Toute la lyre
Toute la lyreOllendorfŒuvres complètes, 34 (p. 11-89).


== I À LOUIS B. ==

Non, je n'ai point changé. Tu te plains à tort, frère.
Hélas! quoique le ciel parfois nous soit contraire,
Quoique nous n'ayons rien ici qui soit à nous,
Quoique dans nos travaux, rudes et pourtant doux,
Le sort jaloux souvent vienne et nous interrompe,
Non, je n'ai point changé, Louis; ton coeur se trompe.
Je suis l'homme pensif que j'ai toujours été.
Contemplant la nature, adorant la beauté,
Fait d'admiration, d'étude et de prière;
Prosterné devant l'ombre ét devant la lumière,
J'ai, créé pour souffrir et vivre par l'amour,
Deux musiques en moi qui chantent tour à tour:
Dans la tête un orchestre et dans l'âme une lyre.
Cette création que je tâche de lire,
Avec ses univers, ses lueurs, ses splendeurs,
Remuant mon cerveau jusqu'en ses profondeurs,
En fait en même temps vibrer toutes les fibres.
Je veux les peuples grands, je veux les hommes libres;
Je rêve pour la femme un avenir meilleur;
Incliné sur le pauvre et sur le travailleur,
Je leur suis fraternel du fond de ma pensée;
Comment guider la foule orageuse et pressée,
Comment donner au droit plus de base et d'ampleur,
Comment faire ici-bas décroître la douleur,
La faim, le dur labeur, le mal et la misère,
Toutes ces questions me tiennent dans leur serre;
Et puis, quoique songeur, aisément réjoui,
Je me sens tout à coup le coeur épanoui

Si, dans mon cercle étroit, j'ai, par une parole,
Par quelque fantaisie inattendue et folle,
 
Fait naître autour de moi, le soir au coin du feu,
Ce rire des enfants qui fait sourire Dieu.

Ainsi tu m'as connu. Je suis toujours le même.
Aujourd'hui seulement, attristant ceux que j'aime,
Le deuil monte parfois à mon front douloureux,
Je reste moins longtemps au milieu des heureux,
Et dans mes yeux, souvent fixés hors de ce monde,
Le sourire est plus pâle et l'ombre est plus profonde.

11 octobre 1846.


== II Admire, enfant!==

- Admire, enfant! souvent aux marins de Messine Un pauvre feu de pâtre au loin montre et dessine Charybde ou bien Scylla. Il conduit le nocher dans sa route prospère!... - Mais, répondit l'enfant, l'étoile aussi, mon père, Peut servir à cela.. -

Q mon fils, ô mon fils! tu l'as dit! Parle encore! O front pur qui vers moi montes comme une aurore, Mon enfant bien-aimé! Tout est grand! Tout est bon! tu l'as dit de ta bouche Qui versa tant de fois sur mon esprit farouche Son souffle parfumé!

Tu l'as dit! un seul mot de ta« pure innocence -Vaut mieux que ma sagesse et plus que ma science, Enfant religieux! Pour un regard d'enfant le ciel n'a pas de voiles. Où pourrait-on trouver le secret des étoiles Si ce n'est dans tes yeux ?

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III À UNE RELIGIEUSE modifier


Dans vos dévotions que comprend ma pensée,
Ne vous détournez pas comme une âme blessée,
Sainte fille du ciel, oh non! je n'ai pas ri.
Mon coeur d'un Dieu rêveur de tout temps fut l'abri.
Et ce que je vénère avant tout dans ce monde
C'est l'homme, raison calme et passion profonde,

Qui fait la part de tout, à toute heure, en tout lieu,
Debout devant le sort; à genoux devant Dieu.
Voyez-vous, je suis. né sous des regards austères;
Et ma joie ingénue en de graves mystères
A souvent regardé sans, risée et-sans peur.
La belle enfance, ainsi qu'une blanche vapeur,
Toujours dans notre esprit reparaît et surnage;
Et moi, je m'en souviens,. jouant dans mon jeune âge
Avec mon frère Eugène, avec mon frère Abel,
Mêlant ma voix aux leurs, innocente Babel,
Tout petit, j'ai rempli de chansons enfantines
Le saint. cloître où. jadis priaient " les Feuillantines.

25 juin 1837

IV À cette heure indécise modifier


À cette heure indécise où le jour va mourir,
Où tout s'endort, le coeur oubliant de souffrir,
Les oiseaux de chanter et les troupeaux de paître,
Que de fois sous mes yeux un chariot champêtre,
Groupe vivant de.bruit, de chevaux.et-de voix,
A gravi sur le flanc du coteau dans les bois
Quelque route creusée entre les ocres jaunes,
Tandis que près d'une eau qui fuyait sous les aulnes,
Seul, j'écoutais gémir dans les brumes du soir
Une cloche enrouée au fond d'un vallon noir!
Que de fois épiant la rumeur des chaumières,
Le brin d'herbe moqueur qui siffle entre deux pierres,
Le cri plaintif du soc, gémissant et traîné,
Le nid qui jase au fond du cloître ruiné
D'où l'ombre se répand sur les tombes des moines,
Le champ doré par l'aube où causent les avoines
Qui pour vous voir passer, comme un peuple ravi,
Au bord du chemin creux se penchent à l'envi,
L'abeille qui tout bas chante et parle à la rose,
Parmi tous ces'. objets. dont l'être se compose,
Que de fois j'ai rêvé, triste et parfois heureux,
Tâchant de m'expliquer ce qu'ils disaient entre eux!

V La France, ô mes enfants, modifier


La France, ô mes enfants, reine aux tours fleuronnées,
Posait, sous l'empereur que votre aïeul servait,
 
Le bras droit sur le Rhin, le gauche aux Pyrénées,
Et ses pieds et sa tête avaient, ô destinées!
L'Océan pour lion, les Alpes pour chevet.

Austerlitz, Iéna, Friedland, météores,
Rayonnaient. Un seul homme enflammait tous les yeux;
Sa gloire, grandissant à toutes les aurores,
Se composait du bruit des trompettes sonores
Et des tambours joyeux.

Et l'Europe voyait brillér, vaincue et fière,
Dans ce camp, d'où sortaient la guerre et ses terreurs,
Autour de cette France en tous lieux la première,
Comme des moucherons autour d'une lumière,
Un groupe humilié de rois et d'empereurs.

Ces choses se passaient quand mon âme innocente
S'ouvrait, comme la vôtre, au soleil réchauffant;
Le léopard anglais rôdait, gueule béante,
César était debout, la France était géante,
Lorsque j'étais enfant;

Lorsque j'étais enfant, envié par les mères,
Libre dans le jardin et libre dans les bois,
Et que. je m'amusais, errant près des chaumières,
A prendre des bourdons dans les roses trémières
En fermant brusquement la fleur avec mes doigts.

Bois d'Andernach-sur-le-Rhin.

12 septembre 1840.

VI L'autre jour, modifier


L'autre jour, ami cher, ami de vingt années,
Tandis qu'en vos pensers, rêvant des jours meilleurs,
Vous sondiez de l'état les hautes destinées,
Je regardais jouer vos enfants dans les fleurs.

Inégales par l'âge, également aimées,
L'aînée à la dernière avec amour sourit.
Trois filles! êtres purs! âmes au bien formées
Que pénètre un rayon de votre grand esprit!

La rosée inondait les fleurs à peine écloses;
Elles jouaient, riant de leur rire sans fiel.
Deux choses ici-bas vont bien avec les roses,
Le rire des enfants et les larmes du ciel.

Beaux fronts où tout est joie et qui n'ont rien de sombre!
Oh! je les contemplais, le cœur de pleurs gonflé,
Moi qui vis désormais l’œil fixé sur une ombre,
Moi qui cherche partout mon doux ange envolé!

Devant votre bonheur j'oubliais ma souffrance,
Je priais, d'un esprit paisible et raffermi;
Mon deuil recommandait à Dieu votre espérance,
Et du fond de mon cœur je vous disais: — Ami!

Soyez toujours heureux dans ces têtes si chères!
Que chaque jour qui passe ajoute à leur beauté!
Voyez sur votre seuil, en proie aux soins austères,
S'épanouir leur grâce et leur sérénité!

Dieu vous doit ce bonheur!, car dans notre nuit noire,
Ces êtres si charmants nous consolent parfois!
Car vous vous détournez du bruit de votre gloire
Pour écouter, pensif, l'heureux bruit de leur voix!
Aimé dans vos foyers, admiré de la foule,
Esprit profond, lutteur aux discours triomphants,
Passant du juste au vrai, votre destin s'écoule
Entre les grands travaux et les petits enfants!
Oh! quand de noirs soucis vos heures sont ternies,
Regardez! regardez cet avenir si doux,
Ces trois fronts rayonnants, ces trois aubes bénies
Qui se lèvent dans l'ombre, ô père, autour de vous!

24 septembre 1844.

VII Vous êtes bien des fois venus modifier


Vous êtes bien des fois venus dans ma demeure
En m'appelant ami!
Vous avez dans vos bras bercé l'enfant qui pleure
Et l'enfant endormi.
Et tandis qu'ils dormaient, beaux fronts où semble luire
Tout un monde meilleur,
Vous paraissiez, penchés avec un pur sourire,
Vague reflet du leur;

Tenir vos coeurs ouverts aux sereines pensées;
Aux songes réchauffants,
Qui sortent doucement, pour nos âmes blessées,
Du sommeil des enfants.

