Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 3/05

Garnier frères, libraires éditeurs (Tome 3p. 72-106).


CHAPITRE V.


La Comtesse de Brionne. — Les Princes de Lambesc et de Vaudémont. — Les anciens Comtes de Brienne et les Loménie. — Mme Vaudémont, belle-fille de Mme de Brionne. — Sa naissance, son caractère, son goût pour les animaux. — Son voyage aux eaux de Bourbon. — Mme du Crest-Lancy. — Sa fille, Mme de Genlis. — Pèlerinage à Saint-Hubert pour la rage. — Rancune étrange de Mme de Vaudémont. — Intrigues du Palais-Royal. — Le fils du Régent. — Ses prétentions au savoir. — On lui persuade qu’il a appris le grec et l’hébreu. — Le Kisouch-Emouna. — Les Exaples. — Retraite de ce Prince. — Sa rancune envers Louis XV. — Ses manies. — Sa mort. — Mademoiselle de Sens et les billets de Mme de Pompadour. — Le catafalque de Mademoiselle de Sens. — Scène étrange. — Croyance populaire à ce sujet. — Mlle Dupont, tante de Mme Roland. — Son opinion sur le docteur Bouvard. — Sa réponse à l’Évêque de Ruremonde. — Rancune des jansénistes contre saint Vincent de Paul. — Le Marquis de Paulmy. — Le Duc de Luxembourg en capucin. — Le Duc d’Aumont. — Conseil que lui donne le Maréchal de Richelieu. — Le fils de l’auteur, alors Marquis de Canaples. — Sa réponse à un beau parleur. — Panégyrique du Duc Louis d’Orléans. — Procès-verbal sur les convulsionnaires.

Mon ami, l’hiver dure, et ma plus douce étude
Est de vous raconter choses du temps passé.
Parlons un peu ce soir de Madame Gertrude ;
Je n’ai jamais connu de plus aimable prude !

Louise-Julie-Constance-Yvonne-Bretagne de Rohan-Guémenée. Comtesse de Brionne et Duchesse d’Elbœuf, « était la beauté même, et la sagesse infuse. »

Elle avait une taille admirablement bien prise et haute, avec un maintien digne, un air imposant, obligeant et doux. C’était une Junon chrétienne, héraldique, et toujours bien poudrée, bien appuyée sur ses hermines de Bretagne et mouchetée de croix de Lorraine à profusion. Elle avait une manière toute particulière de faire placer son rouge, c’est-à-dire en ligne absolument droite au plus près des yeux, dont cette couche de brillant carmin glacé d’argent ne diminuait certainement pas l’éclat, tandis que les trois autres lignes inférieures et latérales allaient s’arrondissant en courbe avec une grâce parfaite, à distance égale du nez et des oreilles, et sans jamais tomber au-dessous du niveau de la bouche, ce qui donnait à tout son air de tête une grande distinction. Elle avait du bon sens avec un très bon goût, peu d’esprit avec une réserve charmante, et pour vous donner une idée de son caractère, il est suffisant de vous en rapporter ce qui va suivre.

Elle n’était pas toujours également satisfaite de la bonne tenue de son mari (le Prince Louis de Lorraine, Grand-Écuyer de France), attendu qu’il ne se montrait pas toujours en assez bonne compagnie ; aussi lui dit-elle un jour en ma présence, avec un air solennel et de parti pris : — Monsieur, si je vous rencontre encore dans les Tuileries vous y promenant avec MM. Rivarol et Champcenets, vous pouvez compter et je vous donne ma parole d’honneur, que je leur ferai la révérence !!!…

Son fils aîné, le Prince de Lambesc, était un philanthrope admirable. En traversant votre ancien village de Poix en Boulonnais, il avise une chaumière embrasée, descend de voiture et se précipite à travers les feux et la fumée : il en arrache une bonne vieille paralytique, dont les vêtemens étaient toutien flammes ; il la jette au milieu d’une mare ou barbotaient des canards, et il la noie.

M. de Vaudémont, son second fils, était bien assurément le garçon le plus dissimulé, le plus indiscret et le plus disparate, le frondeur le plus guisard, le mari le plus tracassier, enfin le plus insupportable Prince que la maison de Lorraine ait jamais fourni à la France ! Il était si volontaire et si peu judicieux qu’il aurait aimé tout autant recevoir cent coups d’étrivières que cent mille écus par force ; mais il était si faible de caractère et d’entendement, que nous disions toujours qu’il suivrait le conseil de se tuer pourvu qu’on y mît de la suite. Quand il m’avait fait quelque tracasserie avec sa femme qui venait me trouver pour s’en expliquer et quelquefois pour me le reprocher, je lui répondais toujours uniformément : — Votre mari a deux principaux inconvéniens qui devraient s’exclure : il dit tout ce qu’il sait et il ne sait ce qu’il dit. Ils ont toujours fait mauvais ménage, et je me souviens que le mari voulait absolument inviter à dîner la belle Mme Pâter[1], tandis que sa femme voulait décidément prier à souper un jeune et joli M. d’Oraison. Le Prince ne voulait pas entendre parler de M. d’Oraison, et la Princesse ne voulait pas recevoir Mme Pâter, d’où venait qu’ils se contrariaient toute la journée. Comme ils étaient également et parfaitement déraisonnables, Mme de Guémenée disait toujours qu’ils ne pouvaient rien faire de plus raisonnable que de se disputer. Il est vrai qu’ils avaient toujours tort à raison de ce qu’ils voulaient, et qu’ils avaient habituellement raison sur les choses qu’ils ne voulaient pas.

M. de Vaudémont avait entrepris, je ne sais pourquoi, de me faire aller à l’hôtel de Brienne avec sa femme, et j’eus grand’peine à lui résister.

Je n’allais jamais chez les Brienne et par un singulier motif : j’étais choquée de voir ces Loménie établis sans réclamation dans la possession de ce grand nom de Brienne, qui ne devrait appartenir qu’à MM. de Conflans. Ces paperassiers de Loménie étaient du même acabit et dataient de la même époque que vos alliés et mes parens les Neuville de Villeroy ; mais du moins les Neuville, en prenant ce nom de Villeroy, ne portaient que le nom d’un fief et n’avaient pris le nom d’aucune famille connue, tandis que dans ma pensée je ne pouvais jamais séparer ces nouveaux Brienne du titre de Porphyrogénète ou de Sébastocrator, et de la couronne impériale d’Orient qu’avaient portés leurs homonymes. Quand j’entendais annoncer M. le Comte et Mme la Comtesse de Brienne ! et que je voyais apparaître une couple de Loménie, il me semblait qu’on me donnât un coup de sabot sur le nez.

