Théorie analytique de la chaleur/Chapitre 7

Firmin Didot (p. Ch. VII.-410).

CHAPITRE VII.
PROPAGATION DE LA CHALEUR DANS UN PRISME
RECTANGULAIRE.

321.

Léquation que nous avons rapportée dans la section IV du chapitre II, page 119, exprime le mouvement uniforme de la chaleur dans l’intérieur d’un prisme d’une longueur infinie, assujétie par son extrémité à une température constante, et dont on suppose les températures initiales nulles. Pour intégrer cette équation, on cherchera en premier lieu une valeur particulière de en remarquant que cette fonction doit demeurer la même, lorsque change de signe, ou lorsque change de signe ; et qu’elle doit prendre une valeur infiniment petite, lorsque la distance est infiniment grande. D’après cela il est facile de voir que l’on peut choisir pour valeur particulière de la fonction et faisant la substitution on trouve Mettant donc pour et des quantités quelconques, on aura La valeur de doit aussi satisfaire à l’équation déterminée


lorsque ou et à l’équation lorsque ou , section IV du chapitre II, article 125. Si l’on donne à la valeur précédente, on aura


on voit par-là que si l’on trouvait un arc tel que équivalût à la quantité toute connue , on prendrait pour ou pour la quantité . Or, il est facile de reconnaître qu’il y a une infinité d’arcs qui, multipliés respectivement par leur tangente donnent un même produit déterminé , d’où il suit que l’on peut trouver pour ou pour une infinité de valeurs différentes.

322.

Si l’on désigne par etc. les arcs en nombre infini qui satisfont à l’équation déterminée , on pourra prendre pour un quelconque de ces arcs divisé par . Il en sera de même de la quantité  ; il faudra ensuite prendre . Si l’on donnait à et à d’autres valeurs, on satisferait à l’équation différentielle ; mais non pas à la condition relative à la surface. On peut donc trouver de cette manière une infinité de valeurs particulières de , et comme la somme de plusieurs quelconques de ces valeurs satisfait encore à l’équation, on pourra former une valeur plus générale de .

On prendra successivement pour et pour toutes les valeurs possibles qui sont etc. Désignant par etc., etc. des coëfficients constants, on exprimera la valeur de par l’équation suivante :

323.

Si l’on suppose maintenant la distance nulle, il faudra que chaque point de la section A conserve une température constante. Il est donc nécessaire qu’en faisant ,la valeur de soit toujours la même, quelque valeur que l’on puisse donner à , ou à  ; pourvu que ces valeurs soient comprises entre 0 et . Or en faisant , on trouve


En désignant par 1 la température constante de l’extrémité A, on prendra les deux équations


Il suffit donc de déterminer les coëfficients etc., dont le nombre est infini, en sorte que le second membre de l’équation soit toujours égal à l’unité. On a résolu précédemment cette question dans le cas où les nombres , , , etc. forment la série des nombres impairs, section II du chapitre III, page 175. Ici les quantités , , , etc. sont des irrationnelles données par une équation d’un degré infiniment élevé.

324.

Posant l’équation


on multipliera les deux membres de l’équation par , et l’on prendra l’intégrale depuis jusqu’à . On déterminera ainsi le premier coëfficient . On suivra un procédé semblable pour déterminer les coëfficients suivants. En général, si l’on multiplie les deux membres de l’équation par et que l’on intègre, on aura pour un seul terme du second membre qui serait représenté par l’intégrale,

Ainsi l’intégrale précédente qui se réduit à
est nulle.

Il faut excepter le seul cas . En reprenant alors l’intégrale ,on voit que si l’on a , elle équivaut à la quantité

Il résulte de là que si dans l’équation


on veut déterminer le coëfficient d’un terme du second membre désigné par , il faut multiplier les deux membres par , et intégrer depuis jusqu’à . On aura pour résultat l’équation


d’où l’on tire On déterminera de cette manière les coëfficients , , , , etc. ; il en sera de même des coëfficients , etc., qui seront respectivement les mêmes que les précédents.

325.