VIII À OL modifier


Tu vivais autrefois penché sur la nature,
O rêveur! ton esprit, sans changer de posture,
Se penche maintenant sur les événements.
Déjà des temps futurs les noirs linéaments
Pour ta prunelle fixe et claire sont visibles.
Souriant vaguement aux rencontres possibles,
Tu marches devant toi dans la nuit. Crainte, espoir,
Que t'importe? tu vas où tu vois le devoir.
Si l'on creuse à tes pas des pièges, tu l'ignores.
Parmi ces hommes fous et vainement sonores,
Grave, triste, et rempli: de l'avenir lointain,
Tu caches ou tu dis les choses du destin;
Car le ciel rayonnant te fit naître, ô poète,
De l'Apollon chanteur et de l'Isis muette.

27 novembre.

IX Vénus rit toute nue modifier


Vénus rit toute nue au-dessus de mon lit
Qu'un damas écarlate à glands dorés plafonne.
Des singes sur mon mur, bande agreste et bouffonne,
Font cent choses avec ces rires furieux
Qui ravissent Molière et choquent Andrieux.
Près d'eux songent, l'oeil plein d'une douce chimère,
Ma bisaïeule belle et jeune et ma grand'mère
Toute petite, avec une fleur dans sa main.
Partout, autour de moi, sur maint vieux parchemin,
Sur le satin fleuri, sur les pots, sur les laques,
Vivent confusément les djinns, les brucolaques,
Les mandarins à l'air vénérable et sournois,
Les dragons, les magots, et ces démons chinois
Fort laids, mais pétillants de malice et de flamme,
Qui doivent ressembler aux rêves d'une femme
Amoureuse de vous, ô mon ami Crémieux!
Mon esprit dans ce monde étrange songe mieux;
Comme un oiseau tenté par de lointaines grèves,
Il ouvre lentement les ailes dans ces rêves,
Il part du chimérique et monte à l'idéal.

X A cette heure de nuit modifier


A cette heure de nuit où l'homme vague et trouble,
Chair, âme, entre la terre et le ciel se sent double,
Quelquefois, à l'instant où. je vais m'endormir,
Où tous les flots de l'ombre en moi viennent frémir,
Une idée apparaît à mon esprit, et passe;
Ou quelque vers profond serpente dans l'espace,
Espèce de poisson ondoyant du sommeil;
Un moment je l'admire, étrange, obscur, vermeil,
Et, si je veux le prendre, il fuit, se mêle aux ombres,
Et s'enfonce à jamais dans les profondeurs sombres.

9 mars 1856.

Après avoir perdu cette nuit. Un vers que je regrette.

XI Le couchant flamboyait modifier


Le couchant flamboyait à travers les bruines
Comme le fronton d'or d'un vieux temple en ruines.
-L'arbre avait un frisson.
La mer au loin semblait, en ondes recourbée,
Une colonne torse en marbre vert, tombée
Sur l'énorme horizon.

La vague, roue errante, et l'écume, çavale,
S'enfuyaient; je voyais luire par intervalle
Les cieux pleins de regards;
Les flots allaient, venaient, couraient; sans fin,-sans nombre,
Et j'écoutais, penché sur ce cirque de l'ombre,
Le bruit de tous ces chars.

Lugubre immensité! profondeurs redoutées!
Tous sont là, les Satans comme les Prométhéen.
Ténébreux océans!
Cièux, vous êtes l'abîme où tombent les génies.
Oh! combien l'oeil, au fond des brumes infinies,
Aperçoit de géants!

Ô vie, énigme, sphinx, nuit, sois la bienvenue!
Car je me sens d'accord avec l'Ame inconnue.
Je souffre, mais je crois.
J'habite l'absolu, patrie obscure et sombre,
Pas plus intimidé dans tous ces gouffres d'ombre
Que l'oiseau dans les bois.



Je songe, l'oeil fixé sur l'incompréhensible.
Le zénith est fermé. Les justes sont la cible
Du mensonge effronté;
Le bien, qui semble aveugle, a le mal pour ministre,
Mais, rassuré, je vois sous la porte sinistre
La fente de clarté.

11 avril 1870.

XII Virgile, en ce beau mois modifier


Virgile, en ce beau mois, je sens moins les douleurs;
Par la nature et toi mon âme dort bercée;
J'ai devant ma fenêtre un jardin plein de fleurs,
Et ton doux livre ouvert sous l'oeil de ma pensée.

22 mai 1847.

XIII Le bien germe parfois modifier


Le bien germe parfois dans les ronces du mal.
Souvent, dans l'éden bleu de l'étrange idéal,
Que, frissonnant, sentant à peine que j'existe,
J'aperçois à travers mon humanité triste,
Comme par les barreaux d'un blême cabanon,
Je vois éclore, au fond d'une lueur sans nom,
De monstrueuses fleurs et d'effrayantes roses:

Je sens que par devoir j'écris toutes ces choses
Qui semblent, sur le fauve et tremblant parchemin,
Naître sinistrement de l'ombre de ma main.
Est-ce que par hasard, grande haleine insensée
Des prophètes, c'est toi qui troubles ma pensée?
Où donc m'entraîne-t-on dans ce nocturne azur?
Est-ce un ciel que je vois? Est-ce le rêve obscur
Dont j'aperçois la porte ouverte toute grande?
Est-ce que j'obéis? est-ce que je commande?
Ténèbres, suis-je en fuite? est-ce moi qui poursuis?
Tout croule; je ne sais par moments si je suis
Le cavalier terrible ou le cheval farouche;
J'ai le sceptre à la main et le mors dans la bouche;
Ouvrez-vous que je passe, abîmes, gouffre bleu,
Gouffre noir! Tais-toi, foudre! Où me mènes-tu, Dieu?
Je suis la volonté, mais je suis le délire.
O vol dans l'infini! J'ai beau par instants dire
Comme Jésus criant Lamma Sabacthani
Le chemin est-il long encore? est ce fini,

Seigneur? permettrez-vous bientôt que je m'endorme?
L'Esprit fait ce qu'il veut. Je sens le souffle énorme
Que sentit Élisée et qui le souleva;
Et j'entends dans la nuit quelqu'un qui me dit: Va!

XIV Mon âme était en deuil; modifier


Mon âme était en deuil; c'était l'heure de l'ombre.
L'air mêlait les aspects sans forme aux voix sans nombre;
Un chant de mort semblait sortir de tous ces bruits;
L'ombre était comme un temple immense aux triples voiles;
Et je voyais au fond scintiller les étoiles,
Cierges mystérieux sur le drap noir des nuits.

l janvier 1846

XV JE TRAVAILLE modifier


Amis, je me remets à travailler; j'ai pris
Du papier sur ma table, une plume, et j'écris;
J'écris des vers, j'écris de la prose; je songe.
Je fais ce que je puis pour m'ôter du mensonge,
Du mal, de l'égoïsme et de l'erreur; j'entends
Bruire en moi le gouffre obscur des mots flottants;
Je travaille. Ce mot, plus profond qu'aucun autre,
Est dit par l'ouvrier et redit par l'apôtre;
Le, travail est-devoir et droit, et sa beauté
C'est d'être l'esclavage étant la liberté.
Le forçat du devoir et du travail, est libre.
Mais quoi! penseur, tu vas remettre en équilibre
Au fond de ton esprit, qu'occupaient d'autres soins,
L'idée avec le mot, le plus avec le moins!
De la prose! pourquoi? des vers! pourquoi? des rimes!
Des phrases! A quoi bon? A quoi bon les abîmes,
Les mystères, la vie et la mort, les secrets
De la croissance étrànge et sombre des forêts
Et des peuples, et l'ombre où croulent les empires,
Et toute cette énigme humaine où les Shakspeares
Plongeaient, et que fouillaient, les yeux tout grands ouverts,
 
Tacite avec sa prose et Dante avec son vers!
A quoi bon la beauté, l'art, la forme, le style?
Lucrèce et le spondée, Horace et le dactyle,
Et tous ces arrangeurs de rhythmes et de mots,


Pindare, Eschyle, Job, Plaute, Isaïe, Amos!
A quoi bon ce qui fait l'homme grand sur la terre?
Ceux qui parlent ainsi feraient mieux de se taire;
Je connais dès longtemps leur vaine objection.
L'art est la roue immense et j'en suis l'Ixion.
Je travaille. À quoi? Mais à tout; car la pensée
Est une vaste porte à chaque instant poussée
Par ces passants qu'on nomme Honneur, Devoir, Raison,
Deuil, et qui tous ont droit d'entrer dans la maison.
Je regarde là-haut le jour éternel poindre.
A qui voit plus de ciel la terre semble moindre;
J'offre aux morts, dans mon âme èn proie au choc des vents,
Leur souvenir accru de l'oubli des vivants.
Oui, je travaille, amis! oui, j'écris! oui, je pense!
L'apaisement superbe étant la récompense
De l'homme qui, saignant et calme néanmoins,
Tâche de songer plus afin de souffrir moins.
Le souffle universel m'enveloppe et me gagne.
Le lointain avenir, lueur de la montagne,
M'apparaît, par-dessus tous les noirs horizons.
C'est par ces rêves-là que nous nous redressons.
O frisson du songeur qui redevient prophète!
Le travail, cette chose inexprimable; faite
De vertige, d'effort, de joug, de volonté,
Vient quand nous l'appelons, nous jette une clarté
Subite, et verse en nous tous les généreux zèles,
Et, docile, ardent, fier, ouvrant de brusques ailes;
Écartant les douleurs ainsi que des rameaux,
Nous emporte à travers l'infini, loin des maux,
Loin de la terre, loin du malheur, loin du vice,
Comme un aigle qu'on a dans l'ombre à son service.

