Traité des sièges et de l’attaque des places/02

RÉSOLUTION DES SIÉGES.

La résolution des siéges s’agite et se prend dans le cabinet ; mais l’exécution qui s’en fait en campagne étant une des plus sérieuses parties de la guerre, est celle qui demande le plus de mesure et de circonspection ; car elle dépend :

1o Du secret, sans quoi rien ne réussit.

2o Des forces que l’on a sur pied pour attaquer et défendre ; car ce n’est pas tout de faire des siéges, il faut se mettre en état d’empêcher que l’ennemi n’en fasse dans votre pays.

3o De la disposition des ennemis ; car s’ils sont réunis et aussi forts que nous, ils peuvent nous empêcher d’en faire.

4o De l’état des magasins les plus à portée des lieux sur lesquels on peut entreprendre.

Considérations sur la résolu­tion des sié­ges.5o De la conjoncture des temps, car tous ne sont pas propres aux siéges : rien n’étant plus ruineux pour les armées que ceux d’hiver, on doit les éviter tant que l’on peut.

Et 6o des fonds nécessaires à leur dépense, car l’argent étant le nerf de la guerre, sans lui on ne saurait réussir à rien.

Ce sont toutes mesures à prendre de longue main, qui doivent être digérées à loisir : et après tout cela, quand on croit les avoir bien prises, souvent tout échappe, car l’ennemi qui n’est jamais d’accord avec vous ; pourra vous interrompre, parce qu’il sera aussi fort ou plus fort que vous, et qu’il vous observera de près ; ou qu’il aura aussi dessein d’entreprendre de son côté sur des places à la conservation desquelles il vous importe de veiller par préférence à celles sur lesquelles vous pourriez entreprendre, ou de vous tenir en état de l’empêcher de courir sur votre pays et d’y porter la désolation, pendant que vous serez occupé au siége d’une place dont la prise, qui peut être incertaine, ne vous dédommagerait pas des pertes que vous en pourriez souffrir : ou enfin, parce qu’il pourrait se mettre à portée de vous combattre avant que vous puissiez être établi devant la place que vous voulez attaquer : toutes considérations qu’il faut bien peser avant que de se déterminer, et toujours prendre si bien son temps, qu’il ne puisse vous tomber sur les bras avant votre établissement. Dans l’un et l’autre cas, le mieux est d’être le plus fort, et d’avoir deux armées, quand on le peut ; savoir, une qui assiége, et l’autre qui observe. Celle qui assiége se renferme dans ses lignes, comme nous dirons ci-après, et celle qui observe ne fait que rôder et occuper les avenues par où l’ennemi peut se présenter, ou prendre des postes et s’y retrancher, ou le suivre s’il s’éloigne en le côtoyant, et se postant toujours entre lui et l’armée assiégeante le plus avantageusement qu’il sera possible, afin de n’être pas obligé à combattre contre sa volonté : quand on peut gagner quelques jours, c’est un grand avantage.

Ces deux armées doivent toujours se tenir à portée l’une de l’autre, surtout dans les commencemens, afin de se pouvoir entre-secourir et tenir l’ennemi éloigné, qui doit de son côté appréhender de les approcher de trop près, crainte que les deux ensemble, si elles sont les plus fortes, ne tombent sur lui, et ne le prennent à leur avantage.

L’armée d’observationUtilité d’une armée d’ob­servation dans les commence­mens d’un siége. est encore d’un grand secours à l’assiégeante dans les commencemens du siége, parce qu’elle veille à sa conservation, la peut fortifier, escorter ses convois, lui fournir des fascines, et faire plusieurs autres corvées. Réciproquement l’armée assiégeante la peut renforcer dans le besoin, après les six ou sept premiers jours de tranchée, quand elle a bien pris ses avantages contre la place : c’en est encore un bien considérable, de pouvoir attaquer avant que l’ennemi se puisse mettre en campagne avec toutes ses forces, ou dans l’arrière-saison, après qu’une partie de ses troupes s’étant retirée, il n’est plus assez fort pour s’opposer à nos entreprises. Pour pouvoir exécuter le premier, il est nécessaire d’avoir de grands magasins de vivres et de fourrages secs à portée des lieux sur lesquels on veut entreprendre, et toujours une armée d’observation s’il est possible.