Le Maréchal de Biron partageait si bien la même susceptibilité qu’il ne les appelait jamais que Loménie (de Brienne), en appuyant vocalement sur la parenthèse. Je suis naturellementjuste et je suis amie de l’ordre. C’est une disposition qui ne rapporte pas plus de profit que de satisfaction ; — ma, che volete, sono cosi.

À présent, nous allons passer à la Princesse de Vaudémont qui vivra longues années, si Dieu le permet, car assurément celle-ci ne se tuera jamais avec intention de mourir. On la prêcherait furieusement longtemps avant de la décider à commettre un suicide, et c’est une inquiétude que ses amis n’auront jamais. Mme de Vaudémont n’est pas encore au bout de sa quenouille ; Mme de Vaudémont pourra tourner un mauvais fuseau ; elle ne mourra jamais assez vieille pour ne plus faire de sottises, et si je m’y prends d’aussi bonne heure à vous parler d’elle, c’est que je la trouve à la suite de sa belle-mère, où je la laisse. Il me semble aussi que c’est pour en finir et parce que je n’aurai plus besoin de vous en reparler. Quand vous l’aurez connue, vous comprendrez cette sorte d’empressement-là[2].

Mme de Vaudémont était la riche héritière des Montmorency de Flandre et de la maison de Wassenaar, dont elle a recueilli des trésors qu’elle a gaspillés le plus méthodiquement, le plus sérieusement et le plus tristement, on pourrait dire. On a su, par exemple, qu’elle avait fait faire à grands frais, pendant son émigration, une expertise avec des plans, des devis, des lavis, des arpentages et des estimations à n’en pas finir, avec les relevés des produits des baux, réserves et redevances depuis plus de cent cinquante ans, pour une certaine terre du Waterland dont elle venait d’hériter ; et quand elle fut bien au courant de la valeur de ce beau domaine, qui pouvait rapporter cent quarante mille livres de rente, elle s’empressa de le donner pour quatre cent mille francs, une fois payés, par la raison, disait-elle, que les digues du Zuiderzée et du lac Swallue, qui sont à soixante lieues de là, lui avaient paru d’une construction défectueuse, et parce que la Hollande allait être infailliblement engloutie sous les eaux de la mer. Voilà comme elle a toujours administré sa fortune, et voilà ce qui fait que nous la voyons réduite à vivre aujourd’hui du reste de ses capitaux qu’elle a mis en viager, après avoir hérité de cinq à six cent mille livres de rentes en biens superbes.

Elle avait également hérité du chef de sa mère, qui était une Comtesse de Wassenaar (des Burgraves de Leyde), elle avait hérité d’une si grande quantité de vaisselle d’argent qu’on n’a jamais rien vu de pareil, à moins que ce ne soit chez des souverains, ou si ce n’est en Hollande, où la dignité des familles de l’ordre équestre les empêche de ne jamais rien vendre et ne rien échanger de leur mobilier, auquel on peut ajouter, mais voilà tout. Elle avait en outre une admirable collection de tableaux flamands, avec un si grand nombre de chinoiseries précieuses et d’une telle rareté que le China-Kauffmann, à qui Mme de Vaudémont les vendit, en fit charger un bâtiment pour les reporter à la Chine, ou ces sortes de curiosités nationales ont conservé cent fois plus de valeur qu’elles n’en ont acquis en Europe. C’est du reste un commerce usité parmi les brocanteurs hollandais, qui sont toujours grands connaisseurs en fait de chinoiseries ; et tout aussitôt qu’ils achètent une pièce curieuse, ils ont grand soin de la mettre de côté pour la renvoyer à la Chine, ce qui leur procure un bénéfice de trois à quatre cents pour cent. La pauvre Princesse n’a su conserver de tout cela qu’environ 80,000 livres de rentes viagères, avec un collier de perles dont on aurait bien de la peine à trouver plus de 60,000 francs. Je n’ai jamais connu de malheureuse femme qui se soit si follement abîmée, tout en faisant la personne rangée, la femme d’ordre, et la bonne ménagère, s’il vous plaît.

Ce qu’on aperçoit de prime-abord en elle est une étrange affection pour toutes sortes de bêtes, et c’est depuis les poissons rouges et les cochons d’Inde, les hiboux, les fouines, les tortues et les marmottes, jusqu’aux mouches à miel et aux vers à soie. Vous la trouvez toujours entourée de katacouas criards, de guenons vertes et de singes violets, de matous sournois, de chiens hargneux et de louveteaux goulus qui lui dévorent les mains. On dirait qu’elle ne les en aime que mieux. Vous arrivez chez elle à la campagne, ou vous êtes assailli par un escadron de chiens danois, lévriers, griffons, boule-dogues, épagneuls et bassets, qui sont coiffés avec des emplâtres de toile cirée en forme de casquettes, et qui sont couverts avec des espèces de chabraques en poix de Bourgogne : on dirait des monstres mythologiques. Enfin vous entrez à grand’peine ; on s’assied, et vous entendez qu’on va donner l’émétique à des pintades. On a mis un sinapisme à Brunet, qui est un chevreuil valétudinaire ; il est question de faire prendre aux lapins du clapier de l’élixir suédois : enfin l’on entre en consultation pour administrer des clystères aux singes de la Princesse, et c’est une des opérations les plus laborieuses et les plus épineuses de l’art vétérinaire, à ce qu’il paraît. C’est la Princesse qui tient les singes, et les morsures ne lui sont de rien, pourvu qu’elle espère entretenir en santé ces charmans animaux. C’est M. de Caraman qui profite de cela pour administrer les remèdes, et voilà de ces lâchetés qui font mal au cœur !