12 janvier 1874.

XVI Tu me dis Finis modifier


Tu me dis Finis. donc ton livre des Misères.

Ami, pour achever ce vaste manuscrit,
Il me faut avant tout ma liberté d'esprit.
Quand un monde se meut dans le cerveau d'un homme,
Il ne peut pas songer aux affaires de Rome,
A monsieur Bonaparte, à Faucher, à Molé.
Rends-moi l'espace immense et le ciel étoilé!
Rends-moi la solitude et la forêt muette!
Hélas! on ne peut être en même temps poète
Qui s'envole, et tribun coudoyant Changarnier,
Aigle dans l'idéal et vautour au charnier.

Octobre 1851.

XVII Quand je marelle à mon but, modifier


Quand je marelle à mon but, auguste
Ce qui menacé me sourit.
Ô Dieu! ce que je veux, est juste
Et je le veux d'un ferme esprit.

Ni juin. formidable et farouche;
Ni les cris, ni le rire amer;
Ni Changarnier au regard. louche,
Ni le vent soufflant sur là mer,

Ni la haine où jè suis en butte,
Rien ne me fera chanceler.
Si le monde croulait,. sa chute
M'écraserait sans m'ébranler.

XVIII Ô toi qui m'as maudit modifier


Ô toi qui m'as maudit dans tes souffrances sombres,
Un jour, ceux qui vivront quand nous serons des ombres,
Les passants qu'après nous agitera le vent,
Surpris, viendront au champ des morts, et, soulevant
La pierre du tombeau sur ma bière muette,
Ils me demanderont : pourquoi donc, ô poète,
Quelqu'un t'a-t-il maudit, toi qui saignas pour tous ?
Et moi je répondrai, spectre farouche et doux,
Faisant signe à la pierre afin qu'elle retombe :
— Silence ! laissez-moi songer seul dans ma tombe.
Laissez-moi savourer la sombre volupté
De me dire : il eut tort, ce grand cœur irrité.

Bruxelles. 1 janvier 1852

XIX À UN ENFANT modifier


Quoique je sois de ceux qui se sont autrefois
Penchés sur ton berceau plein de ta jeune voix,
Tu commences, enfant, à ne plus me connaître.
Je ne suis rien pour toi qu'un étranger, un être
Évanoui, perdu dans de noirs lendemains,
Un voyageur dont l'ombre est sur d'autres chemins,
Quelqu'un qu'on vit jadis, avant les jours funèbres,
Lorsqu'on était petit, passer dans les ténèbres;
Tu ne songes pas plus à moi qu'au moucheron
Qui volait tout à l'heure en sonnant du clairon,
A ta balle perdue, à ta lampe soufflée;
Pas plus qu'à-ce parfum d'herbe et de giroflée
Qu'avril mêle à l'aurore et qui dure un moment;
Tu m'as laissé tomber de ton esprit gaîment
Comme un càhier fini tout noirci de grimoire.
Tu fais bien. Nous avons, hélas, plus de mémoire,
Enfants, nous qui, vivant pendant que vous naissez,
Lisons vos avenirs écrits dans nos passés;
Votre sort noùs émeut, et bien souvent nous sommes
Rêveurs, nous grands enfants, devant vous, petits hommes.
Aussi, vois-tu, du fond des mornes horizons,
Je viens à toi, jeune âme, et je te dis: causons.

Pose un moment ta plume et ferme ta grammaire.
Ecoute. Te voilà grandissant, et ta mère
Est debout près de toi comme un gardien des cieux.
Seule et veuve, et livrée aux vents capricieux,

En proie aux souffles noirs qui n'épargnent personne,
Elle étend sur ton front son aile qui frissonne,
Et veille; la colombe a peur pour le roseau.
Car le sort menaçant nous tient dès le berceau;
Qu'on soit un petit prince ou bien un petit pâtre,
Nul n'échappé au destin; son ongle opiniâtre
Se mêle à nos cheveux et nous traîne effarés.

Oh! fixe ton regard sur ses yeux adorés!
Ici-bas c'est ta mère, et là-haut c'est ton ange.
Cette femme a subi plus d'une épreuve étrange,
Enfant, c'est toi qui dois l'en consoler. Retiens
Que, touchante à nos yeux, elle est sacrée aux tiens.
La nature là fit reine; et le sort martyre.
Qui la voit pleurer sent un charme qui l'attire.
Hélas! l'ombre d'hier assombrit aujourd'hui.
Elle accepte, stoïque et simple, l'âpre ennui,
L'isolement, l'affront dont un sot nous lapide,

La haine des méchants, cette meule stupide
Qui broie un diamant ainsi qu'un grain de mil,
Et toutes les douleurs, contre-coups de l'exil.

Oh! l'exil! il est triste, il s'en va, grave et morne,
Traînant un deuil-sans fin dans l'espace sans borne,
Et, sur le dur chemin qui vers l'ombre descend,
Hélas! on voit tomber goutte à goutte le sang
Des racines du coeur qui pendent arrachées!

Le malheur, c'est le feu dans les branches séchées.
Il dévore, joyeux, nos jours évanouis.

Naguère elle brillait aux regards éblouis,
Pareille au mois de mai qu'un zéphyr tiède effleure;
Naguère elle brillait; maintenant elle pleure.
Ce rayon n'a duré que le temps d'un éclair.


Mais la pensée auguste habite son oeil fier;
Mais le malheur, qui, même en nous frappant, nous venge,
A mis des ailes d'aigle à ses épaules d'ange.
Dieu, caché dans la nuit de cet être souffrant,
Brille et fait resplendir son-sourcil transparent,
L'albâtre laisse voir la lumière immortelle,
Son front luit!

Toi, son fils, tressaille devant elle
Comme Gracchus enfant quand-sa mère venait;
Car elle est la clarté de ton aube qui naît.

Qu'importe que la foule ignore ou méconnaisse
J'ai vu; moi, quand l'angoisse étreignait sa jeunesse,
Comment elle a souffert, comment elle a lutté,
Et j'ai dit dans mon coeur: Cette femme eût été
Archidamie à Sparte ou Cornélie à Rome.

Enfant, ressemble-lui si tu veux être un homme;
Car elle est brave; car à l'abîme, au péril,
Son doux oeil féminin jette un regard viril;
Car c'est un ,ferme esprit! car c'est un vrai courage!
Jamais, sous le ciel bleu, jamais, devant l'orage,
Jamais, retiens cela, quoique tu sois petit,
Dans un plus noble séin plus grand coeur né battit!

Elle est femme pourtant, et ses maux sont sans nombre.
Mais un profond azur emplit son âme sombre.
Elle marche à travers la vie, âpre forêt,
Et regarde au-delà des rameaux; on dirait
Qu'elle cherche le mot d'une énigme dans l'ombre;
Et puis elle s'incline ainsi qu'un mât qui sombre;
 
Elle dit à l'espoir: va-t'en! au souvenir:
Silence! au jour qui meurt: hâte-toi de finir!
Car, conscience pure, elle est un esprit triste.
Même en rêvant longtemps sa tristesse persiste.


Hélas! le doute injuste est au fond de son coeur
Comme au fond d'un beau vase une amère. liqueur.
C'est qu'elle a tant gémi dans ,ces lugubres. voies
Où Dieu nous pousse avec nos douleurs et nos joies!
Une larme éternelle erre au bord de ses yeux...
Oh! courbons-nous devant ces fronts mystérieux
Qui, faibles et ployés, dans l'ombre où Dieu nous jette,
Semblent faits pour porter la souffrance muette,
Que le destin poursuit, ce bourreau jamais las,
Que tous les maux sur terre et tous les deuils, hélas!
Couvrent de leur cilice, accablent de leurs voiles,
Et qu'attendent aux cieux des couronnes d'étoiles!

Aime-la! porte-lui ton coeur chaque matin,
Ris! Réjouis cette âme à ton rire enfantin.
Sois le flot pur qui porte et caresse le cygne.
Quand elle parle, adore; obéis sur un, signe.
Sois son consolateur et sois son défenseur.
Que le mensonge vil, trompé dans sa noirceur,
Vienne apportant l'affront, te voie, et le remporte.
Qu'on te sente déjà veillant devant. sa porte.
Si le sort m'eût donné, sainte et charmante loi,
Ce grand devoir de fils qu'il te confie à toi,
Oh! comme elle eût dormi sous ma garde fidèle,
Et, lion pour autrui, j'eusse été chien pour elle!

Sois bon, spis doux, sois tendre. Écarte de ta main,
Sous ses pieds délicats, les pierres du chemin.

Pour elle, ô pauvre enfant, tu donnerais, écoute,
Ton âme souffle à souffle et ton sang goutte à goutte,
De sa robe à genoux tu baiserais les plis,
Tu la contemplerais comme on contemple un lys,
Comme on contemple un ciel où se lève l'aurore,
Mains jointes,l'oeil en pleurs, ce ne serait encore,
Pour cet être au front pur à qui tu dois le jour,
Pas assez de respect et pas, assez d'amour!


