Traité de dynamique/1758/Partie 1/Chapitre 3

CHAPITRE III


Du Mouvement détruit ou changé par des obstacles.

34. Un corps qui se meut, peut rencontrer des obstacles qui alterent, ou même qui anéantissent tout-à-fait son mouvement ; ces derniers, ou sont invincibles par eux-mêmes, ou n’ont précisément de résistance que ce qu’il en faut pour détruire le mouvement imprimé au corps.

Un obstacle invincible peut être tel, qu’il ne permette au corps aucun mouvement, comme quand un corps tire une verge droite attachée à un point fixe ; ou l’obstacle pourroit être de telle nature, qu’il n’empêchât pas le corps de se mouvoir dans une autre direction que celle qu’il a ; comme quand un corps rencontre un plan inébranlable.

35. Si l’obstacle, invincible ou non, que le corps rencontre, ne fait qu’altérer & changer son mouvement sans le détruire, ensorte que le corps ayant, par exemple, la vîtesse avant que de rencontrer l’obstacle, il soit obligé de prendre une vitesse dont la quantité & la direction soit différente de la premiere ; il est évident qu’on peut regarder la vitesse que le corps a lorsqu’il rencontre l’obstacle, comme composée de la vitesse & d’une autre vitesse , & qu’il n’y a que la vitesse qui ait été détruite par l’obstacle.

36. De là il s’ensuit, qu’un corps sans ressort qui vient choquer perpendiculairement un plan immobile & impénétrable, doit s’arrêter après ce choc, & rester en repos. Car il est visible que si ce corps a du mouvement après la rencontre du plan, ce ne peut être qu’en arriere, & dans la direction de la perpendiculaire ; soit sa vitesse avant le choc, sa vitesse en arriere, que je suppose , exprimant un nombre inconnu quelconque, on aura (art, 30 & 35) . Donc est la vitesse perdue par le corps à la rencontre du plan. Mais il n’y a point de raison pourquoi soit plutôt tel nombre que tel autre. Car la seule condition par laquelle on puisse déterminer la vitesse , est qu’elle doit être détruite par le plan : or puisque (hyp.) le plan est inébranlable, il n’y a point de raison pourquoi il anéantiroit plutôt la vitesse , qu’une autre vitesse . Donc le nombre ne peut être plutôt tel nombre que tel autre. Donc il sera zéro. En effet, si la vitesse peut être anéantie par la rencontre du plan, comme on le suppose, à plus forte raison la vitesse , pourra être détruite par la rencontre de ce même plan. Donc elle sera détruite réellement : donc , & par conséquent sera . Donc &c.

Corollaire I.

37. Si on suppose qu’un corps (Fig. 9) mû suivant , rencontre le plan immobile & impénétrable sur lequel il soit forcé de se mouvoir, sa vitesse suivant sera à sa vitesse suivant ou , comme le sinus du complément de l’angle au sinus total. Car il faudra regarder la vitesse , comme composée de deux autres, dont l’une soit perpendiculaire au plan , & l’autre soit dans ce même plan : or la vitesse étant détruite par le plan, le corps n’aura plus que la vitesse qui sera à le sinus de l’angle , complément de , au sinus total.

Fig. 9
Corollaire II.

38. Si un corps se meut le long de plusieurs plans , , , &c. (Fig. 10 & 11) qu’on prolonge , & indéfiniment en & en ; qu’ensuite d’un rayon arbitraire on décrive l’arc , & qu’on fasse ; qu’ayant après cela abaissé la perpendiculaire , on décrive du rayon l’arc , tel que l’angle , & qu’on mene la perpendiculaire , & ainsi de suite ; je dis que si on prend pour représenter la vitesse suivant , exprimera la vitesse suivant . Cela suit évidemment du Corollaire précédent.

Fig. 10
Fig. 11
Corollaire III.

39. Donc la somme des vitesses perdues de en est égale à , c’est-à-dire à la somme des sinus verses des angles , , &c. en prenant successivement , &c. pour sinus totaux.

Corollaire IV.

40. Donc en prenant pour sinus total commun à tous les sinus verses, la vitesse perdue sera moindre que la somme de ces mêmes sinus verses.

Du Mouvement d’un Corps le long d’une surface courbe.
Lemme.

41. Si dans un courbe (Fig. 12) après avoir tiré les tangentes , , on inscrit un polygone dont les angles extérieurs , , , &c. soient égaux entr’eux ; je dis qu’on peut imaginer ce polygone d’un si grand nombre de côtés, que la somme des sinus verses des angles , , , , &c. soit moindre qu’une grandeur donnée.