Si vous jugiez Mme de Vaudémont d’après l’apparence de telle ou telle action de sa vie, vous la supposeriez avare, égoïste, impie, jacobine, ingrate et désordonnée ; mais si vous la regardez d’un autre côté, vous la trouverez dévote jusqu’à la superstition, amie dévouée jusqu’à l’imprudence, et susceptible de procédés tellement généreux qu’on n’y saurait penser sans admiration ! Voyez plutôt sa conduite envers cet indigne Saint-A… et sa maîtresse Mme d’A… qui lui ont filouté ses diamans pendant l’émigration, et contre lesquels elle a eu la noble délicatesse, la fermeté courageuse, et la force d’arrêt de ne jamais proférer un seul mot de reproche, une seule parole de blâne, et ceci parce qu’elle avait eu de l’attachement pour eux, parce qu’ils avaient été de sa société, disait-elle froidement et simplement…

Mme de Vaudémont n’a jamais mérité les indignités qu’on a répandues contre elle ; mais elle n’a pas mérité non plus l’importance et l’autorité qu’on aurait voulu donner à son salon, où, soit dit sans désobliger personne, il ne s’est jamais réuni, d’habitude et familièrement, que des gens d’une considération plus ou moins douteuse. C’est un faux air d’importance avec un relief ambitieux qu’auraient voulu se donner certains habitués de sa coterie. Parmi les femmes qui ont vécu dans ses relations intimes, on n’a jamais aperçu que la P. C. de R…[3] qui fut ce qui s’appelle une honnête personne ; et du reste, il existe entre ces deux Princesses, si différentes à certains égards, une relation d’habitudes à raison de la proche parenté, plutôt qu’une sympathie de caractère et d’affection réciproque. Si l’on a débité des infamies sur la Princesse de Vaudémont, c’est uniquement parce qu’elle voyait la plus mauvaise compagnie du monde, et c’était toujours de quelques familiers expulsés et mécontens que provenaient originairement toutes ces indignités qui finissaient par se répandre dans le public. J’ai remarqué que, tel innocent qu’on soit ou si coupable que l’on puisse être, on est toujours calomnié quand on vit en mauvaise compagnie. Les mauvaises gens conçoivent toujours de vilaines pensées et tiennent toujours de méchans propos. On n’est sali que par la boue, dit le proverbe ; j’irai plus loin que le proverbe, en disant qu’une personne de la naissance et de la consistance de Mme de Vaudémont n’aurait jamais été salie par la boue, si elle n’en avait pas recueilli chez elle. M’étant pas d’humeur à se tenir tout-à-fait en bas, il avait fallu qu’elle en eût fait monter à sa portée pour en recevoir les maculatures

Il est vrai qu’elle se trouve toujours naturellement inclinée du côté de la mauvaise société, comme aussi du mauvais côté politique, ce qui provient d’une mauvaise gloriole de patronage et de protection mal appliquée, et ce qui tient à la fausseté naturelle de son esprit, à l’infirmité de sa judiciaire, à sa matérialité, pourrait-on dire. Il est impossible qu’elle ne tourne pas et ne verse pas toujours à gauche ; mais elle a beau manquer de jugement, le cœur lui reste, il y a toujours de la noblesse et de l’héritière de Montmorency dans ses procédés ; il y aura toujours de la Princesse de Lorraine et de la dignité dans tous ses rapports sociaux. Elle a mauvaise tête, elle est égoïste, inégale et rancunière ; mais elle ne fera jamais une trahison ni une noirceur, encore moins des lâchetés ou des bassesses. Je ne l’aime guère et je ne l’estime point, mais j’ai toujours été révoltée de ces calomnies à l’égard d’une pauvre femme dont les principaux torts ne sont jamais provenus que de sa passion pour l’indépendance et d’une fierté mal entendue.

Mme de Vaudémont est une créature toute négative ; elle n’a jamais été bossue, mais on n’a jamais pu dire qu’elle fût bien faite. Elle n’aura jamais d’esprit, et l’on est obligé de convenir qu’elle n’en manque pas. Elle n’est point méchante et n’est pas bonne, elle n’est ni supérieure ni commune, ni grossière ni délicate, ni sage ni folle, ni grande ni petite, ni belle ni laide ; et je défierais qu’on pût lui dire avec la moindre apparence de justice et de raison : Vous êtes quoi que ce soit, si ce n’est inconséquente à l’excès ; et encore ne l’est-elle pas toujours également.

Je me souviens qu’en la voyant faire (avec son air sévère et préoccupé) une foule de choses les plus baroques et les plus ridicules, je lui disais souvent dans sa jeunesse : — Est-elle étrange et bizarre ! est-elle Flamande ! — Il ferait beau voir que je ne fusse pas Flamande ! répondait-elle en me regardant fixement avec ses deux gros yeux cataleptiques : le plus beau de mon visage en est fait, de mes grands-pères de Flandre, et je m’embarrasse pas mal de vos coutumes et vos manières de Paris, moi !

Elle a toujours la prétention d’être le chef de la maison de Montmorency, ce qui n’est pas sans raison, puisqu’elle est issue de ce fameux Jean de Nivelle que le Seigneur de Montmorency, son père, avait déshérité et traité de chien, pour avoir suivi le parti du Duc de Bourgogne, et pour s’être enfui quand on l’appelait pour le service du Roi ; aussi le Chevalier de Boufflers expliquait-il la passion de Mme de Vaudémont pour les roquets par sa descendance de ce Jean de Nivelle, lequel était ce qu’on pourrait appeler un mauvais chien ; suivant la tradition. Contre l’ordinaire de sa famille, elle ne songe aucunement à tirer vanité du nom de Montmorency ; la naissance de son mari lui paraît, avec raison, bien autrement supérieure, et tous ses effets ne sont armoriés ou marqués qu’avec des croix de Lorraine. Seulement, quand ces cousins de Paris, lui contestent son droit d’aînesse, elle en vient jusqu’à leur dire qu’ils ne sont peut-être pas de la véritable maison de Montmorency, ce qui les met dans des colères abominables, et ce qui, du reste, n’a pas le sens commun.

