Stanzes du Mariage

Par Madame Liebault.


De toutes les faveurs que Dieu transmet en nous,
De tout ce que le Ciel & les Astres plus doux
Ont peu verser de bien dessus l’humain lignage,
Donner de benissons & de felicitez,
De grace, de bienfaicts & de proprietez,
Rien n’approche en douceur la Loy du Mariage.

Heureuse & Saincte Loy, source de vos plaisirs,
Principe de vostre heur, perle de vos desirs,
D’Amour, de Volupté & de gloire suivie,
Du repos des humains seule cause & raison,
Des corps & des esprits heureuse liaison,
Le ciel de vostre bien, le miel de vostre vie.

Ce grand Dieu qui crea le rond de l’Univers,
Et feit pour l’embellir tant d’animaux divers,
Aprés que l’homme il eut formé à son image,
Ne se contenta point de l’avoir ainsi faict
Sur le moule sacré de son divin portraict,
Mais voulut de tout poinct bienheurer son ouvrage.

De la coste de l’homme assopi du sommeil
Ce Maistre souverain, cet Ouvrier nompareil
Par art miraculeux feit la femme premiere :
De mille & mille dons & de grace il l’orna,
Pour fidelle compaigne à l’Homme il la donna,
Pour estre os de ses os, chair de sa chair entiere.


Dessus son front poli il sema les beautez,
En ses yeux il logea mille douces clairtez,
Sur sa bouche il asseit le miel & l’ambrosie,
Il doua son parler de grace & de douceur,
Il mit la Courtoisie & l’Amour en son cueur,
Et en perfections la rendit accomplie.

Tout aussi tost que l’homme eut veu œuvre si beau,
Aussi tost fut espris d’un amoureux flambeau,
Et atteint des beaux yeux & bonne grace d’elle ;
Dieu le voulant ainsi la prit & l’espousa,
Et plein de loyauté son cueur se disposa
A l’aimer & cherir d’une amour immortelle.

De là le Mariage eut son commencement,
Lien heureux & doux, plein de contentement,
Qui en toute Delice avec Largesse abonde,
Plaisant à l’abordee & plaisant au millieu,
Plaisant jusqu’à la fin, & qui peut en tout lieu
Estre dict & nommé l’Excellence du monde.

Il ha dessous ses pieds la Tristesse & le Dueil,
Il est tousjours paré d’un favorable Accueil,
L’Amour le suit sans fin, le Plaisir le talonne :
Il ha pour compaignons marchants à son costé
L’immuable union, la Foy, la Loyauté,
Le Pudique Desir & la Volonté bonne.

Le Discord envieux ne l’accoste jamais,
Car il florist tousjours en immortelle Paix :
Le Courroux & l’Ennuy ne sont point de sa suite :
Le Soupçon, le Regret, le fascheux Repentir,
Et tout cela qui peut rendre un homme martyr,
Au seul object de luy se mettent tous en fuite.

O Dieu, combien tu as l’Homme favorisé
D’avoir en son esprit le desir attisé
Prendre femme & l’aimer tout ainsi que soy mesme !
Pouvois-tu, ô bon Dieu, plus de bien luy donner,
Et de plus rares dons le pouvois-tu orner ?
Certes non : car c’est l’heur de tous heurs le supresme.

On a parlé jadis des champs Elysiens,
Où les ames estoyent au comble de tous biens,
En plaisir eternel dessous un verd ombrage ;
Chacun prise la joye & l’heur de Paradis.
Mais je ne puis penser que ce soit rien au prix,
Ni que le Paradis s’égale au Mariage.

D’avoir de jour & nuict aupres de son costé
Une femme pudique & pleine de beauté,
Avoir toutes faveurs que lon veut & demande,
Jouir de ses baisers doucement attrayants,
Veoir à l’entour de soy nombre de beaux enfans,
Y-a-til quelque joye en Paradis plus grande ?


Hé donc parmi cet heur estes vous aveuglez
Pour ne veoir tant de biens que Dieu vous a baillez ?
Voulez-vous mespriser une manne si douce ?
Ne savourez-vous point la douceur de ce miel
Qui sur le genre humain pleut & tombe du ciel ?
Gardez en ce faisant que Dieu ne se courrouce.