Fig. 12

Car la somme des angles , , , &c. est égale à l’angle fait par les tangentes , de la courbe. Donc si on fait l’angle (Fig. 13) , l’angle à un des angles ou , & qu’on nomme le nombre des angles ; on aura, , & à la somme des sinus verses. Mais :soit l’arc ( étant un nombre donné, puisque les lignes , , & l’arc sont donnés) ; la somme des sinus verses sera donc . Or puisque & sont des quantités constantes, on peut rendre si grand, que soit moindre qu’une grandeur donnée ; donc à plus forte raison, la somme des sinus verses sera moindre que cette même grandeur donnée.

Fig. 13
THÉOREME.

42. Si un corps mû suivant une droite (Fig. 12) rencontre la surface courbe , touchée en par , & sur laquelle il soit obligé de se mouvoir ; je dis qu’il ne perdra de en aucune partie de sa vitesse.

Car on peut inscrire dans la courbe un polygone d’un si grand nombre de côtés, que la somme des sinus verses de ses angles extérieurs, soit toujours (art. 41) moindre qu’une grandeur donnée, & qu’ainsi à plus forte raison (art. 40) la vitesse perdue de en soit toujours aussi petite qu’on voudra. Donc si ce polygone se confond avec la courbe, la vitesse perdue de en sera zéro.

Corollaire.

43. Il résulte de là, que quand un corps se meut sur une courbe, sa vitesse à chaque point de la courbe est précisément altérée de la même maniere, toutes choses d’ailleurs égales, que s’il se mouvoit sur la tangente de la courbe en ce point.

Remarque.

44. On démontre d’ordinaire ce dernier Théorême, en regardant la courbe comme un polygone d’une infinité de côtés, dont les angles extérieurs sont infiniment aigus ; les sinus verses de ces angles étant infiniment petits du second ordre, on en conclut qu’un corps ne perd à chaque instant qu’une partie de vitesse infiniment petite du second genre, de sorte que la perte totale de en n’est qu’infiniment petite du premier.

La démonstration que j’ai donnée, quoique peut-être un peu longue, me paroît aussi plus lumineuse, d’autant que la vitesse perdue de en est réellement & exactement nulle ou zéro, & non pas infiniment petite. Quand on veut démontrer en toute rigueur les propriétés des courbes, on tombe nécessairement dans des démonstrations un peu longues ; la méthode des infiniment petits abrege beaucoup ces démonstrations, mais elle n’est pas si rigoureuse. Elle a de plus un autre inconvénient, c’est que les Commençans qui n’en pénétrent pas toujours l’esprit, pourroient s’accoutumer à regarder ces infiniment petits comme des réalités ; c’est une erreur contre laquelle on doit être d’autant plus en garde, que de grands hommes y sont tombés, & qu’elle-même a donné occasion à quelques mauvais Livres contre la certitude de la Géométrie [1]. La méthode des infiniment petits, n’est autre chose que la méthode des raisons premieres & dernieres, c’est-à-dire des rapports des limites des quantités finies. [2] Quand on a bien conçû l’esprit & les principes de cette Méthode, alors il est utile de la mettre en usage pour parvenir à des solutions élégantes.

De l’Equilibre.

45. Si les obstacles que le corps rencontre dans son mouvement, n’ont précisément que la résistance nécessaire pour empêcher le corps de se mouvoir ; on dit alors qu’il y a équilibre entre le corps & ces obstacles.

THÉOREME.

46. Si déux corps dont les vitesses sont en raison in verse de leurs masses, ont des directions opposées, de telle maniere que l’un ne puisse se mouvoir sans déplacer l’autre, il y aura équilibre enntre ces deux corps.

Premier Cas.

1°. Si les deux corps sont égaux, & leurs vitesses égales, il est évident qu’ils resteront tous deux en repos. Car il n’y a point de raison pourquoi l’un se meuve plutôt que l’autre dans la direction qu’il a ; d’ailleurs il est clair par l’article 36, qu’ils ne peuvent se mouvoir dans une direction contraire. Donc &c.

Je suppose ici, afin que la démonstration ne souffre aucune difficulté, que les deux corps soient non-seulement égaux, mais encore parfaitement semblables, que ce soient par exemple deux globes, deux parallélépipédes rectangles &c. Nous verrons plus bas (art. 57) la demonstration du même Théorême dans le cas où les corps ne sont pas semblables.