Grave en ton jeune esprit, fils d' une noble femme,
Ces paroles qui sont comme l'adieu d'une âme;
Enfant, écoute-moi, pendant que je suis là.
Car l’œil qui luit s'éteint, la bouche qui parla
Se ferme; nous vivons le temps de disparaître.
Enfant, je te le dis, je suis de ceux peut-être
Qu'on ne reverra plus, tant ils sont dans la nuit.
Ils vont enveloppés d'un tourbillon de bruit,
Meurtris, blessés, les yeux pleins de clartés sereines.
L'ouragan monstrueux des fureurs et des haines,
Souffle qui vient d'en bas, courbe leur front pensif.
Leur âme vole, oiseau, de récif en récif.
Ils traversent le choc des diverses fortunes,
Et leur main se cramponne au marbre des tribunes,
Aux lois, à la patrie, aux colonnes du droit.
Plus le péril grandit,. plus leur devoir s'accroît;
Du flot toujours plus noir leur foi sort plus robuste.
Ils luttent pour le bien, pour l'honneur, pour le juste,
Pour le beau, pour le vrai, laissant saigner leurs cœurs.
On dit: Où s'en vont-ils? reviendront-ils vainqueurs?
Est-ce l'adversité qui sera la plus forte?
Et cependant le vent sinistre les emporte;
Puis on les perd de vue; et, bien longtemps après,
On lit au bord des mers leur nom sous un cyprès.

22 décembre 1853.

XX Je marchais; modifier


Je marchais; j'entendais, comme tombait la nuit,
Des amants se parler dans l'ombre à petit bruit;
Des lèvres se cherchaient dans l'obscure feuillée;
Maint couple était assis dans l'herbe un peu mouillée;
Et moi, j'adorais Dieu qui, dans les bois charmants,
Pour le poète errant au milieu des amants,
Mêle à ce doux mystère entrevu sous des voiles
Le spectacle splendide et profond des étoiles.

30 octobre 1846.

XXI J'ai mené parfois dure vie, modifier


J'ai mené parfois dure vie,
Proscrit, errant de lieux en lieux,
Triste et jetant un œil d'envie
Au sépulcre mystérieux.

J'ai fait à pied de longues routes ;
Marchant la nuit, craignant les voix,
Plus rempli d'ombres et de doutes
Que la bête fauve des bois.
 
Ô vaincus des luttes civiles,
Malheur à vous ! rien ne vous sert.
J'ai le soir traversé des villes
Comme on traverse le désert.

Seul, comptant mon chétif pécule,
Loin de tous mes amis absents,
Je regardais, au crépuscule,
Aller et venir les passants.

L'eau des chemins mouillait mes guêtres.
Las, je tombais sur de vieux bancs.
Je regardais par les fenêtres
La gaîté des âtres flambants.

J'entendais rire sous le chaume
Les paysans à leur repas ;
Un étranger est un fantôme ;
Les murs ne le connaissent pas.


Comme Tullius fuyant Rome,
J'allais, ignorant où j'étais,
Accueilli par ceux que je nomme,
Repoussé par ceux que je tais.

La bise sifflait sur ma tête.
Je fuyais sans savoir comment,
Enveloppé de la tempête
Comme d'un sombre vêtement ;

En guerre avec l'ombre où nous sommes,
Avec l'onde et le vent marin,
Avec le ciel, avec les hommes,
En paix avec mon cœur serein !

Mon âme ouvrait ses yeux funèbres ;
Tout était noir, plus de ciel bleu ;
Mais je voyais dans ces ténèbres
La lointaine blancheur de Dieu.

Je me disais dans ma souffrance :
— Pleurer est bon, mourir est beau.
Car la porte de l'espérance
S'ouvre avec la clef du tombeau.

Autour de moi, troupes ailées,
Les strophes dont l'essaim me suit
Tourbillonnaient échevelées
Dans les souffles noirs de la nuit.

J'étais sûr, à travers mes peines,
Que j'étais un juste aux abois,
Et que les rochers et les chênes
Ne pouvaient point haïr ma voix.


Je parlais aux astres de flamme ;
Se taire ne sied qu'au maudit ;
Et je faisais chanter mon âme
Pour que la nature entendît.

Je ne sais pas quelles réponses
Les vents faisaient à mes chansons.
J'ai mangé les mûres des ronces
Et j'ai dormi sous les buissons.

14 octobre 1853. Jersey.

==XXII À DEUX ENNEMIS AMIS==


Du bord des mers sans fond qui jamais ne pardonnent,
Du milieu des éclairs ét des vents qui me donnent
Le spectacle effrayant de l'éternel courroux,.
Je vous le crie: Amis! réconciliez-vous.
Vous n'avez pas le droit de ne pas être frères:...
Moi, qui sais les fureurs du sort, les vents contraires,
Les chocs. inattendus, les luttes, sans pitié;
Je vous dis: Aimez-vous! la solide amitié
Ceint d'un cercle d'acier l'homme, vase fragile.
Virgile aimait Horace, Horace aimait Virgile
Au point qu'en cette Rome, où l'oeil va les chercher,
On ne distinguait plus, en voyant se toucher
Leurs têtes dans la gloire intime et familière,
D'où venait le laurier et d'où venait le lierre.

Toi, n'es-tu pas celui qui, songeant, écrivant,
Cerveau monde où sè meut tout un peuple vivant,
T'éclairant à ton gré du jour que tu préfères,
Du drame et du roman, fais tes deux hémisphères ?
Toi, n'es-tu pas celui qui va, monte, descend,
Ne tiens-tu pas ta plume, au vol éblouissant,
Qui touche à tous les temps, qui perce tous les voiles,
Et jette sur Paris un tourbillon d'étoiles ?
Vous êtes deux noms chers qu'au monde nous offrons.
Les acclamations abondent sur vos fronts
Comme sur les palais s'abattent les colombes.
Dieu qui, pour vous créer ouvrit deux grandes tombes,


Pour allumer vos coeurs fit jaillir un éclair
Sur l'un, de Diderot, sur l'autre, de Schiller;
Et maintenant chacun de vous, dans son domaine,
Eclaire un des côtés de la grande âme humaine.
Puisque vous êtes forts, amis, vous êtes doux.
Vous êtes à vous deux la lumière; aimez-vous!
Vos bouches sur les coeurs, sur les foules conquises,
Dévident l'écheveau des paroles exquises;
Liez-vous l'un à l'autre avec ces chaînes d'or.
L'éloquence est richesse et l'amitié trésor.
Le flot s'apaise, ému, dès qu'il voit l'aube luire.
Voyez-vous seulement le temps de vous sourire,
Et vous vous comprendrez; vous le devez, étant
Ceux qui domptent le siècle, en régnant sur l'instant.
Revenons, tout le reste étant deuil ou chimère,
Aux cordialités titaniques d'Homère;
Apprenez à la foule, à qui manquent les dieux,
Et qui, dans son brouillard morne et fastidieux,
S'attriste et ne voit plus d'Olympe qu'où vous êtes,
Ce que c'est que le rire éclatant des poëtes.
Sur le char lumineux soyez le couple ardent.
Oui, vous vous comprendrez, rien qu'en vous regardant.
Si tout se comprenait, tout serait harmonie;
Tout serait gloire, azur, splendeur, joie infinie,
Amour; et le chaos n'est qu'un malentendu.

Dans ma nuit orageuse où je me sens mordu
Tantôt par la vipère et tantôt par l'hyène,
Laissez-moi me débattre avec la sombre haine.
C'est mon destin. Avant que mon front se courbât,
J'ai commencé tout jeune, hélas! ce noir combat.
Jacob lutte avec l'Ange, et je lutte avec l'Ombre.
Ah! je prends pour moi seul les maux, les deuils sans nombre!
Que je sois seul saignant, tous étant radieux!
Votre accord charmera mon coeur gonflé d'adieux,
Mon âme que le sort brise et qui reste entière,
Et peut-être fera couler la larme altière

Qui pend depuis trois ans suspendue à mon cil.
Donnez-moi ce bonheur au fond de mon exil,
Donnez-moi cette joie au fond de ma tempête
De voir que rien ne manque à votre double fête,
De me dire: ils sont 1à dans le rayonnement,
Lui, l'athlète invaincu, lui, le vainqueur charmant!
De m'éblouir de loin, moi l'homme des ténèbres,
De vos enchantements chaque jour plus célèbres,
D'entendre les échos sans cesse vous grandir,
Et, par tous applaudis, vos deux noms s'applaudir!

Aimez-vous pour celui qui tous les deux vous aime.
Aimez-vous! que l'envie ,en devienne plus blême.
Jumeaux, redevenez frères à tous les yeux.
Et montrez.que le jour, superbe,, heureux, joyeux,
N'est pas sourd à la voix qui sort de la nuit sombre,
Montrez que les rayons veulent consoler l'ombre,
Vous quetout couronna, vous à qui tout sourit,
En mettant vos deux mains dans la main du proscrit.

21 décembre 1854.

XXIII
D.G.D.G. (1) 


I

Elle s'est donc en allée, Et se tait. Ô noire voûte étoilée, Rends-nous la grande âme ailée Qui chantait !

Elle était de ceux qu'attire Ma maison. L'autre année elle y vint luire, Et m'éclaira d'un sourire L'horizon.

Paix à vous, bon cœur utile, Beaux yeux clos, Esprit splendide et fertile ! Elle aimait ma petite île, Mes grands flots,

Ces champs de trèfle et de seigle, Ce doux sol, L'océan que l'astre règle, Et mon noir rocher ou l'aigle Prend son vol


(1) Delphine Gay de Girardin. ( Note de l'Éditeur.)

l.

II

La vie à ces âmes fières
Ne plaît pas;
Car les vivants sont des pierres
Sur leurs fronts et des-poussières
Sous leurs pas.

Dieu, c'est la nuit que tu sèmes
En créant
Les hommes, ces noirs problèmes;
Nous sommes les masques blêmes
Du néant.