Il est aisé maintenant de former la valeur générale de  ; 1o elle satisfera à l’équation  ; 2o elle satisfera aux deux conditions et  ; 3o elle donnera une valeur constante pour , lorsqu’on fera , quelles que soient d’ailleurs les valeurs de et de , comprises entre 0 et  ; donc elle résoudra dans toute son étendue la question proposée.

On est parvenu ainsi à l’équation


ou désignant par etc. les arcs , , , etc.


équation qui a lieu pour toutes les valeurs de comprises entre 0 et , et par conséquent pour toutes celles qui sont comprises entre 0 et .

En substituant les valeurs connues de etc. dans la valeur générale de , on aura l’équation suivante, qui contient la solution complète de la question proposée,

Les quantités désignées par etc. sont en nombre infini, et respectivement égales aux quantités

les arcs , , ,

etc. sont les racines de l’équation déterminée

326.

La solution exprimée par l’équation précédente E est la seule qui convienne à la question ; elle représente l’intégrale générale de l’équation dans laquelle on aurait déterminé les fonctions arbitraires d’après les conditions données. Il est facile de reconnaître qu’il ne peut y avoir aucune solution différente. En effet, désignons par la valeur de déduite de l’équation (E), il est évident que si l’on donnait au solide des températures initiales exprimées par , il ne pourrait survenir aucun changement dans le système des températures, pourvu que la section à l’origine fût retenue à la température constante 1 : car l’équation étant satisfaite, la variation instantanée de la température est nécessairement nulle. Il n’en sera pas de même, si après avoir donné à chaque point intérieur du solide dont les coordonnées sont la température initiale , on donnait à tous les points de la section à l’origine la température constante 0. On voit clairement, et sans aucun calcul, que dans ce dernier cas l’état du solide changerait continuellement, et que la chaleur primitive qu’il renferme se dissiperait peu-à-peu dans l’air, et dans la masse froide qui maintient l’extrémité à la température 0. Ce résultat dépend de la forme de la fonction , qui devient nulle lorsque a une valeur infinie comme la question le suppose.

Un effet semblable aurait lieu si les températures initiales, au lieu d’être , étaient pour tous les points intérieurs du prisme ; pourvu que la section à l’origine fût toujours retenue à la température 0. Dans l’un et l’autre cas, les températures initiales se rapprocheraient continuellement de la température constante du milieu qui est zéro ; et les températures finales seraient toutes nulles.

327.

Ces principes étant posés, considérons le mouvement de la chaleur dans deux prismes parfaitement égaux à celui qui est l’objet de la question. Pour le premier solide, nous supposons que les températures initiales sont , et que l’origine A conserve la température fixe 1. Pour le second solide, nous supposons que les températures initiales sont , et qu’à l’origine A tous les points de la section sont retenus à la température 0. Il est manifeste que dans le premier prisme le système des températures ne peut point changer, et que dans le second ce système varie continuellement jusqu’à ce que toutes les températures deviennent nulles.

Si maintenant on fait coïncider dans le même solide ces deux états différents ; le mouvement de la chaleur s’opérera librement, comme si chaque système existait seul. Dans l’état initial formé des deux systèmes réunis, chaque point du solide aura une température nulle, excepté les points de la section A dont la température sera 1, ce qui est conforme à l’hypothèse. Ensuite les températures du second système changeront de plus en plus, et s’évanouiront entièrement, pendant que celles du premier se conserveront sans aucun changement. Donc, après un temps infini, le système permanent des températures sera celui que représente l’équation (E), ou . Il faut remarquer que cette conséquence dépend de la condition relative à l’état initial ; on la déduira toutes les fois que la chaleur initiale contenue dans le prisme est tellement distribuée, qu’elle s’évanouirait entièrement, si l’on retenait l’extrémité A la température 0.

328.

Nous ajouterons diverses remarques à la solution précédente ; 1o il est facile de connaître la nature de l’équation , il suffit de supposer (voyez fig. 15) que l’on ait construit la courbe , l’arc étant pris pour abscisse, et pour ordonnée. Cette ligne est composée de branches asymptotiques. Les abscisses qui correspondent aux asymptotes, sont etc. : celles qui correspondent aux points d’intersection sont : etc. Si maintenant on élève à l’origine une ordonnée égale à la quantité connue , et que par son extrémité on mené une parallèle à l’axe des abscisses, les points d’intersection donneront les racines de l’équation proposée La construction indique les limites entre lesquelles chaque racine est placée. Nous ne nous arrêterons point aux procédés de calcul qu’il faut employer pour déterminer les valeurs des racines. Les recherches de ce genre ne présentent aucune difficulté.