Second Cas.

Si l’un de ces corps restant dans le même état, on augmente du double la masse de l’autre, & qu’on diminue sa vitesse de la moitié, il y aura encore équilibre. Car on peut regarder (art. 30) la vitesse du petit corps comme composée de deux vitesses, égales chacune à la vitesse du grand ; & la masse du grand, comme composée de deux masses égales, animées chacune de la même vitesse. Donc à la place de chacune des masses propo sées, on peut imaginer de chaque côté deux masses égales animées de vitesses égales. Or dans cette derniere hypothese il y aurait équilibre (Cas 1.). Donc &c.

On peut encore démontrer cette proposition de la maniere suivante. Soit la masse du petit corps, celle du grand, la vitesse du grand corps & par conséquent celle du petit. Je regarde la masse du grand corps comme composée de deux masses , , égales chacune à la masse du petit ; & au lieu de supposer chacune de ces deux masses , , animées de la vitesse , je suppose, ce qui revient au même, que la masse antérieure , celle qui touche le petit corps, soit animée de la vitesse en avant, & de la vitesse en arriere, tandis que la masse postérieure conserve sa vitesse . Il est évident que la masse animée de la vitesse doit faire équilibre à la masse égale animée de la vitesse . Donc il ne restera que la masse animée de la vitesse , laquelle fera équilibre (Cas 1.) à la masse du petit corps animée de la vitesse .

Dans ce second Cas & dans les deux suivans, ainsi

que dans les Corollaires qui en seront tirés, je suppose, afin que la démonstration ne souffre aucune difficulté, que les corps soient deux parallélépipedes rectangles de bases égales & semblables, & de différente longueur, qui se choquent par leurs bases. On verra plus bas (art. 57) la démonstration du Théorème pour des corps de figure quelconque.
Troisieme Cas.

Si les deux masses sont entr’elles comme deux nombres rationnels quelconques ; soient , , ces deux masses, , , leurs vitesses, la masse qui est la mesure commune des deux masses , , la vitesse qui est la mesure commune des deux vitesses , ; on aura , ; , , , & exprimant deux nombres entiers. Cela posé, on prouvera, comme on a fait dans le Cas précédent, qu’à chacune des masses animée de sa vitesse, on peut substituer un nombre de masses animées de la vitesse , & qui par conséquent se feront équilibre de part & d’autre. Donc &c.

Avant que de passer au quatriéme Cas, nous observerons que dans les trois Cas précédens si ou , il ne peut y avoir d’équilibre. Car supposons pour un moment que les corps , , se fassent équilibre en cet état ; soient imaginés ces deux corps , , sur un plan, & soit supposé que ce plan soit mû en emportant les deux corps avec une vitesse qui soit dans le sens de ou dans un sens contraire, & qui soit telle que ; il est visible que les corps , , ainsi emportés, se choqueront dans l’espace absolu avec des vitesses , qui seront en raison inverse de leurs masses, & que par conséquent, suivant ce qui a été démontré ci-dessus, ils doivent rester en repos dans cet espace absolu. Cepen dant ils n’y resteroient pas, si comme on le suppose, ils se faisoient équilibre avec les seules vitesses & . Car ces vitesses & étant détruites, par l’hypothese, à la rencontre des deux corps, il leur resteroit la vitesse commune avec laquelle rien ne les empêcherait de se mouvoir.

Donc si deux masses commensurables quelconques sont en équilibre, & qu’on augménte ou qu’on diminue la vitesse de l’une d’elles, l’équilibre sera rompu. A plus forte raison le sera-t-il si on augmente ou qu’on diminue à la fois la vitesse & la masse d’un des corps.

Quatrieme Cas.

Supposons enfin que les masses , , soient incommensurables, de maniere que & , & étant deux nombres entiers, & ; je dis que si , il y aura encore équilibre.

Car supposons qu’il n’y eût point équilibre, & qu’il fallût pour cela ajoûter ou retrancher de la masse une quantité ; la masse animée de la vitesse , seroit donc en équilibre avec la masse ou animée de la vitesse . Or la quantité doit être nécessairement plus petite que . Car si elle étoit plus grande, on aurait . De plus, cette derniere masse , animée de la vitesse , fera équilibre à la masse animée de la vitesse . Or puisque , on a , c’est-à- dire . Donc par la Remarque qui est à la fin du Cas précédent, la masse qu’on suppose plus grande que , étant animée de la vitesse plus grande que ne sauroit être en équilibre avec la masse animée de la vitesse . Donc doit nécessairement être , & comme peut être aussi petit qu’on voudra, il s’ensuit que . Donc &c.