Nous sommes l'algue et la houle,
O semeur!
Nous flottons, le vent nous roule;
Toute notre oeuvre s'écroule
En rumeur.

Le mal tient les foules viles
Dans ses noeuds;
Multitudes puériles,
Nous faisons des bruits stériles
Ou haineux.

Nains errant sur des décombres,
Embryons,
Ébauches, fantômes, ombres,
Dans tes immensités sombres,
Nou

s crions.

Dieu! les hommes, têtes basses,
Yeux charnels,
Raillent l'abîme. où tu passes,
Tes profondeurs, tes.espaces
Éternels!

Ils crachent sur le grand voile
Du ciel bleu;
Blâment tout, mer, barque et voile;
Insultent l'ombre et l'étoile,
L'âme et Dieu!

Ils insultent l'aube pure,
L'air vital,
Le beau, le vrai, la nature,
Et cette sombre ouverture:
L'idéal!

Ils insultent l'invisible,
Le cyprès,
Le sort dont ils sont la cible,
L'onde, et le frisson terrible
Des forêts.

Ils insultent le pontife,
La lueur,

L'être, saint hiéroglyphe,
Et l'énigme sous ta griffe,
Sphinx rêveur!

Leurs voix sont prostituées,
Jéhovah!
Quand l'aigle entend leurs huées,
Il regarde les nuées
Et s'en va!


III

Ô grande âme prisonnière,
Coeur martyr,
C'est l'aigle de ma tanière
Qui t'a montré la manière
De partir.

Pendant qu'assis sous les branches,
Nous pleurons,
Ame, tu souris, tu penches
Tes deux grandes ailes blanches
Sur nos fronts.

Et, du fond de nos abîmes,
Soucieux,
Nous te voyons sur les cimes,
Levant tes deux bras sublimes
Vers les cieux.

IV

Destin! gouffre aux vents contraires,
Aux flots sourds!
Oh! que d'urnes funéraires!
Ma fille, amis, parents, frères,
Joie, amours!

On luit, on brille, un beau rêve
Vous dit: viens!
Et voilà qu'un vent s'élève;
Le temps d'un flux sur la grève;
Et plus ri

en!

La bise éteint, brise, emporte
Le flambeau,
Et souffle, toujours plus forte,
Par-dessous la noire porte
Du tombeau.
 
Notre bonheur est livide,
Et vit peu.
Hélas! je me tourne avide
Vers le sépulcre, ce vide
Plein de Dieu.
Dieu, là, dans ce sombre monde
Met l'amour,
Et tous les ports dans cette onde,
Et dans cette ombre profonde
Tout le jour.

Ô vivants qui dans la brume,
Dans le deuil,
Passez comme un flot.qui fume,
Et n'êtes que de l'écume
Sur l'écueil,
Vivez dans les clartés fausses,
Expiez!
Moi, Dieu bon qui nous exauces!
Je sens remuer les fosses
Sous mes pieds.

Il est temps que je m'en aille
Loin du bruit,
Sous la ronce et la broussaille,
Retrouver ce qui tressaille
Dans l

a nuit.

Tous mes noeuds dans le mystère
Sont dissous.
L'ombre est ma patrie austère.
J'ai moins d'amis sur la terre
Que dessous.

16 juillet 1855

XXIV UN SOIR modifier


Parmi les étoiles sans nombre,
Mon esprit s'évanouissait;
Je vis une blancheur dans l'ombre.
C'était un ange qui passait.

Elle posa ses mains divines
Sur mon front sombre et soucieux...
O champs! ô vallons! ô collines!
O sereine beauté des cieux!'
Et ma bouche ardente et pâmée
Murmura: Viens! adorons-nous!
Vivons! et cette bien-aimée,
Pâle, tomba sur me's genoux.
Que de fois j'ai dit sur les grèves:
O flots! vous êtes une voix.!
Que de fois j'ai rempli de rêves
L'étrange profondeur des bois!

Avril 1851.

XXV LETTRE DE L'EXILÉ ARRIVANT DANS LE DÉSERT modifier


Tu me dis: Que fais-tu? Rien. Je suis seul. Je rêve.
Je vais voir si quelqu'un me connaît sur la grève.
Je cherche à rencontrer dans ces rudes forêts,
Dans ces monts, quelque ami tragique que j'aurais,
Quelque bon vieil écueil bien. battu de l'abîme,
Quelque sapin cassé d'une façon sublime;
Un roc ayant le deuil et n'ayant pas l'effroi.
Je parle à l'océan, et je lui dis: C'est moi.
Alors nous nous mettons àcauser, lui plein d'ombre,
Mêlant un conseil grave à ses rumeurs sans nombre,
Et redisant toujours dans l'écume et les vents
La même phrase: Aimez, car vous souffrez, vivants!
Moi, songeur et distrait par la barque qui vogue.
Le tonnerre souvent prend part au dialogue;
Cette interjection, l'éclair, tombe du ciel.

La mer me plaît; on sent sa vertu dans son fiel.
Elle assainit la terre à force d'amertume.
Je l'aime. Aussi l'aller trouver est ma coutume
Quand je sens dans mon coeur monter sous le ciel bleu
L'âpre indignation qui questionne Dieu.
Elle me calme avec son souffle de nuée.
Ma douleur dans ses flots s'endort diminuée.

On médite en voyant des prodiges entiers.
Je fraternise avec le gouffre volontiers..

Les proscrits sont des gens qui content leurs affaires
Aux vagues dans l'orage et dans la nuit aux sphères;
Nous ouvrons nos coeurs fiers et forts, quoique mouvants,
A ces premiers venus farouches, tous les vents;
Et l'on finit par prendre une altière habitude
De tutoiement avec la sombre solitude.
De là l'apaisement. O vastes cieux vainqueurs!
L'autan passe, arrachant l'écume de nos coeurs;
Et quand sur notre haine et sur notre colère
S'est d'en haut répandu l'immense bruit polaire,
Quand la foudre nous a regardés dans les yeux,
Que reste-t-il d'un homme honnête et furieux?
Un sage. On sonde mieux le mystère où nous sommes
Devant ces grands flots noirs, moins troubles que les hommes;
On sent qu'en ce chaos un monde est à l'essai;
On confronte, attentif, le faux gouffre et le vrai,
La trahison dé l'homme et l'embûche de l'onde;
On contemple les plis de l'eau rauque et profonde,
On s'ouvre à la candeur comme eux à l'alcyon,
Et l'on devient pensif dans la proportion
Du prodige, et l'on sent que le courroux s'efface
Sous ce flot calme au fond et fauve à la surface.
On croit voir dans son âme obscure le lever
D'un astre; et c'est cela qui vient de m'arriver.

J'ai vu tant de néants, tant d'hommes et de choses,
Tant d'immobilités, tant de métamorphoses,
Que je suis las. Après tous ces chiens, tous ces loups,
Dupin, Montalembert, Veuillot, Proudhon, Falloux,
Après l'oison qui glousse, après le chat qui grince,
Après ce reître, après ce juge, après ce prince,
Après ces nains, ces fous, ces gueux, ces intrigants,
J'ai le goût des éclairs, j'aime les ouragans,
J'entre dans cette énorme et formidable fête,
L'onde, et je me repose, ami, dans la tempête.

26 août 1852.

XXVI Ô doux êtres! modifier


Ô doux êtres! ma joie et mon amour sacré!
Que ce jour sera triste où je vous quitterai!
Ce sera comme un soir qui tombe:
Pendant que je dirai, la sueur sur le front:
Que vont-ils devenir sur-la terre? ils diront:
Que deviendra-t-il dans la tombe?

XXVII À l'heure où modifier


À l'heure où le soleil se couche,
Quand j'erre au fond des bois, les soirs,
Seul, songeant, souriant, farouche,
Effaré sous les arbres noirs;

Ou quand, près du foyer qui flambe,.
Laissant mes livres cent fois lus,
Croisant ma jambe sur ma jambe,
Je regarde et n'écoute plus;

Vous dites: Qu'a-t-il donc? Il rêve!
Oui. Je rêve! -C'est que je voi
L'ombre où l'astre idéal se leve
Croître et monter autour de moi!

C'est. qu'en. cette. nuit où s'efface ,
La clarté faite pour nos yeux,
Je sens approcher de ma face
Dès visages mystérieux!.

C'est qu'il me vient des apparences,
Dés formes, des voix, des soupirs,.
Du monde où sont cès espérances ,
Que nous-appelons souvenirs!

C'est que des espaces funèbres
S'oùvrent à mes sens convulsifs;
C'est q`ue je sens dans ces ténèbres
Môn pere et ma mère pensifs!


C'est que je sens passer un ange,
Toi, ma fille, âme au front charmant,
A je ne sais quel souffle étrange
Dont je frissonne doucement!

C'est que, sous nos plafonds paisibles
Comme dans nos bols pleins d'effroi,
Les morts présents, mais invisibles,
Fixent leurs yeux profonds sur moi!

6 janvier 1850.

