Traité des sièges et de l’attaque des places/16

PLACES D’ARMES.

Après avoir décrit la sape, sa conduite et le moyen de l’employer utilement, nous la laisserons pour un temps se diriger à droite et à gauche des capitales, et faire son chemin vers la place, pendant que nous expliquerons la façon, l’usage et les propriétés des places d’armes, que nous nommerons ci-après, lignes[1], première, deuxième, et troisième pour éviter la confusion que la ressemblance de leur nom à celui de la place pourrait causer.

Distance de la première parallèle auxSoit donc qu’on ouvre la tranchée de : près ou de loin, la première s’établit à 300 toises ou environ dehors les plus avan­cés.des dehors plus avancés de la place ; quand on peut l’établir plus près, il n’en est que mieux.

Cette distance doit être observée dans toute la circulation qu’on lui fait faire, et considérée comme le plus grand éloignement où les sorties des ennemis puissent donner atteinte ; c’est pourquoi on n’en propose l’établissement qu’à cette distance.

Comme on n’a point donné de règles certaines jusque ici pour la façon et situation des places d’armes, cela a fait qu’il y a toujours eu quelque confusion, et qu’elles n’ont pas toujours été fort bien situées.

Je pourrais même dire que depuis le siége de Mastrick, Premier usage des parallèles. 1673. qui est la première fois que je m’en suis servi, elles n’ont été bien régulièrement observées qu’au siége d’Ath, encore y a-t-il eu quelque chose à dire.1697.

La figure de la première doit être circulaire[2], Pl. 13.un peu aplatie sur le milieu ; elle doit aussi embrasser toutes les attaques Étendue, lar­geur et pro­fondeur de la première pa­rallèle.par son étendue, qui sera fort grande, et déborder la deuxième ligne de 25 à 30 toises de chaque bout. Quant à ses autres mesures, on peut lui donner depuis 12 jusqu’à 15 pieds Pl. 6.
Profil A.
sur 3 de profondeur ; remarquant que dans les endroits où on ne pourrait pas creuser 3 pieds, à cause du roc ou des marais qui peuvent se rencontrer dans le terrain qu’elle doit occuper, il faudra l’élargir davantage, afin d’avoir les terres nécessaires à son parapet. Jusqu’à ce qu’elle soit achevée, on n’y doit pas faire entrer les bataillons, mais seulement des détachemens à mesure qu’elle se perfectionnera.


Propriétés de la première parallèle.L’usage de cette ligne sera,

1o De protéger les tranchées qui se poussent en avant jusqu’à la deuxième ;

2o De flanquer et dégager la tranchée ;

3o De garder les premières batteries ;

4o De contenir tous les-bataillons de la garde sans en embarrasser la tranchée ;

5o De leur faire toujours faire front à la place sur deux ou trois rangs de hauteur ;

6o De communiquer les attaques de l’une à l’autre, jusqu’à ce que la seconde ligne soit établie ;

7o Elle fait encore l’effet d’une excellente contrevallation contre la place, de qui elle resserre et contient la garnison.

Pl. 13.La deuxième ligne doit être parallèle à la première et figurée de même, mais moins étendue de Position de la deuxième parallèle. 25 à 30 toises de chaque bout, et plus avancée vers la place de 120, 140, ou 145 toises ; ses largeurs et profondeurs doivent être égales à celles de la première. Il faut faire des banquettes à l’une et à l’autre[3], et border leur sommet de rouleaux Voir le
profil A.
Pl. 6.
de fascines piquetées pour leur tenir lieu de sacs à terre ou de paniers. Jusqu’à ce qu’elle soit achevée, on n’y fait entrer que des détachemens. Pendant qu’on y travaille, la tranchée continue toujours son chemin, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à la distance marquée pour la troisième ligne : de sorte que la deuxième n’est pas plutôt achevée, qu’on commence la troisième, et avant même qu’elle le soit totalement. Pour lors on y fait entrer les bataillons de la première ligne, et on ne laisse dans celle-ci que la réserve qui est environ le tiers de la garde ; pendant quoi le travail de la tranchée fait son chemin de l’une à l’autre jusqu’à la troisième.