Si la quantité étoit une quantité qu’il fallût retrancher, on auroit en supposant , & . Donc &c. Ce qu’il falloit démontrer.

Le produit de la masse d’un corps par sa vitesse est appellé quantité de Mouvement. De là naît cet axiome, que les corps qui ont des quantités de mouvement égales & directement opposées, se font équilibre.

Remarque.

47. On a démontré à la fin du troisieme cas de l’article précédent, que quand les masses , sont commensurables, non-seulement il y a équilibre si , mais qu’il n’y a point équilibre si n’est pas égal à . Il est aisé d’appliquer la démonstration qu’on en a donnée au cas des masses incommensurables. D’où il résulte que la loi de l’équilibre est unique, c’est-à-dire qu’il n’y a point d’équilibre & qu’il ne sauroit y en avoir dans un autre cas que dans celui des masses en raison inverse des vitesses, lorsque les corps tendent à se mouvoir dans des directions opposées.

Corollaire I.

48. Si trois corps , , , (Fig. 14) sont attachés à une verge indéfinie , ou à un fil, & qu’ils reçoivent suivant , , des vitesses telles que la somme des quantités de mouvement du corps & du corps , soit égale à celle du corps seul, il y aura équilibre. Car on peut (art. 30) regarder la vitesse du corps comme composée de deux vitesses quelconques, dont la somme soit égale à la vitesse totale ; & par conséquent on peut considérer dans le corps deux quantités de mouvement, dont l’une soit égale & contraire à celle de , l’autre égale & contraire à celle de . Donc &c.

Fig. 14

Donc en général quel que soit le nombre des corps, il y aura équilibre, quand la somme des quantités de mouvement de ceux qui tirent en un sens, sera égale à la somme des quantités de mouvement de ceux qui tirent en sens contraire.

Corollaire II.

49. Supposons que trois corps , , , (Fig. 15) attachés aux fils ou verges , , , soient en équilibre, & qu’on cherche le rapport des quantités de mouvement de ces trois corps entr’elles. On remarquera d’abord que l’action des corps & sur le point est la même, que si ces corps & étoient en ; on supposera que & soient entr’elles comme les vitesses des corps & ; on décomposera chacune de ces vitesses , en deux autres , ; & , ; dont les deux , aient des directions contraires, & les deux autres , soient dirigées suivant prolongée.

Fig. 15
Maintenant, puisqu’il y a équilibre, il s’ensuit que ; de plus, la quantité de mouvement du corps doit être égale à . Or si par un point quelconque de la ligne prolongée on tire parallèle à , & parallèle à ; je dis que les lignes , , seront entr’elles comme les quantités de mouvement des corps , , ; c’est-à-dire que . Car (à cause de ) (mettant pour & leurs proportionnelles & ) . Ce qu’il falloit démontrer.
Corollaire III.

50. Tout ce que nous venons de dire sur l’équilibre dans les propositions précédentes, sera vrai encore, si au lieu des vitesses finies imprimées aux corps qui sont en équilibre, on leur suppose des forces accélératrices qui soient entr’elles comme étoient ces vitesses finies, ou, suivant les définitions données art. 22, des forces motrices qui soient entr’elles comme étoient leurs quantités de mouvement. L’équilibre subsistera encore, il ne faudra que se servir pour la démonstration, du Corollaire II. Chapitre II. au lieu du Corollaire I. du même Chapitre.

Remarque.
Sur l’usage du mot de Puissances dans la Statique.

51. Les puissances ou causes qui meuvent les corps, ne peuvent agir les unes sur les autres que par l’entremise des corps mêmes qu’elles tendent à mouvoir. D’où il s’ensuit que l’action mutuelle de ces puissances, n’est autre chose que l’action même des corps animés par les vitesses qu’elles leur donnent. On ne doit donc entendre par l’action des puissances, & par le terme même de puissances dont on se sert communément dans la Statique, que le produit d’un corps par sa vitesse ou par sa force accélératrice. De cette définition, & des articles précédens, on conclut aisément que deux puissances égales & directement opposées se font équilibre ; que deux puis sances qui agissent en même sens produisent le même effet que leur somme ; que si trois puissances agissant sur un point commun sont en équilibre, & qu’on fasse sur les directions de deux de ces puissances un parallélogramme, la diagonale de ce parallélogramme sera dans la direction prolongée de la troisiéme puissance, & que les rapports des trois puissances seront ceux de la diagonale aux côtés &c, & plusieurs autres Théorêmes semblables que l’on démontre dans la Statique, peut-être avec moins de précision que nous le faisons ici, parce qu’on n’y donne pas communément une notion du mot de puissance aussi nette que celle que nous venons de donner.