XXVIII J'aspire à m'enfouir sous les arbres modifier


J'aspire à m'enfouir sous les arbres. Je suis
Comme ces animaux sauvages que des hommes
 
Ont pris, saisis, traînés dans la ville où nous sommes,
Et qui, dans une cage enfermés tristement,
Voyant la face humaine avec étonnement,
Font tous les mouvements d'un serpent qui se sauve,
A travers les barreaux passent leur museau fauve,
Et sombres, effarés, pensifs, cherchent à voir
Quelque taillis épais, quelque buisson bien noir,
Un trou profond caché dans un fouillis champêtre,
Où tout a coup dans l'ombre ils puissent disparaître

XXIX À JEANNE


Je suis triste; le sort est dur; tout meurt, tout passe;
Les êtres innocents marchent dans de la nuit;
Tu n'en sais rien; tu ris d'écouter dans l'espace
Ce qui chante, et de voir ce qui s'épanouit;
Toi, tu ne connais pas le destin; tu chuchotes
On ne sait quoi devant l'Ignoré; tu souris
Devant l'effarement des sombres don Quichottes
Et devant la sueur des pâles Jésus-Christs.
Tu ne sais pas pourquoi je songe, pourquoi tombe
Kesler à Guernesey, Ribeyrolle au Brésil;
Jeanne, tu ne sais pas ce que c'est que la tombe,
Jeanne, tu ne sais pas ce que c'est que l'exil.
Certes, si je pensais que j'assombris ton âme,
Je ne te dirais point toutes ces choses-là;
Mais, vois-tu, bien qu'avril dore à sa pure flamme
Ton front, que Dieu pour moi tout exprès étoila,
Quoique le ciel ait l'aube et mon coeur ton sourire,
Jeanne, la vie est morne, et l'on gémit parfois;
Puisque tu n'as qu'un an, je puis bien tout te dire,
Tu comprends seulement la douceur de ma voix.

16 août 1870

XXX Si dans ce grand Paris, modifier


Si dans ce grand Paris, ô charmante infirmière
Qui jetez dans notre ombre un regard de lumière,

Quelque-mitraille ou quelque obus, présent de roi,
Me fait l'insigne honneur de s'abattre sur moi,
Ou si quelque hulan m'octroie un coup de lancé,
Je ne me ferai pas porter à l'ambulance
Où votre pitié douce accueille le blessé,
Où sur tant de douleurs votre oeil tendre est baissé;
Je n'irai point, de peur, infirmière adorable,
En m'en allant guéri, de sortir incurable.

XXXI CALOMNIÉ modifier


Un trop lourd projectile a peine à s'élever;
Trop d'intervalle empêche un caillou d'arriver;
Une sphère, lapide, en vain, une autre sphère.
Sachez que le premier grimaud venu peut faire
Des mensonges abjects qui jusqu'au soir vivront,
Mais qu'il est malaisé de jeter un affront,
Assez haut pour qu'il aille atteindre un honnête homme.
Un gueux se fait payer, il empoche la somme;
Puis calomnie. Eh bien, nul effet. Voyez-vous,
Celui qui se sent juste, et qui, sévère, est doux,
Qui n'a jamais fait m'al qu'au mal, qui fut fidèle
A l'honneur comme l'est à son nid l'hirondelle,
Qui pour combattre et puis faire grâce, a vécu,
Qui n'a jamais dit Non à l'ennemi vaincu,
Qui veut tous les devoirs et ne veut aucun rôle,
Peut défier la haine; et c'est pourquoi tel drôle,
Vil, fait pour les bas-fonds et non pour les sommets,
Qui m'insulte toujours, ne m'offense jamais:

XXXII SOUFFREZ, ô PRÉCURSEURS! modifier


Malheur dans les bas-fonds, malheur sur les hauteurs,
A vous, penseurs, esprits, marcheurs, libérateurs!
L'ignorance ne sait que jeter de la haine;
L'esclave mord la main qui vient briser sa chaîne;
L'enfer punit quiconque a rêvé paradis.
Nous étions les proscrits, nous étions les maudits;
 
Et cinq ans, et dix ans, et vingt ans nous vécûmes
D'outrages, de fureurs, de cris, d'affronts, d'écumes;
Tous; ceux-ci dans l'exil, ceux-là sous les barreaux.
Le progrès est un char que fouettent lès bourreaux,
Qui pour ornière a l'ombre et le sang, et pour roue
Le martyre. Qu'un homme aux hommes se dévoile,
Hélas, c'est la première énigme qu'ici-bas
L'homme ne comprend pas et ne devine pas;
C'est ce qui fait grandir les épines aiguës,
C'est ce qui fait pousser dans l'ombre les ciguës.

XXXIII L'aquilon change, modifier


L'aquilon change, et met la poupe où fut la proue;
Il ne faut pas beaucoup de temps pour qu'une roue
Tourne, et pour que le bas soit en haut, et souvent
Ce qui semble tombé riposte en se levant:
Nous reprendrons nos droits,-nos terres, nos provinces;
Et le vent qu'il fera ce jour-là, rois et princes,
Allez le demander au moulin de Valmy!
Oh! je le vois, ce jour splendide! on a dormi,
On s'éveille; la France est là, redevenue
Déesse; et son front rit, et son épée est nue;
Cette fumée en fuite au loin, c'est l'ennemi.
Le firmament, car Dieu ne fait rien à demi,
Pose son arc-en-cièl profond sur nos deux villes.
Non, je ne pense pas que les rois soient tranquilles.
Je n'ai plus qu'une joie au monde, leur souci.
Je dis presque aux bourreaux de mon pays.: merci!
Et puisque d'un enfer peut naître une genèse,
Je ne suis pas fâché d'être dans la fournaise;
Purification du feu, je te bénis!
Les phénix lumineux ont les brasiers pour nids;
L'âme s'augmente et luit dans la flamme; est esclave
Tout ce qui ne sort pas vivant du bain de lave,
Et je trouve l'épreuve utile Croîs, lion.
J'attends.

Rois, consommez votre rébellion.

XXXIV AVE, DEA ; MORITURUS TE SALUTAT modifier


La mort et la beauté sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d'ombre et d'azur qu'on dirait
Deux soeurs également terribles et fécondes
Ayant la même énigme et le même secret;

Ô femmes, voix, regards, cheveux noirs, tresses blondes,
Brillez, je meurs! ayez l'éclat, l'amour, l'attrait,
Ô perles que la mer mêle à ses grandes ondes,
O lumineux oiseaux de la sombre forêt!

Judith, nos deux destins sont plus près l'un de l'autre
Qu'on ne croirait, à voir mon visage et le vôtre;
Tout le divin abîme apparaît dans vos Yeux,

Et moi, je sens le gouffre étoilé dans mon âme;
Nous sommes tous les deux voisins du ciel, madame,
Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.

XXXV ENVOI modifier


Tu sais; ami rêveur qui vois ma destinée,
Quelle meute envieuse, âpre, immonde, acharnée,
Jappe après mes talons, et m'insulte, et me mord,
Comme si j'étais grand, comme si j'étais fort!
Mets sous clef ce poéme, et n'en parle à personne.
Cette meute surgit dès que mon clairon sonne,
Et rentre dans sa nuit sitôt qu'il a cessé.
Je. veux la condamner au silence forcé. -
Pour quelque temps du moins. -Cet oubli qui lui pèse
-Me plaît, et je me tais afin qu'elle se taise.

25 août 1843. Cauterets.

XXXVI Pygmée et Myrmidon, modifier


Pygmée et Myrmidon, c'est haine et calomnie.
Avoir l'envie au coeur, aux lèvres l'ironie,

12 juillet.
 
Poète, c'est un peu l'habitude d'en bas.
Après tant de travaux, après tant de combats,
L'affront Vassiègé; ils sont toute une multitude
T'insultant dans ton deuil et dans ta solitude;
Mais toi que le destin absorbe, tu n'as point
Le temps de voir ces gens qui te montrent le poing.
Les tumultes ont beau t'entourer, tu médites.
Toutes tes oeuvres sont par Zoïle maudites;
Le fauve acharnement de la haine est sur toi.
Toi qui jadis planais archange, et qu'une loi
Met sur la terre, au fond des visions funèbres,
Prisonnier dans la cage énorme des ténèbres,
Toi, l'aigle échevelé de l'ombre, le banni
Tombé d'un infini dans un autre infini,
Du zénith dans l'abîme et du ciel dans ton âme,
Éclairé, mais brûlé par ta profonde flamme,
Rongé du noir regret du firmament vermeil,
Toi dont l'oeil fixe fait un reproche au soleil
Et semble demander. de quel droit l'on t'exile,
Toi qui n'as plus que toi pour cime et pour asile,
Tu ne te distrais point de ton rêve éternel;
Et, pendant qu'émus comme autour d'un criminel,
Les passants te voudraient tuer, et qu'on te hue,
Et qu'à tes pieds, grondant et grinçant, la cohue
Bourdonne avec le bruit d'orage d'un essaim,
Et t'appelle idiot, traître, avare, assassin,

Incendiaire, esprit méchant, âme mauvaise,
Voleur et meurtrier, clameur que rien n'apaise
Comme si la fureur sans cesse grossissait,
Pensif, tu ne sais pas au juste ce que c'est.

24 mai 1874.

== XXXVII Je la revois, après vingt ans,==


Je la revois, après vingt ans, l'île où Décembre
Me jeta, pâle naufragé.
La voilà! c'est bien elle. Elle est comme une chambre
Où rien encor n'est dérangé.

Oui, c'était bien ainsi qu'elle était; il me semble
Qu'elle rit, et que j'aperçois
Le même oiseau qui fuit, la même fleur qui tremble,
La même aurore dans les bois;

Il me semble revoir, comme au fond d'un mirage,
Les champs, les vergers, les fruits mûrs,
Et dans le firmament profond; le même orage,
Et la même herbe au pied des murs,

Et le même toit blanc qui m'attend et qui m'aime,
Et, par delà le flot grondeur,
La même vision d'un éden, dans la même
Éblouissante profondeur.