Les propriétés de la deuxième ligne sont les mêmes que celles de la première, il n’y a point d’autre différence, si ce n’est qu’elle approche la place de beaucoup plus près.

Tracé de la troisième parallèle.
Pl. 13.
À 120, 140 ou 145 toises, un peu plus, ou un peu moins, au-delà de la deuxième ligne, on établit la troisième ligne plus courte et moins circulaire que les deux premières ; Sa distance aux saillans du chemin couvert.ce que l’on fait pour approcher le chemin couvert, le plus près que l’on peut, et éviter les enfilades qui sont là fort dangereuses.

De sorte que si la première est à 300 toises des angles plus avancés du chemin couvert, la deuxième n’en est plus qu’à 160, et la troisième à 15 ou 20 toises[4] seulement ; ce qui suffit à l’aide des demi-places d’armes, dont nous parlerons tantôt, pour soutenir toutes les tranchées que l’on pousse en avant, quand les batteries ont tellement pris l’ascendant sur les ouvrages de la place, que le feu en est éteint ou si fort affaibli, qu’on le peut impunément mépriser.

Mais si la garnison est forte et entreprenante, et les ricochets empêchés, il faut s’approcher jusqu’à la portée de la grenade, c’est-à-dire à 13 ou 14 toises près des angles saillans.

Importance de bien per­fectionner la troisième pa­rallèle.Comme les sorties sont bien plus dangereuses de près que de loin, il faut aussi plus perfectionner cette ligne que les deux autres, lui donner plus de largeur et la mettre en état de faire un grand feu, et qu’on puisse passer par dessus en poussant les sacs à terre, ou les rouleaux de fascines devant soi ; ce qui se fait en lui faisant un grand talus intérieur[5], avec une banquette au plus, dans le haut dudit talus.

C’est sur le revers de cette dernière qu’il faut faire amas d’outils, de sacs à terre, piquets, gabions et fascines, fort abondamment, pour fournir au logement du chemin couvert, et les ranger en tas séparés, près des débouchemens, avant que de rien entreprendre sur le chemin couvert.

Sur quoi il y a une chose bien sérieuse à remarquer ;

C’est que comme les places de guerre sont presque toutes irrégulières et différemment situées, il s’en trouve sur des hauteurs où le ricochet ayant peu de prise ne pourrait pas dominer avec assez d’avantage, soit parce que les angles des chemins couverts en sont trop élevés, ou qu’on ne trouve pas de situation propre à placer ces batteries ; telle est, par exemple, Forts sur lesquels le ricochet a peu de prise.la tête du Terranova du château de Namur, celle du fort Saint-Pierre à Fribourg en Brisgaw, le fort Saint-André de Salins, la citadelle de Perpignan, celle de Bayonne, celle de Montmédy, quelques têtes de Philisbourg, et plusieurs autres de pareille nature.

Il y a encore celles où les situations qui pourraient convenir au ricochet, sont en marais ou coupées de rivières qui empêchent l’emplacement des batteries ; et celles enfin où les glacis élevés par leur situation, sont si roides, qu’on ne peut plonger le Des cas où l’on est obli­gé d’attaquer le chemin couvert de vive force. chemin couvert par les logemens élevés en cavaliers, qu’on peut faire à mi-glacis. Où celà se rencontrera, il se pourra qu’on sera obligé d’attaquer le chemin couvert de vive force ; en ce cas, il faudra approcher la troisième ligne à la portée de la grenade, comme il a été dit, sinon en faire une quatrième, afin de n’avoir pas de longues marches à faire pour joindre l’ennemi, Cas d’une quatrième parallèle.et toujours la faire large et spacieuse, afin qu’on s’y puisse manier aisément, et qu’elle puisse contenir beaucoup de monde et une grande quantité de matériaux sur ses revers.