MAGASINS.

On doit compter sur un mois au moins de tranchée ouverte.Nous avons dit qu’il était nécessaire d’avoir ses magasins prêts et à portée des places sur lesquelles l’on a dessein : mais nous n’avons pas dit quels, ni combien de chaque espèce ; cela est difficile, et ne se peut guère régler que par rapport aux places qu’on attaque ; on ne saurait toutefois manquer de compter sur un mois de tranchée ouverte, parce qu’il n’y a guère de place qui ne puisse tenir ce temps-là quand elle est un peu raisonnable et défendue par gens intelligens qui veulent faire leur devoir. Le plus de munitions ne saurait jamais rien gâter, mais si ferait bien le moins.

Quantité de poudre néces­saire.Nous compterons donc pour les poudres, huit à neuf cents milliers, selon que la place est plus ou moins forte.

Soixante mille gros boulets.

Vingt mille de huit et douze.

Quatre-vingts pièces de gros canon bien sain et en bon état.

Trente à trente-cinq de huit et de douze livres de balle.

Dix-huit ou vingt, de quatre, pour les lignes.

Quinze à seize mille bombes.

Quarante mille grenades.

Dix milliers de mèche. Et cent quatre-vingts milliers de plomb.

Cent mille pierres à fusil, fortes et bien choisies.

Sacs à terre.Cinquante mille sacs à terre.

Trente mille petites charges de bois à mettre dans la poche à poudre.

Cent plates-formes de canon complètes.

Soixante de mortiers.

Vingt-quatre mortiers à bombes, et autant à pierres.

Soixante affûts de rechange.

Trente pour les mortiers.

Plusieurs crics, chèvres triqueballes et traîneaux.

Des escoupes pour jeter de l’eau sur le feu, semblables à celles dont les blanchisseuses se servent en Flandre.

Et quantité de bois de charronnage, des madriers de réserve, et de menue charpenterie.

Deux cents brouettes.

Autant de hottes avec les bretelles.

Quarante mille outils bien emmanchés pour la tranchée et les lignes : car, rarement les paysans en apportent-ils de tels qu’il les faut ; on est toujours obligé de leur en fournir de l’artillerie. Il y a plusieurs autres choses, dont il faut se pourvoir, comme d’outils de mineurs, de bois à mantelets, de plusieurs forges et forgerons, quantité de charpentiers et de charrons ; et surtout d’un gros équipage de chevaux d’artillerie. On se Des paysans commandés pour faire les lignes.sert encore de chariots et de paysans commandés. Si c’est une place peu considérable, dont la circonvallation puisse avoir quatre ou cinq lieues de tour, compris les bossillemens qu’on lui fait faire, il en faudra au moins commander quinze à dix-huit mille, et deux à trois mille chariots, même quatre mille, selon que la place est grande, et que la circonvallation doit avoir d’étendue, parce qu’il y aura toujours beaucoup des uns et des autres qui manqueront. Il faut avoir de la rigidité pour cela, et châtier sévèrement les défaillans, et ceux qui déserteront ; autrement plus de la moitié vous abandonnera dès les premiers jours. Quand les lignes sont achevées, on congédie les paysans ; mais il est bon de retenir cent chariots pour voiturer les gabions et fascines à la queue de la tranchée, et les blessés à l’hôpital, et cinq à six cents paysans pour faire des fascines et gabions, et pour entretenir les ponts et les chemins. On fait donner le pain double aux paysans, et rien de plus, tout ce qu’on leur fait faire étant ouvrages de corvée, qui ne sont payés que par leurs villages, avec qui ils ont accoutumé de s’accommoder.

J’estime toutefois qu’il serait raisonnable de payer ceux qu’on retient, à raison de six sous par jour, et le pain double ; cela leur fera prendre patience, et les empêchera des déserter.