On pourrait supposen que Mme de Vaudémont ne croit à rien ; mais quand elle est mordue par un de ses chiens qui crève de la rage deux jours après, savez-vous ce qu’elle fait ?… Elle met une robe verte, elle monte dans une voiture verte, il faut absolument que la voiture soit verte ; elle en emprunte une verte si les siennes sont jaunes. Ensuite elle s’en va tranquillement en pèlerinage à Saint-Hubert-en-Ardennes. En passant à Sainte-Ménéhould, elle éprouve un accès d’hydrophobie avec des convulsions à faire crever un taureau ; mais ce n’est pas là ce qui l’inquiète, et tout son embarras, c’est que le vent ne se tourne à l’ouest, à cause de l’humidité qui lui donnerait une fluxion sur les dents. Elle arrive à Saint-Hubert ; elle y boit un verre d’eau de la Source-noire ; on lui met la tête sous une étole verte, en récitant l’évangile selon saint Jean, et la voilà repartie, confiante et pimpante ! On ne saurait douter que deux autres personnes (dont un enfant de 4 ans) ne soient mortes de la rage à la suite des morsures du maudit chien, que sa maîtresse n’en a pas moins fait empailler pour adoucir l’amertume et la sensibilité de ses regrets. On en dira tout ce qu’on voudra, mais elle est encore vivante et bien portante au bout de 14 ans. Les physiciens ou les métaphysiciens expliqueront cela s’ils le peuvent, et comme ils le voudront ; mais toujours est-il que cette princesse est bien payée pour avoir confiance dans les pèlerinages. On n’a jamais eu l’occasion de remarquer qu’elle eût croyance dans l’utilité d’aucune autre pratique religieuse que celle des voyages à Saint-Hubert, et ceci témoigne assez quelle est la sûreté de sa judiciaire et la portée de son esprit.

Elle avait rapporté de sa Flandre une tradition d’histoire ou de légende, au sujet d’un de vos grands-pères à je ne sais quel degré, lequel avait tué, dans je ne sais quelle bataille, un de ses aïeux maternels, un Comte de Halwin, ce me semble ; il y avait de cela deux ou trois cents ans.

Elle avait eu de la peine à me voir avec indulgence à cause de cela ; mais la Comtesse de Brionne, sa belle-mère, en ayant découvert la cause, nous en faisions de tels rires avec Mme de Brionne et les autres princesses de Lorraine, que la pauvre Vaudémont avait fini par en prendre son parti. Mais il ne fallut pas songer à la réconcilier avec les mâles de votre maison, à qui elle en portait une rancune du diable ! C’est un enfantillage que je lui rappelais, il y a quatre ou cinq mois, et jugez si je fus étonnée de la voir me répondre avec un air vindicatif et d’un ton courroucé : — Ne parlons pas de cela, s’il vous plaît ! — Je crus que j’en allais mourir de rire, et Mme de Fleury, qui était bien malade, et chez qui la scène se passait, en eut des convulsions qui faillirent la tuer.

Je me souviendrai toute ma vie d’une entrevue que nous eûmes ensemble avec la mère de la Marquise de Sillery, et ce que je vous en dirai pourra suffire à vous donner une idée positive et précise de ces deux étranges personnes (la Princesse et Mme du Crest).

La Princesse de Vaudémont avait été très malade, et d’une singulière maladie, car elle restait quelquefois quarante-huit heures sans donner aucun signe de vie, et puis elle se réveillait et se relevait subitement pour aller se casser la tête contre les murs, ce qui détermina sa belle-mère à faire matelasser toutes les parois de son appartement, où personne ne put la voir pendant cinq ou six mois. Les médecins l’envoyèrent ensuite aux eaux de Bourbon-Lancy, où j’étais allée de mon côté, et où Mme de Brionne m’avait fait supplier de la surveiller pour son régime et de la chapitrer pour le surplus. J’y perdis mon temps, mes paroles et ma patience, car elle ne mangea que des raves, et ne voulut jamais boire autre chose que du lait de beurre : voilà pour le régime ; et quant au surplus, elle ne voulut jamais aller faire une visite qu’elle aurait dû rendre à la Présidente Molé[4], parce qu’elle avait la peau trop jaune et qu’elle lui faisait mal à voir, me disait-elle en faisant des bâillemens désordonnés. Les bâillemens sont toujours épidémiques, et surtout auprès de Mme de Vaudémont ; mais ils sont véritablement endémiques à ces tristes eaux de Lancy, comme à toutes les autres fontaines thermales de la Bourgogne. On dirait que c’est une malédiction du dieu des raisins contre les buveurs d’eau !

Je m’étais informée sur les lieux de ce que c’était effectivement que la famille de Mme de Sillery[5]. J’appris par les gentilshommes cancaniers et les caillettes du pays que Messieurs du Crest étaient assurément desgens de condition, qu’ils étaient originaires de Savoie, et qu’on avait fait preuve de huit quartiers de noblesse pour Mme de Sillery, que son père avait fait recevoir Chanoinesse dans un des chapitres du Lyonnais. Les plus anciens buveurs d’eaux minérales et les vieilles femmes les plus rhumatisées se souvenaient encore de l’avoir entendu nommer dans son enfance « la Comtesse Félicité de Lancy », parce que son père était Seigneur et Patron de cette petite ville. Il était encore Seigneur haut justicier de Saint-Aubin-sur-Loire ; mais parce que sa femme et lui auraient dévoré deux royaumes, tous les droits utiles de ces deux seigneuries étaient engagés par eux pour quatre-vingt-dix-neuf ans. Ils n’en avaient conservé que l’encens et les prières nominales qui ne leur profitaient pas à grand’chose, le pain bénit qui ne les rassasiait guère, et l’eau bénite qui ne leur suffisait pas.