Si de quelque raison vos esprits sont menez,
Si à ne point mentir vous estiez addonnez
Quoy ? ne diriez-vous pas que la Nopce vous monstre
En son brave appareil, festins delicieux,
Pompe de beaux habits & sons harmonieux,
Qu’au Mariage sainct tout bonheur on rencontre ?

Escoutez mes propos, O vous qui desdaignez
D’estre pudiquement de femme accompaignez,
Et n’en pouvez trouver qui vous contente & plaise.
Si vous la prenez riche, elle vous traictera,
Sans peine & sans travail son bien vous nourrira,
Et sans vous tourmenter vous vivrez à vre aise.

Lors il vous semblera d’entrer en Paradis,
De trouver tant de biens sans nulle peine acquis,
De tenir & compter les escus à poignee,
De veoir & visiter ses terres & maisons,
D’avoir ce qu’il vous fault en toutes les saisons,
Sans veoir de pauvreté la vie accompaignee.

Joinct qu’ordinairement la riche est de bon lieu
Bien nee & bien nourrie en la crainte de Dieu,
Pleine de bonnes mœurs & bien apparentee :
Elle vous met au monde, & les enfans qu’avez
Aux estats & honneurs sont soudain eslevez,
Rendant de vous & d’eux la gloire dilatee.

Si vous la prenez pauvre, elle ha dedans le cueur
Plus d’amour, plus de foy, plus de crainte & douceur,
Elle est humble, & vous sert de femme & de servante :
Elle se plaist d’entendre & scavoir vos humeurs,
S’accommode, se dresse & façonne à vos mœurs,
Et en tout & par tout vous est obeissante.

Si vous la prenez belle, O combien de plaisir
Vous est loisible alors à toute heure choisir,
Y admirant de Dieu l’artifice & l’ouvrage,
Baisant les belles fleurs, les roses & les lis
En sa vive couleur & ses yeux embellis,
Et embrassant souvent une si belle image !

Si vous la prenez laide, elle vous aimera,
Son amour envers vous jamais ne varira,
Vous ne serez point atteint du mal de Jalousie :
Seulette en sa maison tousjours la trouverez,
Et vos petits enfans mieux vous esleverez,
Car elle en nourrira la plus grande partie.


Celuy qui n’a jamais sceu que c’est de ce lien,
Ni combien il y a d’aise, d’heur & de bien,
Qui n’en a faict l’essay & la preuve certaine :
Il n’y faut comparoistre en follastres amours,
Qui durent peu de mois, voire bien peu de jours,
Et dont la volupté est passagere & vaine.

N’alleguons point ici l’exemple de ces Dieux,
Qui leur lict conjugal avoyent pour odieux ;
Car ils n’estoyent pas Dieux, ains plustost estoyent diables :
Et ce beau Jupiter, duquel on parle tant,
Estoit un ruffien & paillard inconstant
Qui vomissoit par tout ses feux insatiables.

Jamais cet adultere & ce luxurieux
En sa main, comme on dit, n’eut le sceptre des Cieux :
Les Cieux ne sont remplis d’inceste & paillardise :
Les Dieux ne sont subjets à la lubricité,
Ils hayent la luxure & l’impudicité,
Et tout ce qu’on dit d’eux n’est que fable & feintise.

Mais en laissant le faux, parlons de nostre Dieu,
De Christ nostre Sauveur, comme estant en ce lieu.
Il honora la Nopce & le saint Mariage,
Voulut y assister, & d’un pouvoir divin
Au banquet nuptial il mua l’eau en vin,
Approuvant ce lien par un tel tesmoignage.

Imprimons en nos cueurs son saint commandement,
Lequel de paillarder defend estroictement,
Et moins de se plonger dans l’adultere infame
Voyons en l’Evangile en mille & mille lieux,
Comme il sçait chastier l’homme luxurieux,
Et le voue & condamne à l’eternelle flame.

A l’exemple de luy qui la Nopce honora,
A l’exemple de luy qui l’Hymen decora,
Et qui se nomme & dit l’espoux de son Eglise,
Honorons & prisons ce Sacrement si beau,
Aimons le Mariage & son chaste flambeau,
Sans que de folle amour nostre ame soit esprise !

O heureux Mariage, en ce monde envoyé
Pour refrener le cueur de l’homme dévoyé,
Don celeste & divin pour repeupler la terre,
Celuy qui t’aimera, soit à jamais heureux ;
Et celuy qui fuira ton lien amoureux,
Sente que le malheur toujours luy face guerre.


J’estonne le ciel.