Poésies de André LemoyneAlphonse Lemerre, éditeur1855-1870 (p. 177-181).

Stella maris


 
À M. G. Morel.



LE MARIN

Étoile du marin, si haute dans les cieux,
Toi, douce à contempler comme un regard de femme,
Vois-tu le cher pays que toujours voit mon âme,
Et que depuis longtemps n’ont pas revu mes yeux ?

Là, de sa voix d’argent, tinte une cloche ancienne
Qu’on entend sur la mer quand sonne l’Angélus ;
C’est un bourg de pêcheurs près de Saint-Jean-de-Luz.
Dans ses pauvres maisons ne vois-tu pas la mienne ?


Chère étoile si haute et regardant si loin,
Au bas des grands rochers tu dois la reconnaître.


L’ÉTOILE.

Je la vois… je vois même à travers sa fenêtre,
La petite clarté d’une lampe qui point.

Une femme, en rêvant, file sa quenouillée
Près d’un garçon qui dort, mais d’un sommeil d’oiseau.
Elle quitte parfois sa laine et son fuseau,
Et sur le bel enfant se penche émerveillée.

Il vient de s’endormir au bruit d’une chanson.
Sa bouche a la fraîcheur des coquillages roses ;
De ses premières dents les perles sont écloses ;
Il a de grands cils noirs, le vigoureux garçon.

La mère dans son fils croit trouver ton image.
La moitié de son cœur est là, dans un berceau.


LE MARIN.

Et son autre moitié ?…


L’ÉTOILE.


                                           L’autre moitié voyage.
Essayant sur les mers de suivre ton vaisseau.



LE MARIN.

Quand Dieu laissera-t-il les heureux vivre ensemble ?
Me diras-tu le jour qui nous doit réunir ?
Tu ne l’ignores pas, toi qui sais l’avenir…
Mais tu ne réponds rien… ton pâle rayon tremble.

Et dans le fond du ciel paraît s’enténébrer.


L’ÉTOILE.

L’avenir… ah ! je crains de toucher à son voile !


LE MARIN.

Si l’avenir est noir, mystérieuse étoile.
Je suis fort…


L’ÉTOILE.

                          Prions Dieu… Ton vaisseau doit sombrer.


Dans le dernier combat d’une guerre lointaine,
Tu mourras…mais frappé d’une balle en plein cœur.
Collant ta lèvre sainte à ton drapeau vainqueur,
Tu descendras en mer avec ton capitaine.


LE MARIN.

Amen. C’est bien mourir.

L’ÉTOILE.

                                               Ton fils aura grandi
Quand ta veuve là-bas apprendra la nouvelle,
Tard, bien tard, dans quinze ans…

LE MARIN.

                                                           Comment la saura-t-elle ?

L’ÉTOILE.

Au coucher du soleil, le soir d’un vendredi,

Voyant le flot descendre, après un grand orage,
La pauvre femme aura comme un pressentiment…


Interrogeant des yeux mer et ciel tristement,
Son chapelet en main, elle ira sur la plage.

En faisant pour les morts le signe de la croix,
Elle reconnaîtra les restes d’un naufrage :
De longs débris parlant des marins d’un autre âge,
Et racontant les pleurs des veuves d’autrefois.

Puis elle apercevra, sous la frange des lames,
Ton médaillon bénit le jour de votre adieu…
Sa belle âme aussitôt s’en ira droit à Dieu,
Qui, pour l’éternité, fiança vos deux âmes.