On a dit et publié (par animosité contre Mme de Sillery) que sa mère avait eu l’indignité de lui faire jouer de la harpe a des concerts publics, et qu’on les faisait venir à nos soirées moyennant rétribution, ce qui n’est pas vrai le moins du monde. D’abord aucune personne comme il faut n’aurait voulu participer à cet avilissement d’une famille noble et d’une fille de condition ; ensuite Mme du Crest avait deux fortes pensions sur les états et le clergé de Bourgogne, sans compter l’argent qu’on allait solliciter pour elle et qu’on obtenait toujours de M. le Prince de Condé, gouverneur de sa province. À ma connaissance, et jusqu’au mariage de sa fille, au moins, elle n’a jamais dépensé dans une année moins de quinze à dix-huit mille francs honorablement perçus. Enfin, son caractère était justement l’opposé d’une pareille conduite ; et quand nous avions donné quelque bagatelle à sa fille, elle ne manquait jamais de faire apporter chez nous un panier du crû de Montrachet, que nous appelions, à cause de cela, le vin des États de Bourgogne. — Vous me ruinez, nous disait-elle, avec vos cadeaux ; et si vous avez compassion de moi, ayez la bonté de ne jamais nous en faire !… À tout prendre, c’était bien la plus spirituellement imprévue, la plus naturellement étrange et la plus divertissante créature que j’aie jamais rencontrée. Sa fille ne lui rendait pas justice et n’était frappée que de ses bizarreries dont elle avait à souffrir ; mais si cette pauvre femme avait eu le bonheur d’épouser un homme raisonnable, elle aurait été sur le pinacle des réputations en fait d’esprit et d’originalité piquante. Un autre inconvénient de cette position, c’est que Mme de Genlis en est restée tout inclinée vers le pédantisme et la pédagogie. Sitôt qu’elle a taillé sa plume, elle devient gourmée, didactique et prêcheuse ; mais c’est seulement dans ses livres, car elle est toujours bien autrement aimable et spirituelle en parlant qu’en écrivant. Jamais un auteur n’a moins ressemblé à ses ouvrages ; jamais femme d’esprit n’a fait plus de sottises ; mais aussi jamais femme intrigante ne s’est trouvée plus déçue, et jamais femme orgueilleuse n’a été si décriée ni si diffamée que Mme de Sillery !

— Mon Dieu ! me disait-elle une fois, moitié ricanant et pleurnichant, excepté la Marquise de Brinvilliers, je ne crois pas qu’il y ait jamais eu femme de condition dont on ait dit autant de mal que de moi !

— Allons donc ! vous êtes bien de votre province avec la Brinvilliers ! lui répondis-je, enflammée de courroux aristocratique et possédée par le démon de l’orgueil nobiliaire ; la Brinvilliers n’était pas autre chose qu’une bourgeoise dont le mari avait acheté le domaine utile de ce marquisat de Brinvilliers. C’était le Prince de Conty qui en était resté titulaire, et son fils en prend encore aujourd’hui la qualité dans tous ses contrats.

— Je n’avais pas vu cela dans les Causes célèbres

— Mais la belle autorité que vos Causes célèbres, où tous les arrêts sont dénaturés et tous les noms estropiés ! Voyez en quels termes et de quel air du haut en bas Mme de Sévigné parle de cette femme. Faites-vous montrer au greffe du Parlement les pièces de son procès, et vous verrez si la Brinvilliers était ce que vous appelez une Marquise !

— Ce que vous dites là me fait bien de la peine, répondit la Marquise de Sillery en éclatant de rire, et voilà que vous me reprochez mon ignorance, au lieu de compatir à mon affliction… Je serais bien fâchée d’être aussi savante et aussi peu sensible que vous !

— Il est vrai, lui dis-je en riant à l’unisson, que je viens de vous faire une sortie bien intempestive et passablement extravagante ! mais chacun a ses manies ou ses infirmités. Que voulez-vous ? j’entre toujours en colère et j’étouffe de rage aussitôt que j’entends donner à la femme de maître Jean Gobelin, conseiller à la Table-de-Marbre et seigneur du marquisat de Brinvilliers, le même titre qu’à moi !…

J’en reviens à Mme du Crest de Lancy, qui m’a toujours paru non moins spirituelle et bien autrement divertissante que sa fille.

Elle était revenue dans son domaine engagé, pour y prendre les eaux minérales, et pour le moment elle s’appelait Mme la baronne d’Andelot. Nous la trouvâmes établie au coin d’un bois, sous un grand arbre, où elle s’était fait construire une hutte en feuillage. Elle était assise sur un siège de mousse et de fougère ; elle y mangeait sa soupe dans une grande coquille avec une petite cuillère de buis ; la bergère qui la servait était une bourbonichone de huit à neuf ans, et l’on voyait dans un coin de la cabane un jeune agneau blanc, qui était attaché par un vieux ruban rose à la branche d’un arbre. La Baronne avait pour son compte, une pelisse de satin gris garnie de fourrure, un bonnet à papillons sous une coiffe noire, un pied de rouge, un grand éventail de la Chine, et les pieds sur un manchon. Je crois me souvenir aussi qu’elle avait sur la tempe un de ces grands emplâtres sympathiques en taffetas gomme qu’on faisait border avec des pointes d’acier ou de petits grenats, ce qui, de toutes les modes de la régence, était sans contredit la plus extravagante (à mes yeux du moins).

— Est-il possible que vous couchiez ici ! m’écriai-je.

— Mais pourquoi donc pas ? dit-elle ; on est toujours dans l’innocence et la paix, l’abondance et la perfection, sous la feuillée !… Vous avez un défaut que j’ai bien de la peine à vous pardonner, c’est que vous n’aimez pas assez l’églogue et la bucolique !

Elle nous dit ensuite que ce bon ménager de M. du Crest avait fait abattre leur château de Lancy pour en vendre les briques et les boiseries. — Je vous dirai que j’ai l’horreur des puces et des punaises, ajouta-t-elle, et voilà pourquoi je n’ai pas voulu me loger dans ma petite ville de Lancy, où je n’aurais pu fermer l’œil. Voulez-vous que je vous fasse bâtir une jolie cabane à côté de celle-ci ?

— Non pas, s’il vous plaît, lui répliquai-je ; j’ai l’horreur des couleuvres et des crapauds !

— Comment donc cela ? s’écria Mme de Vaudémont ; est-ce qu’il y a des crapauds ici ?… Je veux m’en aller ! je veux m’en aller tout de suite !

— Partez, Princesse ! allez, lui répondit Mme du Crest, en lui riant au nez de tout son cœur.

— Voulez-vous me prêter votre agneau ? lui dit cette étrange Vaudémont avec un sérieux inconcevable ; si vous voulez me le prêter, je vous le renverrai demain matin par mon Écuyer, qui est très soigneux. — Il est très soigneux, Vauménil.

— Oh ! je ne puis pas, lui répondit l’autre en manœuvrant de son grand éventail ; je n’ai pas ici d’autre société que celle de mon tendre agneau ! J’en ai besoin pour ma promenade du matin ; la petite fille que vous voyez là est bête comme une oie, et puis d’ailleurs elle est sourde et muette (ce qui était vrai). Ensuite elle se mit à chanter :

Les soins de mon agneau m’occupent tout entière,
C’est de mon seul agneau que dépend mon bonheur.