Oui, je la reconnais cette grève enchantée,
Comme alors elle m'apparut,
Rive heureuse où l'on. cherche Acis et Galatée,
Où l'on trouve Booz et Ruth;

Car il n'est pas de plage, ou de montagne, ou d'île,
Parmi les abîmes amers,
Mieux faite pour cacher les roses de l'idylle
Sous là tragique horreur des mers.


Ciel l' océan! c'était cette même nature,
Gouffre de silence et de bruit,
Ayant on ne sait quelle insondable ouverture
Sur la lumière et sur la nuit.

Oui, c'étaient ces hameaux, oui, c'étaient ces rivages;
C'était ce même aspect mouvant,
La même âcre senteur des bruyères sauvages,
Les mêmes tumultes du vent;

C'était la même vague arrachant aux décombres
Les mêmes dentelles d'argent;
C'étaient les mêmes blocs jetant les mêmes ombres
Au même éternel flot changeant;

C'étaient les mêmes caps que l'onde ignore et ronge,
Car l'âpre mer, pleine de deuils,
Ne s'inquiète pas, dans son effrayant songe,
De la figure des écueils;

C'était la même fuite immense des nuées;
Sur ces monts, où Dieu vient tonner,
Les mêmes cimes d'arbre, en foule remuées,
N'ont pas fini de frissonner;

C'était le même souffle ondoyant dans les seigles;
Je crois revoir sur l'humble pré
Les mêmes papillons avec les mêmes aigles
Sur l'océan démesuré;

C'était le même flux couvrant l'île d'écume,
Comme un cheval blanchit le mors;
 
C'était le même azur, c'était la même brume,
Et combien vivaient, qui sont morts!

8 août 1872.

En arrivant à Jersey.

XXXVIII Je ne m'arrête pas, modifier


Je ne m'arrête pas, jamais je ne séjourne;
Quand le flot, mon témoin,
Tremble, je crie au vent: Marchons! quand le vent tourne,
Je dis au flot: Plus loin!

Et j'avance, et toujours plus d'ouragan m'emporte...
Homme! aime tes amours,
Assieds-toi sur le banc de pierre de ta porte,
Et laisse fuir les jours!

Heureux celui qui vit stupide en sa demeure,
Et qui, chaque soir, voit
Le même oiseau de nuit sortir à la même heure
Du même angle du toit!

13 août 1872.

XXXIX Je vais dans la fureur du gouffre,


Je vais dans la fureur du gouffre, dans l'écume,
Pâle, écoutant les mots
Que disent, pleins d'horreur, la sibylle dans Cume
Et l'apôtre à Pathmos.

Quand je passe en cette ombre, où, fuyant la tempête,
Nul encor n'a passé,
L'abîme est sous mes pieds, la foudre est sur ma tête,
On dit: C'est l'insensé!

Tandis que l'ouragan qui parfois semble rire,
Puis éclate en sanglots,
Joue avec les agrès comme avec une lyre,
Un chant noir sort des flots.

Et moi sur qui le deuil, la haine, la vieillesse,
L'onde et le vent trompeur,
S'acharnent, je poursuis mon chemin, et je laisse
Les autres avoir peur.
Pourtant vous ne pouvez empêcher que je songe,
Las du sort par moments,
Et de l'ombre que laisse aux âmes le mensonge
De tant d'événements.

Le destin m'a jeté de tempête en tempête,
De récif en récif;
Jamais mon coeur saignant n'a fait courber ma tête;
Mon courroux est pensif.


J'ai traversé les pleurs, les haines, les veuvages,
Ce qui mord, ce qui nuit.
Noir nocher, j'ai connu tous les âpres rivages
Du deuil et de la-nuit.

J'ai lutté; j'ai subi la sinistre merveille
Des abîmes mouvants;
Et jamais on ne vit dispersion pareille
D'une âme à tous les vents:

Je suis presque prophète et je suis presque apôtre;
Je dis: C'est bien! Allons!
Mais je ne voudrais pas de ce sort pour un autre,
O fauves aquilons!

V. H. 13 août 1872.

XL Omnia vidit modifier


Omnia vidit
Eversa.
(JUVÉNAL)

Un vieillard est souvent puni de sa vieillesse
Par le peu de clarté que le destin lui laisse.
Survivre est un regret poignant, presque un remords.
Voir sa ville brûlée-et tous, ses enfants morts
Est un malheur possible, et.l'aïeul solitaire
Tremble et pleure de s'être attardé sur la terre.
Que te sert, ô Priam, d'avoir vécu si vieux?
Hélas! tu vois tomber la foudre sur tes dieux.

XLI Vous demandez à quoi je rêve? modifier


Vous demandez à quoi je rêve?
Je me souviens qu'un jour, jadis,
A l'heure où l'aube qui se lève
Ouvre ses yeux de paradis,

Je passais, parmi des colombes,
Dans un cimetière, jardin
Qui, couvrant de roses les tombes,
Cache le néant sous l'éden.

J'errais dans cette ombre insalubre
Où les croix noires sont debout...
Une grande pierre lugubre
Se mit à vivre tout à coup.

C'était, dans l'herbe et les pervenches,
Un sépulcre sombre et hautain
Qu'effleura soudain sous les branches
Un furtif éclair du matin;

II était là sous une yeuse,
Triste, et comme pour l'apaiser,
La jeune aube mystérieuse
Donnait à ce spectre un baiser.


Et cela rendit, ô merveille,
La vie au sépulcre hagard.
Ce sourd-muet ouvrit l'oreille
Et cet aveugle eut un regard.

En voyant venir la lumière,
Comme au désert le noir Sina,
Ce sinistre linceul de pierre
Où pleure une âme, rayonna.
Et je le vis, dans ,1e bois sombre,
Dans le champ pestilentiel,
Comme transfiguré dans l'ombre
Par cette dorure du ciel.

Ce n'était plus la dalle affreuse,
Qui se dresse hors de tout bruit,
Sous laquelle un gouffre se creuse,
Plein d'étoiles, mais plein de nuit;

-Ce n'était plus la tombe où rêve
Un vague fantôme banni,
Abîme où le fini s'achève,
Borne où-commence l'infini.

Grâce à l'aube, au pied du vieil arbre,
Dans la ronce et dans le genêt,
Le froid granit, l'orgueilleux marbre
Que le ver de terre connaît,

Illuminait ces bois funèbres,
Craints de l'homme, aimés du corbeau,
Et, calme, avait dans les ténèbres
On ne sait quel air de flambeau.


Il cessa d'être le fantôme.
Le liseron fut ébloui,
Et l'oeillet lui jeta son baume;
Les fleurs n'eurent plus peur de lui.

Les roses que nos yeux admirent
Baisèrent son socle détruit,
Et les petits oiseaux se mirent
A chanter autour de sa nuit.

Noble femme aux vaincus fidèle,
Votre sourire frais et beau,
Quand il luit sur moi, rappelle
Cette aurore sur ce tombeau.

V. H. 5 septembre.

XLII Vous qui, vainqueurs, modifier


Vous qui, vainqueurs, avez mis, depuis vingt-cinq ans,
Maîtres sanglants qui rendrez compte,
Votre nuit sur la France en deuil, et sur les camps
Votre gloire qui leur fait honte,

Toi, prêtre, toi, soldat, chef des sombres exploits,
Que suit des yeux l'histôire triste;
Toi, juge escamoteur, qui du fourreau des lois
Tiras le poignard du sophiste,

Quand vous couvrez d'affronts haineux, de cris amers,
Et d'un tumulte de huées,
 
Cet homme qui longtemps, pensif au bord des mers,
Vécut le front dans les nuées,

Et qui, dans la candeur de ses calmes desseins,
Veut la justice égale et grande,
Avant de l'appeler défenseur d'assassins,
Attendez donc qu'il vous défende!

Tu nous regardes, Nuit, grande passante noire;
Tu ne dois pas beaucoup comprendre notre histoire,
Car elle est bien souvent plus sombre encor que toi.
Soyez homme d'honneur, de probité, de foi,
Vous serez l'ennemi public; dans la tempête
Risquez pour une idée auguste votre tête,
Et vous serez traité de la même façon
Que la poltronnerie et que la trahison;
Cet homme ose invoquer la pitié vénérable,
Il offre asile au faible, à bas le misérable!
Quoi donc! il s'interpose entre le meurtre et nous!
Il s'émeut en voyant des femmes à genoux,
Il s'indigne des morts que nous jetons aux fleuves,
Il plaint lés orphelins, il ne fait pas de veuves,
Il ose prononcer l'horrible mot Pardon!
A cette heure où chacun fait à tous l'abandon
De ces vieux préjugés: droit, liberté, clémence,
Où l'on sent que le monde antique recommence,
Lorsqu'on voit qu'un grand pas en arrière est sensé,
Et quand pour avenir on reprend le passé,
Il s'obstine, il soutient les vaincus sans relâche,
Il les défend, dût-on l'assassiner, le lâche! -

C'est ainsi qu'on raisonne à de certains moments.
Un joûr, voyant passer d'affreux événements,
Voyant qu'au grand Paris on creusait une fosse,
Ne croyant pas Dieu mort et la vérité fausse,


Ne. me figurant pas que tuer fût un droit,
Je me dressai, je dis: Le jour meurt, l'ombre croît,
Prenez garde! Au-dessus de vos fauves mêlées,
O noirs lutteurs, il est des choses étoilées,
La raison, le progrès, la patrie et l'honneur.
Le vainqueur est souvent son propre empoisonneur.
Arrêtez. L'amnistie est une fin sereine.
Soyez cléments.
Alors j'eus sur moi tant de haine,
Tant d'exécration, d'épouvante et d'horreur
Que je fus presque, ô Nuit, l'égal d'un empereur!

