Testament de Meslier/Avant-propos


AVANT-PROPOS



VOus connoissez, mes frères, mon désintéressement ; je ne sacrifie point ma croyance à un vil intérêt. Si j’ai embrassé une profession si directement opposée à mes sentimens, ce n’est point par cupidité ; j’ai obéi à mes parens. Je vous aurois plutôt éclairés, si j’avois pû le faire impunément. Vous êtes témoins de ce que j’avance. Je n’ai point avili mon ministère en exigeant des rétributions qui y sont attachées.

J’atteste le Ciel, que j’ai aussi souverainement méprisé ceux qui se rioient de la simplicité des peuples aveuglés, lesquels fournissoient pieusement des sommes considérables pour acheter des prières. Combien n’est pas horrible cette monopole ! Je ne blâme pas le mépris que ceux qui s’engraissent de vos sueurs & de vos peines témoignent pour leurs mystères & leurs superstitions : mais je déteste leur insatiable cupidité & l’indigne plaisir que leurs pareils prennent à se railler de l’ignorance de ceux qu’ils ont soin d’entretenir dans cet état d’aveuglement.

Qu’ils se contentent de rire de leur propre aisance ; mais qu’ils ne multiplient pas du moins les erreurs en abusant de l’aveugle piété de ceux qui par leur simplicité leur procurent une vie si commode. Vous me rendez, sans doute, mes frères, la justice qui m’est duë. La sensibilité que j’ai témoignée pour vos peines me garantit du moindre de vos soupçons. Combien de fois ne me suis-je point acquitté gratuitement des fonctions de mon ministère ? Combien de fois aussi ma tendresse n’a-t-elle pas été affligée de ne pouvoir vous secourir aussi souvent & aussi abondamment que je l’aurois souhaité ? Ne vous ai-je pas toujours prouvé que je prenois plus de plaisir à donner qu’à recevoir ? J’ai évité avec soin de vous exhorter à la bigoterie ; & je ne vous ai parlé qu’aussi rarement qu’il m’a été possible de nos malheureux dogmes. Il faloit bien que je m’acquittasse, comme Curé, de mon ministère. Mais aussi combien n’ai-je pas souffert en moi-même lorsque j’ai été forcé de vous prêcher ces pieux mensonges que je détestois dans le cœur ? Quel mépris n’avois-je pas pour mon ministère, & particulièrement pour cette superstitieuse messe, & ces ridicules administrations de sacremens, surtout lorsqu’il falloit les faire avec cette solemnité qui attiroit votre piété & toute votre bonne foi ? Que de remors ne m’a point excité votre crédulité ? Mille fois sur le point d’éclater publiquement, j’allois dessiller vos yeux, mais une crainte supérieure à mes forces me contenoit soudain, & m’a forcé au silence jusqu’à ma mort.