Quand j’ai trouvé pour lui quelque fontaine claire,
S’il est content, s’il est content,
Rien ne manque à mon cœur !
Rien ne manque à mon cœur !

Pendant tout le reste de la conversation, qui fut également solide et sensée, Mme de Vaudémont s’était éprise d’un tel enthousiasme pour Mme du Crest que, plus de vingt ans après, elle me disait encore à propos de Mme de Genlis : — Elle n’approchera jamais de sa mère, qui était une femme supérieure s’il en fut jamais, celle-là ! une femme de tête, qui n’en faisait jamais qu’à sa fantaisie, et qui ne s’embarrassait guère du qu’en dira-t-on !… On est bien heureuse d’avoir un caractère comme ça ! Vous souvenez-vous comme elle était joliment aménagée dans un taillis avec une petite sourde et un coquillage, qui lui servaient de femme de chambre et d’assiette ?

— Ne vous rappelez-vous pas aussi qu’elle avait un agneau, lui dis-je, un agneau blanc ?

— Voilà, par exemple, me dit elle, une chose dont je ne me souviens pas du tout ; j’en ai tant vu depuis ce temps-là, des moutons blancs !… Mais comment se fait-il que vous vous en souveniez si bien, vous qui n’aimez pas les bêtes ?…

Ma nièce de Matignon, à qui j’avais conté l’histoire et qui nous écoutait, en partit d’un tel éclat de rire qu’elle en fit scandale, et que la Princesse de Vaudémont s’en fâcha sans savoir pourquoi.

C’est en compagnie de Mme du Crest que je vais m’en aller faire une excursion, une petite pointe en avant, comme on dirait, en écartant les mois et les années jusqu’en 1778. Je reviendrai sur mes pas afin de vous dire un mot sur M. le duc d’Orléans (fils du régent), qui venait de mourir dans une petite chambre à l’abbaye Sainte-Geneviève, où il s’était retiré pour y fulminer des anathèmes contre les juifs et les comédiens. Nous sommes censés à l’époque où fkorissait Mme de Montesson, sœur de Mme du Crest, côte à côte avec le quatrième Duc d’Orléans, père de Philippe-Égalité.

Quoique je n’eusse aucune relation familière avec le Palais-Royal, non plus qu’avec la coterie des encyclopédistes, ils imaginèrent de se servir de moi pour acquérir la protection du Duc d’Orléans. J’avais su que Dalembert était allé trouver la femme du Marquis de Sillery pour l’engager à solliciter Mme la Duchesse de Chartres, afin qu’elle voulût bien s’interposer entre M. le Duc de Penthièvre, son père, et le philosophe Condorcet. Il lui toucha quelques mots (Dalembert à Mme de Sillery) sur la convenance et l’utilité d’un traité d’alliance offensive et défensive, à condition qu’elle ne cabalerait pas avec les dévots, et sur toute chose, à condition qu’elle ne s’attaquerait jamais aux écrivains de l’Encyclopédie. M. de Schomberg avait prévenu Diderot que Mme de Sillery se préparait à écrire contre eux, ce qui les effraya beaucoup, à cause de l’opinion du grand monde et de la cour du Palais-Royal dont Mme de Sillery était devenue l’oracle, et surtout à cause des Évêques et des parlementaires qui n’attendaient qu’une occasion pour instrumenter contre l’Encyclopédie. En outre, ils auraient voulu capter en sa personne la nièce de Mme de Montesson, qui avait épousé le Duc d’Orléans, secrètement à la vérité, mais le moins secrètement qu’elle avait pu.

Dalembert alla jusqu’à proposer à Mme de Sillery de la faire recevoir de l’Académie française, avec Mme de Montesson, Mme d’Angivillers, Mme Necker et moi (par-dessus le marché). Nous lui aurions servi de satellites, et, pour ainsi dire, d’encadrement. Me voyez-vous sur la même ligne que Mme de Montesson, qui était la plus ridicule personne du monde et la fille d’un capitaine négrier ? que Mme d’Angivillers, veuve d’un valet de chambre du Roi ? et que Mme Necker, née Churchod ?

Lorsque le Commandeur de Villeneuve était venu me faire part de ce beau projet, je l’avais tourné tellement en dérision que mon nom fut aussitôt rayé de la liste des candidates à l’Académie française. Mmes de Montesson et d’Angivillers ne manquaient ni d’une certaine habileté ni de prétentions. Mme Necker avait assez de vanité, j’espère ! et malheureusement pour la France elle avait alors assez de crédit pour y faire opérer des innovations qui pussent tourner à son profit ou son agrément personnel. Enfin les encyclopédistes avaient compté sur l’appui du Duc d’Orléans, à qui des honneurs académiques rendus à Mme de Montesson, qui l’avait ensorcelé, auraient paru la chose du monde la plus délicieuse ; et si le projet qu’ils avaient conçu doit paraître bizarre, on est obligé de convenir qu’il n’était pas inexécutable. J’ai su par Mme de Genlis qu’après une heure et demie d’insinuations philosophiques d’une part, et d’argumentations religieuses de l’autre, Dalembert avait fini par dire à Mme de Genlis, avec un air contraint : « Vous aurez toujours la grâce de votre côté, Madame, mais vous n’aurez pas la force. » — Monsieur, répondit-elle en souriant, les femmes n’en ont pas besoin. Dalembert composa quelques mois après, sous le nom de l’Abbé Rémy, le premier pamphlet qu’on ait publié contre les ouvrages et la personne de Mme de Genlis.

À propos des Montesson, je vous dirai qu’ils se donnaient des airs de traditions séculaires et de rancune héréditaire contre votre maison, en disant toujours que les Montesson et les Créquy étaient ennemis jurés, ce que personne ne pouvait comprendre et ce qui faisait rire tout le monde à leurs dépens. — Eh ! vraiment, nous dit un jour la vieille Comtesse du Guesclin, qui était Créquy, je me souviens très bien de leur affaire avec nous autres, et vous allez voir qu’ils ont grand tort de s’en souvenir. Elle nous dit alors qu’à l’époque où le pillage des titres s’était établi parmi la noblesse du deuxième et du troisième ordre, l’aîné des Montesson s’était emparé du titre de Marquis, que le Parlement lui fit quitter la première fois qu’il se trouva mis en cause. Je crois vous avoir dit que le dernier Maréchal de Créquy était horriblement bourru (sans être bienfaisant), et voilà qu’un jour de bataille, un jeune officier lui vint apporter une lettre dont l’écriture et la signature étaient indéchiffrables.

