empire sur tous les individus de l’espèce humaine, physiquement organisés à l’instar des animaux. Le besoin et le désir de la reproduction entraînèrent constamment les objets les uns vers les autres, et disposèrent les atomes séminaux à une attraction réciproque, en sorte que ce n’est rien avancer de trop que de faire remonter la foutromanie à l’instant de la création.

Les opinions les plus anciennes sont celles qui semblent avoir le plus de droits à notre confiance, à notre affection. Chérir ce qui de tout temps fut cher à nos prédécesseurs ; croire à ce qui mérita leur approbation ; rendre hommage à ce qui réunit ceux de tous les siècles antérieurs, c’est agir sagement, c’est préférer un chemin sûr et frayé à des routes nouvelles et mensongères. Pratiquons les dogmes immémoriaux de la foutromanie ; laissons murmurer, et même fulminer, ces moralistes importuns, hypocrites, qui, en condamnant avec une sévérité apparente les objets qu’ils aiment le plus, vont en cachette s’enivrer de ces plaisirs, qu’ils voudraient défendre aux autres, et qu’ils se permettent furtivement. Mahomet prohibait le vin aux Musulmans, et n’en buvait pas moins le plus délicieux. Les Hébreux modernes ne s’abstiennent guère des viandes prohibées à tous les circoncis, et tous les graves Sorbonnistes, dont la censure ne pardonne rien, se dérident toujours à l’aspect du fruit défendu, cessent d’être austères en présence de l’objet, et n’hésitent pas à se précipiter dans cet abîme, dans ce centre où tout tend. C’est alors que les choses se nomment par leurs noms, sans périphrases, sans voiles incommodes, parce qu’enfin il n’est pas plus indécent, à bien y réfléchir, de nommer le membre viril un vit, et le foyer de la femme un con, que de dénommer toute autre partie du corps. Ces minutieuses modesties ne réussissent aujourd’hui pas même chez les béguines, à qui maint jardinier et maint directeur ont donné des leçons utiles de langue et de physique expérimentale. La crainte de corrompre la jeunesse est une peur frivole qui ne ferait qu’étouffer le génie des auteurs, sans empêcher la contagion, si c’en est une, de faire des progrès. Sodome et Gomorrhe avaient déjà, par leurs excès, provoqué le feu vengeur du ciel avant que nos écrivains eussent mis au jour Dom bougre, Thérèse philosophe, le Débauché converti, le Chapitre général des Cordeliers ; avant que l’Homère des Français, le chantre du grand Henri, eût composé son ingénieuse Pucelle ; avant que l’immortel Piron eût produit l’inimitable chef-d’œuvre en l’honneur du dieu Priape. Il est donc du dernier ridicule de vouloir reprocher aux auteurs qui écrivent sur les matières lascives la corruption déjà existante, et dont ils ne sont que les historiens. Autrement, on pourrait avancer que quiconque écrit sur la guerre, la politique et les différents objets qui intéressent les nations, devient complice des vices inévitables auxquels les guerriers et les politiques de tous les pays, de tous les siècles, ne peuvent apporter que de faibles barrières.

J’espère donc que les lecteurs à qui cet ouvrage tombera entre les mains ne me sauront pas mauvais gré d’avoir écrit l’histoire et les progrès de la foutromanie, de cet art primitif et suivant la nature, dont l’origine est aussi célèbre qu’utile, dont la décadence entraînerait celle de l’univers. Ovide composa l’Art d’aimer[1] : qu’il me soit permis de décrire l’Art de foutre ; l’on ne trouve pas dans ma Foutromanie toute l’énergie dont brille l’Ode à Priape, que l’on se souvienne combien il est malaisé de soutenir, dans un ouvrage didactique et de longue haleine, le ton sublime et majestueux du genre lyrique. De la légèreté, de la facilité, de la vérité dans les tableaux, voilà tout ce que je me propose, n’aspirant à aucune gloire trop élevée, et n’ayant entrepris qu’une description libre de cette foule d’événements qui appartiennent immémorialement aux annales de la foutromanie.

  1. Cet Art d’aimer d’Ovide vient d’être traduit en vers français par M. Bernard, que Voltaire appelle le Gentil Bernard. Mais il s’en faut de beaucoup que la traduction ait l’énergie et la chaleur de l’original.