Calmann-Lévy (p. 235-238).


NOTES


Nohant, 6 août 1871.


Dans ce que j’écrivais, il y a dix ans, comme dans ce qui m’occupe aujourd’hui, je retrouve la même préoccupation.

Toute rêverie personnelle, si personnelle qu’elle soit, nous conduit fatalement à la pensée de l’ensemble dont nous faisons partie. Il n’y a pas seulement dix ans, il y en a environ cinquante que mon esprit comme celui de ma génération tourne dans le même cercle, se demandant si nous pouvons croire à la durée d’une civilisation qui repose sur le prolétariat comme celle de l’Empire romain reposait sur l’esclavage.

Est-ce la science seule qui résoudra la question d’antagonisme entre le producteur et l’exploiteur ? Les machines mues par la vapeur suffiront-elles à détruire l’asservissement de l’homme à une tache musculaire où son cerveau s’étiole ?

Dans les derniers événements qui nous consternent, nous voyons le prolétariat atteint de folie, croyant résoudre, par un effort désespéré le problème qui le travaille, l’oppresse ou l’enivre. Il est évident que sa situation sociale l’a placé en dehors des notions de la plus simple économie sociale.

Que fera-t-on, que va-t-on faire, car le temps presse pour que cette classe d’ilotes soit rattachée aux autres classes par une solidarité commerciale, intellectuelle et patriotique ?

Les choses ne peuvent pas rester ce qu’elles sont, on le sait, on le voit.

Le fait passe, la menace reste et le péril est grand pour toutes les classes ; celles d’en haut en danger de sombrer dans l’effort qu’elles font pour conserver leur bien-être ; celles d’en bas en égal danger de sombrer dans les tempêtes soulevées par elles : toutes menacées de guerre civile et d’anarchie avec le vautour allemand guettant les ruines et s’abattant sur nos cadavres.