329.

2o On conclut facilement de l’équation générale (E), que plus la valeur de devient grande, plus le terme de la valeur de , dans lequel se trouve la fraction devient grand par rapport à chacun des suivants. En effet, etc. étant des quantités positives croissantes, la fraction est la plus grande de toutes les fractions analogues qui entrent dans les termes subséquents.

Supposons maintenant que l’on puisse observer la température d’un point de l’axe du prisme situé à une distance extrêmement grande, et la température d’un point de cet axe situé à la distance , 1 étant l’unité de mesure ; on aura alors et le rapport de la seconde température à la première sera sensiblement égal à la fraction Cette valeur du rapport des températures des deux points de l’axe est d’autant plus exacte, que la distance est plus grande.

Il suit de là que si l’on marquait sur l’axe des points dont chacun fut distant du précédent de l’unité de mesure, le rapport de la température d’un point à celle du point qui précède, convergerait continuellement vers la fraction  ; ainsi les températures des points placés à distances égales finissent par décroître en progression géométrique. Cette loi aura toujours lieu, quelle que soit l’épaisseur de la barre, pourvu que l’on considère des points situés à une grande distance du foyer de chaleur.

Il est facile de voir, au moyen de la construction, que si la quantité appelée qui est la demi-épaisseur du prisme, est fort petite, a une valeur beaucoup plus petite que , ou etc. ; il en résulte que la première fraction est beaucoup plus grande qu’aucune des fractions analogues. Ainsi, dans le cas où l’épaisseur de la barre est très-petite, il n’est pas nécessaire de s’éloigner de la source de la chaleur pour que les températures des points également distants décroissent en progression géométrique. Cette loi règne alors dans toute l’étendue de la barre.

330.

Si la demi-épaisseur est une très-petite quantité, la valeur générale de se réduit au premier terme qui contient Ainsi la fonction qui exprime la température d’un point dont les coordonnées sont et , est donnée dans ce cas par l’équation


l’arc ou devient extrêmement petit, comme on le voit par la construction. L’équation se réduit alors  ; la première valeur de ou est  ; à l’inspection de la figure, on connaît les valeurs des autres racines, en sorte que les quantités etc. sont les suivantes , , , , , etc. Les valeurs de etc. sont donc , , , , etc. ; on en conclut comme on l’a dit plus haut, que si est une très-petite quantité, la première valeur est incomparablement plus grande que toutes les autres, et que l’on doit omettre dans la valeur générale de , tous les termes qui suivent le premier. Si maintenant on substitue dans ce premier terme la valeur trouvée pour , en remarquant que l’arc et l’arc sont égaux à leurs sinus, on aura

le facteur qui entre sous le signe cosinus étant très-petit, il s’ensuit que la température varie très-peu, pour les différents points d’une même section, lorsque la demi-épaisseur est très-petite. Ce résultat est pour ainsi dire évident de lui-même : mais il est utile de remarquer comment il est expliqué par le calcul. La solution générale se réduit en effet à un seul terme, à raison de la ténuité de la barre, et l’on a en remplaçant par l’unité les cosinus d’arcs extrêmement petits , équation qui exprime dans le cas dont il s’agit les températures stationnaires.

On avait trouvé cette même équation précédemment, article 76, page 65 ; on l’obtient ici par une analyse entièrement différente.

331.

La solution précédente fait connaître en quoi consiste le mouvement de la chaleur dans l’intérieur du solide. Il est facile de voir que lorsque le prisme a acquis, dans tous ses points, les températures stationnaires que nous considérons, il existe dans chaque section perpendiculaire à l’axe, un flux constant de chaleur qui se porte vers l’extrémité non échauffée. Pour déterminer la quantité de ce flux qui répond à une abscisse . Il faut considérer que celle qui traverse pendant l’unité de temps, un élément de la section, est égale au produit du coëfficient , de l’aire , de l’élément , et du rapport pris avec un signe contraire. Il faudra donc prendre l’intégrale , depuis jusqu’à , demi-épaisseur de la barre, et ensuite depuis jusqu’à On aura ainsi la quatrième partie du flux total.

