Stances, sur le gris

Seconde partie des Muses françoises, Texte établi par Despinelle, chez Matthieu Guillemot (p. 260-261).


STANCES, SVR LE GRIS.

 L’amour est vn beau feu que l’Eternité saincte
Couua premierement dans le Gris ſon berceau,
Le gris fuſt le chaos qui de ſa maſſe enceincte
Enfanta l’Vniuers pour eſtre ſon tombeau.
 Principe des couleurs außi bien que l’extreſme,
Gris ſymbol parfaict de la diuinité,
Tu procedes de toi & r’entres en toi-meſme,
Marque de mon Amour pour ton infinité.
 Quand tu deſtruis les corps ô Nature inconſtante,
Le rouge vole au feu, le bleu s’eſlance aux airs,
Le verd coule auec l’eau, & la terre conſtante
Prend le Gris, ennemi de ceux qui ſont legers.
 Si le ciel amoureux veut feconder la terre,
Ou guerroier d’eſclairs les Titans chaleureux,
Il prend le Gris, & vaincq en amour & en guerre ;
L’Amant & le guerrier qui le porte eſt heureux.
 Nature peint de Gris les Aigles genereuſes,
La Colombe doucette & le noble Eſpreuier,
La chaſte Tourterelle, & ſes formes nombreuses
N’animent rien de Gris qui ne ſoit ſingulier.

 Soudain que les bouillons de la folle ieuneſſe
Laiſſent noſtre cerueau, le Gris ſe peint deſſus,
Puis quitte ſon ſeiour à la froide vieilleſſe,
Il fuit autant le fol comme le pareſſeux.
 L’œil miracle des corps anime ſes flammeſches
Dans les beaux cercles Gris qui parent sa rondeur,
De-là l’Amour haultain va décochant ſes fleſches,
Et ne veut que le Gris pour Ciel de ſa grandeur.
 Mars ſe pare de Gris au jour de la bataille,
Aprés mille labeurs le Gris couure les naus :
C’est pourquoi le beau Gris denote qu’on trauaille,
Le Gris & la vertu naiſſent dans les travaux.
 Le Gris eſt le milieu de deux couleurs extreſmes,
Le milieu eſt le but que les vertus ont pris,
Puis donc que les vertus & le Gris ſont de meſmes,
Qui aime la vertu, il aimera le Gris.
 Qui te peut honorer par des loüanges dignes,
Beau Gris, le fauori du grand Roi des François,
Il a conioinct à toi tant de Palmes inſignes,
Que ie perds t’admirant & l’eſprit & la voix.

A. D. V.