Corollaire IV.

52. Supposons que deux puissances égales appliquées aux extrémités , (Fig. 16) d’une verge droite & inflexible , agissent en sens contraires dans la direction de cette même verge, & se fassent par conséquent équilibre. Si on imagine une autre verge quelconque fixe même, si l’on veut, en un point quelconque , il est évident que l’équilibre subsistera. De plus, si les puissances au lieu de demeurer appliquées en & en étoient appliquées par tout où l’on voudrait dans prolongée vers & vers , il est clair que l’équilibre subsisteroit encore. Donc si on suppose la verge anéantie, & que la seule verge subsiste, les puissances appliquées en & en étant égales & de directions contraires, se feront équilibre.

Fig. 16
Corollaire V.
Qui contient le principe du Levier.
53. Soient & les directions de deux puissances en équilibre sur le levier , & que & soient entr’elles comme ces puissances ; je décompose la puissance en deux autres, dont les directions & prolongées, passent, l’une par , l’autre par , & de même la puissance en deux autres, dont les directions & passent par & par . En menant les perpendiculaires , , , sur , , , j’ai[3] , & . Mais à cause de l’équilibre . Donc . Donc les puissances , sont entr’elles en raison inverse des distances de leurs directions au point fixe [4].
Corollaire VI.

54. Si le point n’était pas fixe, alors il faudroit se servir du Corollaire II. ci-dessus, pour savoir quelle puissance il faudroit appliquer en pour résister aux puissances , . Or comme les puissances , peuvent être regardées comme composées des puissances & , & , & que les puissances , sont égales & se détruisent, il s’ensuit que la puissance capable de faire équilibre aux puissances , , sera la même que celle qu’on trouveroit, si au lieu de ces puissances , , on imaginoit les puissances , , appliquées en avec leurs directions propres.

Remarque sur le cas où le Levier est droit.

55. La démonstration précédente du principe du levier, suppose que les lignes & fassent un angle, & il semble par conséquent qu’elle ne puisse s’appliquer au cas où le levier est droit, & les directions des puissances parallèles. Cependant comme la proposition est vraye, quelque obtus que soit l’angle ; il est clair qu’elle doit être vraye encore, lorsque l’angle est de 180 degrés. Voici, au reste, une démonstration plus rigoureuse du cas dont il s’agit.

Soient , (Fig. 17) les bras de levier ; , les directions des deux puissances, que je suppose en équilibre ; il est évident en premier lieu, que si les bras de levier sont égaux, les puissances , doivent être égales. Mais si les bras , sont inégaux, alors ayant tiré à volonté la ligne , imaginons que cette ligne fait une verge inflexible, à l’extrémité de laquelle soient appliquées deux puissances , , éga les & opposées, dans la même ligne que la puissance :supposons de plus, que la seule puissance qui tire en embas, soit capable de faire équilibre avec la puissance sur le levier . Il est constant que la puissance opposée à celle-ci, doit faire équilibre à la puissance ; c’est-à-dire (art. 52) qu’elle doit lui être égale. Donc (art. 53) . Donc . Ce qu’il falloit démontrer.

Fig. 17

Je ne suis pas le seul qui aye déduit les propriétés du levier droit de celles du levier courbe. M. Newton en a usé de la même maniere dans ses Principes, quoiqu’il ait suivi une route différente de la nôtre, & il y a lieu de croire que ce grand Géometre sentoit la difficulté qu’il y aurait eu à s’y prendre autrement. J’ai tiré les propriétés du levier courbe, de l’équilibre entre deux puissances égales & opposées en ligne droite ; mais comme ces deux puissances disparoissent dans le cas du levier droit, la démonstration pour ce cas n’a pu être tirée qu’indirectement du cas général.