18 décembre 1874.

XLIV Ah! vous faites du froid modifier


Ah! vous faites du froid devoir vôtre bonheur!
Ah! vous ne buvez pas l'oubli de votre honneur,
Et l'impudeur, l'orgie, et la honte,-à plein verre!
Ah! vous êtes prudent, économe, sévère,
Pour marcher le front haut, et c'est votre souci!
Vous ne voulez pas être un jour à la merci
Des gens qui font métier de tarifer une âme,
Et d'acheter tantôt l'homme, et tantôt la femme!
Ah! vous ayez présent à l'esprit l'affreux sort
De ceux que la faim sombre a, sous peine de mort,
Forcés d'être-valets et de se vendre au maître,
Et vous ne jetez pas l'argent par la fenêtre,
Eh bien! vous êtes pingre, avare, grigou,-rat,
Pire qu'un misérable et presque un scélérat!
Ladre! dit la catin. Pleutre! ajoute le prêtre.
La vertu vous est vice, et ne voulant pas être-
En ce temps de coeurs plats parlant un vil jargon,
Arétin ou Dangeau, vous êtes Harpagon!

12 avril 1874.

XLV La haute honnêteté, modifier


La haute honnêteté, c'est là toute ma gloire.
0 peuple, après ma mort tu mettras ma mémoire
Sur cet âpre sommet, le devoir accompli.
Et quand je serai là, quelqu'un contre l'oubli
Me défendra, quelqu'un de farouche, la haine.
Elle accourra, poussant des cris, sinistre et vaine,.
Avec le rauque essaim des affronts ténébreux;
Et tous ces monstres noirs se querellant entre eux,
Jour et nuit, calomnie, impudence, bassesse,
Tâcheront de me mordre-et grinceront sans cesse.
Dans l'Inde, quand d'affreux vautours sont aperçus
 
Le soir, planant en cercle et dans l'ombre au-dessus
De quelque cime sombre, on dit dans la campagne:
C'est parce qu'on a mis un mort sur la montagne.

15 décembre 1874.

XLVI L'enfant est très petit modifier


L'enfant est très petit et l'aïeul est très vieux.
L'insulteur ne craint rien. Comme un ciel pluvieux
Verse l'ondée aux bois que l'orage secoue,
Cette main de vieillard a sur plus d'une joue
Autrefois élargi les sonores soufflets.
Mais à présent-les longs exils, le ciel anglais,
Et soixante-treize ans ont refroidi cet homme;
Calme, il dédaigne. A peine il sait comment se nomme
L'insulteur, pour avoir, lorsque juillet brilla,
Jadis aidé quelqu'un qui portait ce nom-là'26.
Rien de plus. Et qu'importe un jéune drôle immonde?
Qu'est-ce que cela fait qu'un laquais soit aù monde?
Qu'est-ce qu'un jappement de plus dans le chenil?
Qu'importe au sphinx rêveur dans les roseaux du Nil
Le glissemént sinistre et vague d'un reptile?
Les gueux peuvent sans peur faire aboyer leur style.
Voir passer un vieillard que le deuil accabla,
La bravoure du lâche est faite de cela.
Nul damer. Le gredin est à son aise infâme;
Il se répete, afin d'encourager son âme
Où beaucoup de prudence a l'audace aboutit,
Que l'aïeul est bien vieux et l'enfant bien petit.

31 mars 1875.

XLVII Je suis enragé. modifier


Je suis enragé. J'aime et je suis un vieux fou.

- Grand-père? -Quoi? -Je veux m'en aller. -Aller où?
- Où je voudrai. -C'est bien. -Je veux sortir, grand-père.
- Sortons. -Grand-père? -Quoi? -Pleuvra-t-il? -Non, j'espère.
- Je veux qu'il pleuve, moi. -Pourquoi? -Pour faire un peu
Pousser mon haricot dans mon jardin.. -C'est Dieu
Qui fait la pluie. -Eh bien, je veux que Dieu la fasse.
- Tu veux! tu veux! -Grand-père? -Eh bien quoi? Si je casse

Mon joujou, le bon Dieu ne peut pas m'empêcher.
C'est donc moi le plus fort. -Parlons sans nous fâcher.
-Je ne me fâche pas. Je veux qu'il pleuve. -Ecoute,
Je te donne raison. -Il va pleuvoir? -Sans doute.
Viens, prenons l'arrosoir du jardinier Jacquot,
Et nous ferons pleuvoir. Où? -Sur ton haricot.

XLVIII ÉCHAPPÉ À L'ERREUR modifier


Gouffres, m'entendez-vous? Me voyez-vous, écumes?
Je surnage. Longtemps, doux enfants, nous vécûmes,
Mes deux frères et moi, dans cet A B C D
D'imposture et d'erreur, dont l'homme a fait sa bible;
Mais c'est fini, j'en sors et je lutte, terrible
Et joyeux comme un évadé.

Nous sommes quelques-uns nageant dans l'ombre immense,
Éperdus; tout est piège, ignorance, inclémence;,
La mer n'a, pas un pli qui ne soit triste et noir;
L'écueil gémit; le vent pleure, la vague tremble;
La brume, c'est le doute; et par moments, il semble
Que l'abîme est au désespoir.

L'océan, ce despote, a l'autan pour ministre.
Je regarde au delà de l'horizon sinistre,
Je résiste à l'horreur du gouffre illimité;
Je vois plus loin que l'ombre et la haine et la guerre.
Comme Colomb criait à ses compagnons: Terre!
Je crie aux hommes: Vérité!

Et je vois Pythagore, Eschyle, esprits sublimes,
Job, Dante, âmes ayant l'habitude des cimes,
Thalès, Milton, planer dans l'obscur firmament.
Ainsi, malgré les chocs de l'onde et ses huées,
Une dispersion d'aigles ,dans les nuées
Tourbillonne superbement.


Prêtres, vous.n'avez pu m'engloutir dans vos songes;
Dieu ne m'a pas laissé noyer par vos mensonges,
J'avance, et je fais signe aux pâles matelots;
Je rapporte des mers la perle qu'on y trouve,
Je vis!L'évasion du naufrage se prouve
Par la tête au-dessus des flots.

4 mai 1878.

XLIX APRÈS L'HIVER modifier


N'attendez pas de moi que je vais vous donner
Des raisons contre Dieu que je vois rayonner;
La nuit meurt, l'hiver fuit; maintenant la lumière,
Dans les champs, dans les bois, est partout la première.
Je suis par le printemps vaguement attendri.
Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri;
Je sens devant l'enfance et devant le zéphyre
Je ne sais quel bèsoin de pleurer et de rire;
Mai complète ma joie et s'ajoute à mes pleurs.
Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs.
Accourez, la forêt chante, l'azur se dore,
Vous n'avez pas le.droit d'être absents de l'aurore.
Je suis un vieux songeur et j'ai besoin de vous,
Venez! je veux aimer, être juste, être doux,
Croire, remercier confusément les choses,
Vivre sans reprocher les épines aux roses,
Ètre enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu.
O printemps! bois sacrés! ciel profondément bleu!
On sent un ,souffle d'air vivant qui vous pénètre,
Et l'ouverture au loin d'une blanche fenêtre;
On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux;
On a le doux bonheur d'être avec les oiseaux,.
Et de voir, sous l'abri des branches printanières,
Ces messieurs faire avec ces dames des. manières

26 juin 1878.

L Qu'es-tu, pèlerin? modifier


- Qu'es-tu, pèlerin? -Je me nomme
Celui qui pleure. -En vérité,
Viens avec nous. -Je suis un homme
Par une main d'ombre arrêté.

-Viens! -Non. -Les ans t'ont fait débile.
Pourquoi, l'oeil ouvert à demi,
Restes-tu dans l'ombre, immobile?
- Une pierre me tient, ami.

- Ton âme de nuit est vêtue.
Seul, debout, n'as-tu pas l'effroi

D'un lent changement en statue?
- La terre sombre monte en moi.
- Que fais-tu là? Viens. Le soir tombe,
Le vent souffle en tes cheveux gris.
- J'attends que se rouvre une tombe
Où le bas de ma robe est pris.
26 août. Route d'Aix-la-Chapelle à Düren.

LI Le vieillard modifier


Le vieillard chaque jour dans plus d'ombre s'éveille.
A chaque aube il est mort un peu plus que la veille.
La vie humaine, ce noeud vil,
Se défait lentement rongé par l'âme ailée;
Ce sombre oiseau lié veut prendre sa volée
Et casse chaque jour un fil.

Ô front blanc qu'envahit la grande nuit tombante,
Meurs! -Tour à tour sa voix, sa force succombante,
Son oeil où décroît l'horizon
S'éteignent, -ce sera mon destin et le vôtre! -
Comme on voit se fermer le soir l'une après l'autre
Les fenêtres d'une maison.

LII Tu rentreras comme Voltaire modifier


Tu rentreras comme Voltaire
Chargé d'ans, en ton grand Paris;
Des Jeux, des Grâces et des Ris
Tu seras l'hôte involontaire;

Tu seras le mourant aimé;
On murmurera dès l'aurore,
A ton seuil à demi fermé,
Déjà! mêlé de: Pas encore!

Tu seras marmot et barbon;
Tu goûteras la joie honnête
D'être si bon qu'on te croit bête
Et si bête qu'on te croit bon.