— Comment s’appelle le diable qui a griffonné ceci ? dit le Maréchal en jurant.

— Monsieur le Maréchal, répondit l’officier d’un ton suffisant et pleinement confiant, c’est le Marquis de Montesson, mon père et votre ami.

— Monsieur de Montesson n’est ni marquis, ni votre père, ni mon ami, répliqua le Maréchal avec une férocité dont votre grand-père et mon fils n’auraient jamais été capables. Et ce qu’il y a de curieux, c’est que j’en étais restée solidaire envers les Montesson, qui croyaient toujours que je devais les détester. Défiez-vous de ces gens-là, s’il en existe encore et si vous les rencontrez jamais[6].

En fait de belles acerbités de notre François premier du nom, en voici deux que je tiens de Mme de Coulanges, et que je ne veux pas laisser perdre. Mme de Coulanges les tenait de sa vieille tante, Mme de Choisy, la mère de cet Abbé Comtesse des Barres, et ceci nous ramène au jeune temps du Maréchal de Créquy, qualifié pour lors Duc de Lesdiguières ou Prince de Poix, car il avait porté ces deux noms avant la mort de son grand-oncle Charles II. Toujours est-il que le Cardinal de Richelieu se trouvait en grande compagnie sur un échafaudage élevé dans le port de Marseille, afin d’y voir lancer à la mer un vaisseau de l’amirauté ; il venait d’avancer la main pour soutenir ce jeune garçon qui marchait pour s’en aller, en riant aux anges, et qui venait de trébucher sur les bords de l’échafaud. — Grand merci, Monsieur, lui dit ce petit crêté, et d’autant, plus que je suis la seule personne de qualité que vous en ayez fait descendre.

— Holà ho ! mon beau page sans barbe, lui dit la terrible Éminence, êtes-vous encore ou déjà Connétable de Lesdiguières pour être si haut à la main vis-à-vis d’un prêtre ?

— J’ai là vos deux cousins de La Porte, qui sont mes pages, et je ne le suis de personne, lui répliqua l’autre ; mais voici mon oncle l’Archevêque, qui vous répondra pour le mieux. — J’y vais, j’y vais, cria-t-il à son gouverneur. — C’était M. le Cardinal avec qui j’étais en civilités sur le fait des gentilshommes et des échafauds.

— Bien lui valut de n’être qu’un écolier, disait Mme de Coulanges, et sa pauvre mère en frémissait encore au bout de quarante ans, après la mort du Cardinal.

L’autre histoire de Mme de Coulanges était que la Reine Anne d’Autriche parlait un jour de tout ce qu’elle avait souffert pendant sa première grossesse, c’est-à-dire celle de Louis XIV, qui n’avait, disait-elle, fait autre chose que de la trépigner comme un enragé. — Il est fils du Roi Louis XIII, se prit à dire M. de Poix ; il avait de qui tenir pour donner des coups de pieds dans le ventre à sa mère… Pour en finir avec toutes les sorties de ce Maréchal, je vous en vais rapporter une que je crois inédite et que mon oncle de Froulay tenait du bonhomme la Quintinie, lequel avait été présent à cette espèce de scène. Vous saurez donc que le Maréchal de Créquy se trouvait un jour à côté du Roi Louis XIV sur la grande Serrasse du château de Versailles, et que c’était par un temps sauvage.

— Ne vous rappelez-vous point, Messieurs, dit S. M., qu’en place de cette belle façade il y avait jadis un moulin à vent ? — Si le moulin a disparu, le vent est resté, répondit le maréchal. — Couvrez-vous mon Cousin., répliqua vivement S. M. Pour vous garantir des fluxions, il ne suffit pas des lauriers que vous avez rapportés de Kochberg et de Fribourg. Mettez votre chapeau ; je vous l’ordonne. Le Maréchal n’en voulut rien faire ; il objecta brusquement qu’il n’était ni plus décrépit ni plus grand Seigneur que son cousin le Duc d’Albret ; que ce serait lui donner un ridicule à tout jamais, si personne autre que le Roi et lui n’étaient couverts, et qu’il n’en resterait pas moins chapeau bas si M. d’Albret ne se couvrait point, ainsi que M. le Duc de la Meilleraye, ajouta-t-il en se retournant et s’inclinant avec une méchanceté cruelle. — Je n’aime que les beaux pays et des anciens châteaux, poursuivit-il en rûchonnant ; vous aurez beau faire avec votre Versailles, ce ne sera jamais qu’un favori sans mérite.

Rentrons au plus tôt dans le cycle solaire et les indictions de l’année 1752, où Mathieu Laensberg avait prédit qu’il mourrait un grand de la terre en état d’enfance et d’infirmité mentale.

Le Duc d’Orléans, neveu de Louis XIV et Régent de France, était mort à 49 ans dans la décrépitude ; Son fils mourut, à 48 ans et quelques mois, dans un état d’affaiblissement complet du corps et de l’esprit. Il avait toujours été nigaud, bigot, maniaque et souffreteux, brèche-dent, caliborgnon, punais. (Il avait eu pour femme une petite princesse de Baden, qui en était morte à la peine.) Il était devenu follement scrupuleux et risiblement pédant.

Après avoir appris quelques mots de grec, on lui persuada sans difficulté qu’il était un savant helléniste, et après s’être donné bien de la peine pour apprendre à lire, tant bien que mal, l’alphabet de la langue hébraïque, il se crut un fameux docteur, un père de l’Église, un saint Grégoire dé Nazianze. Il avait mis sur la liste de ses pensionnaires un ou deux cuistres, au nombre desquels était un M. Ladvocat, dont les flagorneries achevèrent de lui brouiller la cervelle.