On peut démontrer les propriétés du levier droit, dont les puissances sont parallèles, en imaginant toutes ces puissances réduites à une seule, dont la direction passe par le point d’appui : c’est ainsi que M. Varignon en a usé dans sa Mécanique. Cette Méthode entre plusieurs avantages, a celui de l’élégance & de l’uniformité ; mais n’a-t-elle point aussi, comme les autres, le défaut d’être indirecte, & de n’être pas tirée des vrais principes de l’équilibre ? Il faut imaginer que les directions des puissances prolongées concourent à l’infini, les réduire ensuite à une seule par la décomposition, & démontrer que la direction de cette derniere passe par le point d’appui. Doit-on s’y prendre de cette maniere pour prouver l’équilibre de deux puissances égales, appliquées suivant des directions parallèles à des bras égaux de levier ? Il me semble que cet équilibre est aussi simple & aussi facile à concevoir, que celui de deux puissances opposées en ligne droite, ou d’une puissance retenue par un point fixe, & que nous n’avons aucun moyen direct de réduire l’un à l’autre : or si la Méthode de M. Varignon pour démontrer l’équilibre du levier est indirecte dans un cas, elle doit l’être aussi nécessairement dans l’application au cas général.

Corollaire VII.

56. Toutes choses demeurant les mêmes que dans la Remarque précédente ; si on suppose au lieu du point fixe une puissance qui faise équilibre aux puissances & , il est évident que sa direction sera parallèle & contraire à celle de ces puissances, & qu’elle sera égale à leur somme. Car en supposant qu’elle fasse équilibre aux puissances , , elle sera [5]. Donc puisque

, elle sera aussi [6].
Remarque I.

57. Lorsqu’un corps se meut ou tend à se mouvoir suivant une direction quelconque, on peut imaginer ce corps comme composé d’une infinité de petits parallélépipedes rectangles d’une égale épaisseur, dont les côtés soient parallèles à la direction du corps ; ces parallélépipedes se mouvront ou tendront à se mouvoir suivant leur longueur avec une vitesse égale ; & par le principe du levier, on pourra toujours réduire le mouvement de ce corps à celui d’un de ces parallélépipedes, qui auroit une vitesse égale à la somme des vitesses de chaque parallélépipede, c’est-à-dire égale à la vitesse du corps multipliée par le nombre des parallélépipedes. Par là on voit aisément comment l’équilibre de deux corps se réduit à celui de deux parallélépipedes à bases égales ; & par conséquent comment le Théorême de l’article 46 s’applique à des corps de figure quelconque.

Remarque II.

58. Soient deux lignes , , (Pl. V. fig. 5.} perpendiculaires l’une à l’autre, & perpendiculaire au plan de ces deux là ; imaginons une puissance parallèle à , dont la distance au plan soit , & la distance au plan , ; une puissance parallèle à , dont la distance au plan soit , & la distance au plan , ; enfin une puissance parallèle à dont la diftance au plan soit , & la distance au plan , :on peut reduire l'action de ces puissances à celle de trois autres ; la premiere sera égale & parallèle à la puissance , & agira (Pl. V. fig. 6.) sur un point du plan , tel que menant parallèle à , on ait , & que parallèle à soit égale à ; la seconde puissance sera dirigée suivant parallèlement à dans le plan , & sera ; la troisieme sera dirigée parallèlement à dans le même plan , sera égale à , & agira à une distance de qu'on trouvera facilement. Ces propositions peuvent se démontrer aisément par les articles 20, 21, 22 de mes Recherches sur la précession des Equinoxes[7].

Fig. V-05
Fig. V-06
Ce principe sert à trouver la loi d’équilibre de tant

de puissances qu’on voudra, qui agissent dans des plans & dans des directions quelconques. On décomposera,

ce qui est toujours possible, chacune de ces puissances en trois autres, parallèles aux lignes , , ; on nommera ces puissances , , , & il faudra pour l’équilibre ; 1º. s’il n’y a pas de point fixe, que , , ; & que de plus , , . 2°. S’il y a un point fixe, & que ce point fixe soit (ce qu’on peut toujours supposer) il faudra seulement que les trois dernieres équations ayent lieu chacune en particulier.

Pour démontrer ces trois dernieres équations, les seules qui en ayent besoin, on considérera que les puissances étant perpendiculaires au plan , & les autres puissances étant dans ce même plan, les puissances doivent seules & indépendamment des autres être en équilibre ; donc non-seulement la somme de ces puissances doit-être , mais encore la somme de leurs momens par rapport aux lignes , . Donc , & . Donc , & . De même, en rapportant la puissance perpendiculairement au plan , comme on a rapporté la puissance perpendiculairement au plan , on trouvera , , & pour la puissance , rapportée perpendiculairement au plan , on aura , . Or ces six équations se réduisent aux trois que nous avons données.

