CHAPITRE DLXXII.

Habillement.


Quand je vois les bedauds, je me dis : ainsi tout le monde étoit habillé sous le regne de Charles VI. Les Capucins me rappellent la soutane qui descendoit jusqu’aux pieds avec une espece de capuchon & une queue pendante par-derriere. Nos coureurs me représentent l’habillement sous François I, un pourpoint étroit, & si étroit qu’il effarouchoit la pudeur. On ne montroit alors qu’une oreille ornée d’une perle ou d’un diamant, & l’on tenoit l’autre soigneusement cachée sous la toque.

Quand je songe qu’un chevalier François étoit jadis un peu plus ridiculement habillé qu’un Capucin, & que ce cavalier plaisoit beaucoup à l’empereur Frédéric II, je ne puis m’empêcher de rire par anticipation de nos élégans marquis ; car il faudra bien qu’ils deviennent bizarres un jour, & toutes les graces qu’ils croient placer dans leur habillement & leur coëffure seront bafouées avec un peu de tems.

Pourquoi ne rions-nous pas de l’habillement oriental qui ne change point, & pourquoi nos tailleurs sont-ils toujours à couper & à recouper différemment les étoffes ? C’est que l’habillement oriental est fait pour la taille humaine.

C’est un grand plaisir pour un bourgeois que de pouvoir s’habiller comme un seigneur. Quand le commis s’est vêtu comme l’homme à équipage, son cœur est dans la joie. Quand le marchand a l’épée au côté, il se croit de niveau avec l’officier. Tout est confondu, dira quelqu’un à l’œil peu exercé : on ne connoît plus personne. Eh non, laissez-les faire ; on distingue tous les états, quelqu’extérieur qu’ils prennent ; l’air qu’on veut se donner gâte celui qu’on a. Ceux qui ont recours aux tailleurs devroient bien méditer cette maxime ; ce qui n’est plus nous saisit d’abord l’œil ou l’oreille. Un faquin sous le plus riche habit se trahit toujours, & quelque chose en lui vous dira, c’est un faquin.