Cette ligne achevée, on y fera entrer le gros de la garde, ou les gens commandés ; et la réserve dans la deuxième ligne, la première demeurant vide et ne servant plus que de couvert au petit parc, à l’hôpital de la tranchée qu’on fait avancer jusque-là, et aux fascines de provision que la cavalerie décharge dans les commencemens le long de ses bords ; et quand il s’agit d’un renfort extraordinaire de la garde ou de travailleurs (ce qui n’arrive que quand on veut attaquer le chemin couvert, ou quelqu’autre pièce considérable des dehors), on les y peut mettre en attendant qu’on les emploie.

Au surplus, si le travail de la première et de la seconde nuit de tranchée peut se poser à découvert, celui des deux premières places d’armes se pourra poser de même, parce qu’on est assez loin de la place, pour que le feu n’en soit pas encore fort dangereux ; Pourquoi l’on emploie la sape à la fa­çon de la se­conde paral­lèle. et ce n’est guère que depuis la deuxième ligne qu’on commence à marcher à la sape ; mais pour ne point perdre de temps et pouvoir faire chemin de jour et de nuit, on peut employer la sape à la façon de la deuxième.

Outre les propriétés que la troisième a, communes avec les deux premières, elle a encore celle de contenir les gens commandés qui doivent attaquer, et tous les matériaux nécessaires sur ses revers.

C’est enfin là où l’on délibère et résout l’attaque du chemin couvert, où l’on fait les dispositions, où l’on range les troupes qui doivent attaquer, et d’où l’on part pour l’insulte dudit chemin couvert.

Cheminemens contre la de­mi-lune d’at­taque.

Pl. 13.
Nota : Que c’est de la deuxième ligne qu’on doit ouvrir une tranchée contre la demi-lune qui se conduit comme les autres, c’est-à-dire à la sape, et le long de sa capitale prolongée et quand les trois têtes de tranchée seront parvenues à la distance demandée pour l’établissement de la troisième ligne, on y pourra employer six sapes à même temps, savoir deux à chacune, qui prenant les unes à droite et les autres à gauche, se seront bientôt jointes ; pendant quoi comme les parties plus voisines de la tranchée se perfectionnent les premières, on pourra y faire entrer les détachemens à mesure qu’elle s’avancera, lesquels on fortifiera plus ou moins, selon que les sorties seront plus ou moins à appréhender.

  1. L’usage a consacré le nom de parallèles, en place de celui de lignes, employé constamment par Vauban pour désigner les places d’armes. Nous ne trouvons le mot parallèle signifiant place d’armes que dans le chapitre, avant-fossés, et même là il n’est pas appliqué à une parallèle proprement dite, il l’est à un logement sur les bords d’un avant-fossé.
  2. La première et la seconde parallèle, tracées au cordeau au moyen d’un petit nombre de points (Voy. les Planches), sont loin d’être circulaires, dans l’acception exacte de ce mot.
  3. Pl. 6. Profil C.

    Et un relais dans le bord extérieur pour asseoir les soldats, le tout aligné au cordeau ; le parapet bordé par le haut, non de sacs à terre qu’il vaut mieux ménager, mais de grosses fascines redoublées, trois ou quatre ensemble, liées en deux endroits, bien serrées, et ensuite arrangées sur le haut où elles seront arrêtées par des piquets après que leur assiette aura été préparée dans les terres avec la pioche. (Avis cité de 1703.).

  4. Sur les planches, les troisièmes parallèles sont toutes tracées à 15 toises, même 30 toises, des saillans des chemins couverts ; mais en plusieurs endroits du texte, Vauban recommande d’établir la troisième parallèle à la portée de la grenade du chemin couvert, si l’on doit en faire l’attaque de vive force.
  5. Les profils B et C, planche 6, représentent des gradins et non une rampe.