Il est bon de remarquer que les équations , , & , sont chacune nécessaires pour qu’il y ait équilibre. Car soient par exemple trois puissances , , , (Pl. V. fig. 7.) en équilibre & perpendiculaires au plan ; il faut pour l’équilibre 1°. Que . 2º. Que les points , , , soient en ligne droite, ce qui donne les deux équations , & . Si les points , , n’étoient pas en ligne droite, que le point , par exemple, fût en dans le prolongement de , la seconde équation auroit lieu, mais non la premiere ; & il n’y auroit point équilibre.

Fig. V-07
Remarque. III.

59. Je ne m’étendrai pas davantage sur les loix de l’équilibre dans cette premiere Partie. J’aurai occasion d’en parler encore dans la seconde Partie de cet Ouvrage. La loi générale de l’équilibre, est que les puissances soient entr’elles réciproquement comme les vitesses, estimées suivant la direction de ces puissances. C’est de cette loi générale, dont M. Newton fait mention en peu de mots au commencement de ses Principes, que dépend la démonstration de la conservation des forces vives, comme on le verra dans la seconde Partie de cet Ouvrage.

Pour ce qui concerne le détail des différentes Machines dont on fait mention d’ordinaire dans la Statique, comme la Poulie, le Treuil &c, je me contente, n’ayant là-dessus rien de nouveau à dire, de renvoyer mes Lecteurs aux Livres qui en traitent, & particuliérement à la Méchanique de M. Camus, de l’Académie Royale des Sciences, publiée il y a quelques années, & à l’Ouvrage de M. Trabaud, qui a pour titre : Principes sur le Mouvement & l’Equilibre ; Ouvrages où cette matière est traitée avec exactitude & avec clarté.


  1. L’Ouvrage de M. Mac-Laurin, qui a pour titre, A Treatise of fluxions, a été publié à l’occasion d’un Livre Anglois intitulé, The Analyst &c. contre la certitude des Mathématiques, & dont la plûpart des argumens sont contre la Méthode des infiniment petits.
  2. Voyez l'Encyclopédie, aux mots Différentiel & Fluxion. La Métaphysique du calcul différentiel est expliquée dans le premier de ces articles, d’une maniere qui ne doit laisser aucune difficulté.
  3. ; en effet les côtés , du triangle doivent être entr’eux comme les sinus des angles , , ou de leurs égaux , , c’est-à-dire en prenant pour rayon, que .
  4. L’équation ou fait voir que quand deux puissances sont en équilibre sur un levier, si on multiplie chaque puissance par sa distance à l’appui, la différence des produits doit être zéro. En général, pour que tant de puissances qu’on voudra dirigées dans un même plan se fassent équilibre, il faut que la somme des produits de chaque puissance par sa distance à l’appui, soit zéro, en prenant avec des signes contraires celles qui agissant dans des sens différens. Quoique cette proposition soit demontrée dans tous les Livres de Statique, cependant comme nous en ferons usage par la suite, & que nous voulons épargner au Lecteur la peine de recourir ailleurs, nous allons la démontrer ici pour trois puissances seulement, mais de maniere à faire voir que la démonstration réussiroit de même pour un plus grand nombre. Soit le levier (Pl. V. fig. 4.) dont l’appui est en , & aux trois points , , soient appliquées trois puissances représentées par , , . La force peut se décomposer en deux , , dont la premiere passe par l’appui, la seconde par le point ; cette seconde peut se décomposer de nouveau en deux autres , , la premiere couchée sur , la seconde dirigée à l’appui.
    Fig. V-04

    Les deux forces & peuvent chacune se décomposer en deux, l’une dirigée à l’appui, l’autre couchée sur la ligne . Cela posé, les forces dirigées aux appuis y sont détruites, il faut donc que les forces , , se détruisent entr’elles, c’est-à-dire que .

    Or 1º. ou , & ; donc , & par conséquent ; 2º. , & ; donc , & ; donc l’équation sera , ou . Ce qu’il falloit démontrer.

    En suivant la même méthode que dans les Corollaires V. & VI. on démontre de même, que les puissances appliquées en , , agissent sur l’appui , comme si elles étoient immédiatement appliquées à ce point.