Le résultat de ce calcul fait connaître la loi suivant laquelle décroît la quantité qui traverse une section du prisme ; et l’on voit que les parties éloignées reçoivent très-peu de chaleur du foyer, parce que celle qui en émane immédiatement, se détourne en partie vers la surface, pour se dissiper dans l’air. Celle qui traverse une section quelconque du prisme, forme, si l’on peut parler ainsi, une nappe de chaleur dont la densité varie d’un point de la section à l’autre. Elle est continuellement employée à remplacer la chaleur qui s’échappe par la surface, dans toute l’extrémité du prisme située à la droite de la section : il est donc nécessaire que toute la chaleur qui sort pendant un certain temps de cette partie du prisme, soit exactement compensée par celle qui y pénètre en vertu de la conducibilité intérieure du solide.

332.

Pour vérifier ce résultat, il faut calculer le produit du flux établi à la surface. L’élément de la surface est et étant sa température est la quantité de chaleur qui sort de cet élément pendant l’unité de temps. Donc l’intégrale exprime la chaleur totale émanée d’une portion finie de la surface. Il faut maintenant employer la valeur connue de en , en supposant , puis intégrer une fois depuis jusqu’à , et une seconde fois depuis jusqu’à . On trouvera ainsi la moitié de la chaleur qui sort de la surface supérieure du prisme ; et prenant quatre fois le résultat, on aura la chaleur perdue par les surfaces supérieure et inférieure.

Si l’on se sert maintenant de l’expression , que l’on donne à dans sa valeur , et que l’on intègre une fois depuis jusqu’à , et une seconde fois depuis jusqu’à  ; on aura la quatrième partie de la chaleur qui s’échappe par les surfaces latérales.

L’intégrale , étant prise entre les limites désignées donne


et l’intégrale donne


Donc la quantité de chaleur que le prisme perd à sa surface, dans toute la partie située à la droite de la section dont l’abscisse est , se compose de tous les termes analogues à celui-ci

D’un autre côté la quantité de chaleur qui pénètre pendant le même temps à travers la section dont l’abscisse est , se compose des termes analogues à celui-ci :


il est donc nécessaire que l’on ait l’équation


or on a séparément ou on a aussi


donc l’équation est satisfaite. Cette compensation qui s’établit sans cesse entre la chaleur dissipée et la chaleur transmise, est une conséquence manifeste de l’hypothèse ; et le calcul reproduit ici la condition qui avait d’abord été exprimée ; mais il était utile de remarquer cette conformité dans une matière nouvelle, qui n’avait point encore été soumise à l’analyse.

332.

Supposons que le demi-côté du quarré qui sert de base au prisme, soit une ligne extrêmement grande, et que l’on veuille connaître la loi suivant laquelle les températures décroissent pour les différents points de l’axe ; on donnera à et à des valeurs nulles dans l’équation générale, et à une valeur extrêmement grande. Or la construction fait connaître dans ce cas que la première valeur de est , la seconde , la troisième etc. On fera ces substitutions dans l’équation générale, et l’on remplacera etc. par leurs valeurs et l’on mettra aussi la fraction au lieu de On trouve alors

On voit par ce résultat que la température des différents points de l’axe décroît rapidement à mesure qu’on s’éloigne de l’origine. Si donc on plaçait sur un support échauffé et maintenu à une température permanente, un prisme d’une hauteur infinie, ayant pour base un carré dont le demi-côté est très-grand ; la chaleur se propagerait dans l’intérieur du prisme, et se dissiperait par la surface dans l’air environnant qu’on suppose à la température 0. Lorsque le solide serait parvenu à un état fixe, les points de l’axe auraient des températures très-inégales, et à une hauteur équivalente à la moitié du côté de la base, la température du point le plus échauffé serait moindre que la cinquième partie de la température de la base.

Séparateur