  5. Car par le Corollaire VI. les puissances appliquées en & en agissent sur le point comme si elles étaient appliquées en ce point ; or dans ce dernier cas, le point seroit sollicité avec une force .
  6. De toute cette Théorie du levier, il est facile de conclure, que pour réduire à une seule force tant de puissances que l’on voudra, qui agissent suivant des directions parallèles & dans un même plan sur un levier, il suffit de chercher sur ce levier un point tel, qu’en y appliquant parallèlement à toutes ces puissances une force égale à leur somme (si elles tirent toutes dans le même sens) ou égale à l’excès de la somme de celles qui tirent dans un sens sur la somme de celles qui tirent dans l’autte, la somme des produits de chaque puissance par sa distance à un point pris à volonté dans le levier, soit égal au produit de cette puissance totale par sa distance à ce même point. En général, si tant de puissances parallèles qu’on voudra & perpendiculaires à un même plan sont en équilibre, la somme des produits de ces puissances par leurs distances à un plan quelconque, situé comme on voudra, sera toujours nulle. Ces deux propositions sont aisées à démontrer par le principe du levier, & se trouvent dans beaucoup d’ouvrage.
  7. Que la puissance (Pl. V. fig. 5.) rencontre le plan au point , la puissance le plan au point , & soient tirées , parallèles à , ; , parallèles à , ; & enfin qui rencontre en la ligne parallèle à . Au lieu de la puissance , qui agit au point , on peut prendre deux puissances qui agissent l'une en , l'autre en , parallelement à la puissànce , dont la somme soit , & qui soient entr'elles en raison de à , ou, ce qui revient au mème, qui soient à la puissance , comme & sont à , ou comme & sont à ; ainsi la puissance qui agit en sera , & celle qui agit en sera ; mais cette derniere rencontrant nécessairement en quelque point la puissance dirigée suivant , il naît du concours de ces deux forces une force dirigée suivant , qui prolongée rencontre en le plan , & peut être censée agir au point :or il est visible en tirant , parallèle à , que le point est sollicité de la même maniere que si on lui appliquoit, suivant & , les forces qui agissoient tout-à-l'heure suivant & :nos deux forces sont donc réduites à trois, dont l'une agit suivant , la seconde agit suivant , la troisieme agit suivant parallèle à ; mais ces deux dernieres peuvent, comme on l'a vû, se réduire à une seule égale à leur somme, & par conséquent , qui passera par , où , rencontre :car , c'est-à-dire en raison inverse des puissances appliquées en & . De plus, les deux forces suivant & , ayant produit une force dirigée suivant , il est visible que si on représente la premiere par , la seconde doit être représentée par , & qu'ainsi on a ou ou ; donc ; d'ailleurs les triangles , donnent , & par conséquent ; donc ; donc les deux forces & sont réduites à deux autres, qui sont aussi & , dont la premiere agit en parallèlement à à une distance de , & l'autre agit suivant dans le plan à la distance . Maintenant (Pl. V. fig. 6.) que soit le point ou la puissance rencontre le plan . Soit tirée par le point , où est actuellement appliquée la puissance , la ligne parallèle à , on aura ; soit tirée ensuite ; la puissance appliquée en peut se décomposer en deux, l'une suivant prolongement de , l'autre suivant parallèle à , & qui rencontrera par conséquent la direction de la puissance . Ayant tiré parallèle à , les triangles semblables , donneront ou la force suivant , & la force suivant ; mais cette derniere par son concours avec la force dirigée suivant produit une force, dont la direction prolongée rencontre en quelque point , & qu'on peut par conséquent imaginer appliqué à ce point :or si on représente par , ensorte que ; donc (à cause de ) on a . Mais au lieu de la force suivant , on peut imaginer au point les forces & appliquées suivant des directions parallèles à & , ensorte que la force , ou agira suivant , & la force suivant parallèle à ; or cette derniere peut se décomposèr en deux autres, l'une suivant parallèle à , & l'autre suivant parallèle à ; & par la comparaison des triangles semblables , on trouvera la force suivant , & la force suivant . Voilà donc nos trois forces réduites à cinq, la premiere qui agit en perpendiculairement au plan à une distance de ; la seconde , qu'on peut considérer comme appliquée en & agissant suivant ; la troisieme qu'on peut considérer comme appliquée en & agissant suivant ; la quatrieme , qui agit suivant ; la cinquieme enfin , qui agit suivant ou , à la distance ; mais les forces appliquées en , , étant parallèles se reduisent à une seule c'est-à-dire , & dont la distance à doit être telle que ; d'où l'on tire .