Imaginez que, pour édifier son monde au Palais-Royal, il se rendait de sa chambre à sa chapelle en se traînant à genoux sur les parquets. Lorsqu’il rencontrait dans les rues de Paris le saint Viatique, il descendait de son carrosse et s’agenouillait, ce qui jusque-là n’aurait eu rien d’étonnant, puisqu’il n’aurait fait que se conformer à l’usage de nos princes, mais c’est qu’il voulait ensuite accompagner le Saint-Sacrement chez tous les malades ; il entrait dans leurs chambres avec le confesseur et les saintes huiles ; il se mettait à leur débiter des homélies. (On leur disait que c’était Monseigneur le Duc d’Orléans.) Les uns s’en impatientaient, les autres en avaient peur, et le plus grand nombre en étaient surpris et distraits au point d’en inquiéter les parens chrétiens et tous les ecclésiastiques ayant charge d’âmes. M. l’Archevêque en porta plainte au Cardinal de Fleury, et le Roi se crut obligé de lui défendre expressément d’aller s’impatroniser de la sorte au chevet des pauvres mourans pour les prêcher sans mission, avec une ardeur de zèle aussi peu profitable à la sanctification des âmes qu’à la santé corporelle.

Ce fut un grand coup d’échec qui décida M. le Duc d’Orléans à se retirer tout-à-fait du monde, et jusqu’à sa mort il en a tenu constamment rigueur à S. M. Il alla bientôt s’établir dans un vilain petit réduit qui touchait d’un côté à l’église de Saint-Étienne-du-Mont, et qui communiquait de l’autre à la vieille église de Sainte-Geneviève. Il se fit pratiquer des trouées aboutissantes à deux tribunes qu’il fit construire dans les deux églises ; il ne voulait plus sortir de là, sinon pour assister à son conseil, qu’il faisait tenir dans une salle basse de l’abbaye de Sainte-Geneviève ; il y passa dix-neuf années consécutives, et à l’époque de sa mort il y avait bien sept à huit ans qu’il n’avait remis les pieds chez le Roi, ni dans le Palais-Royal d’Orléans, ni dans aucune autre habitation de son apanage. On n’aurait pas imaginé ce qu’il y pouvait faire ; mais de temps à autre on voyait pointer une lettre édifiante en forme de relation niaise et boursouflée qui soulevait un coin du voile, et l’on apprenait que S. A. S. mettait habituellement de l’eau dans sa soupe sous prétexte de la refroidir, mais, en effet, par un principe de mortification[7]. Une autre fois on avait la satisfaction d’être informé par la même voie que ce grand Prince avait eu la générosité d’acquérir la fameuse recette du sieur Briochat contre les punaises, et celle du Roi de Bénin contre la morsure des scorpions ; ce qu’on allait publier incessamment dans l’intérêt des sujets français. — Méridionaux, ajouta la Reine de France, au sujet des scorpions. Il avait griffonné pour le moins quarante volumes de rapsodies sur le Késouch Emouna, sur les Exaples et sur la Chaîne du Père Cordier, sans compter des paraphrases et des dissertations sur la Somme de saint Thomas, avec des écritures à n’en plus finir contre les spectacles et les bals masqués. On voit qu’il se penchait et qu’il avait versé d’un autre côté que M. son père. Il avait légué tous ces beaux ouvrages au couvent des jacobins de la rue Saint-Dominique ; mais ces bons religieux lui ont rendu le service de n’en pas faire imprimer une ligne. Enfin sa manie prédominante était de ne pas vouloir accorder ni se laisser dire que personne fût mort. Ses gens d’affaires en étaient souvent embarrassés, et tout le monde a su comment il avait fait une scène à M. de Silhouette, son chancelier, parce que celui-ci avait osé parler devant lui d’une réclamation de feu Monseigneur le Régent contre le feu Roi d’Espagne.

— Qu’appelez-vous, Monsieur, le feu Roi, le feu Duc d’Orléans ?… Que voulez-vous dire avec ce mot feu ? Ces deux Princes ne sont point morts, Monsieur ! Il n’y a de mort en eux que leur enveloppe charnelle ; leur âme n’est point morte et ne mourra jamais ! Prenez garde à ce que vous direz contre l’immortalité de l’âme en ma présence, et sachez bien que si je vous entends blasphémer de la sorte encore une autre fois, je ne me contenterai pas de vous éloigner de mon conseil, mais j’irai vous dénoncer moi-même au Procureur-Général, à M. le Cardinal, au Roi, s’il le faut, au Roi lui-même !

Il est assez curieux que cette étrange manie de M. le Duc d’Orléans se soit propagée sur une de ses nièces, Mademoiselle de Sens, à qui l’on n’osait jamais remettre ses lettres et billets, parce qu’il y avait toujours à craindre qu’ils ne lui apprissent la mort de quelqu’un, n’importe qui. Aussi brûlait-on journellement ses lettres et sans les ouvrir, à moins quelles ne lui fussent adressées de par le Roi, ce qui n’arrivait pas souvent. On n’y faisait chez elle aucune sorte d’exception, pas-même pour les billets de M. le Duc de Bourbon, son frère, lequel en témoignait souvent de l’impatience.

Mademoiselle de Sens avait eu pourtant la précaution d’ordonner qu’on lui présentât certaines lettres où l’on verrait des poissons sur le cachet. C’était dans la flatteuse espérance de recevoir quelques mots bienveillans de Madame de Pompadour, dont les armes parlantes étaient, comme on sait, trois poissons d’or en champ d’azur ; mais cette favorite était morte depuis long-temps avant qu’on eût osé l’annoncer à la Princesse.

Il arriva la plus singulière chose du monde à ses funérailles, où tout le monde affirmait qu’elle avait remué les bras et levé les mains pour se moucher pendant tout le temps qu’elle fut exposée sur son lit de parade. Il se trouva que c’était une manœuvre de femmes de chambre, afin de ne pas laisser gâter les beaux habits dont on avait revêtu son cadavre, et parce qu’elle était morte d’un abcès au cerveau qui lui coulait par le nez. Une de ses filles de garde-robe était cachée derrière le catafalque, et passait de temps en temps, sous le beau peignoir de dentelle de sa maîtresse, une main gantée qui tenait un mouchoir ; et puis elle essuyait le visage de la défunte, afin de remédier autant que possible à cet inconvénient qui mettait les héritières de sa garde-robe au désespoir. On disait que rien n’avait été d’un plus étrange effet que cette vision, dont le peuple de notre quartier n’a jamais voulu recevoir, accueillir, ni même écouter aucune explication raisonnable. Mlle Dupont vous dira quand vous voudrez que la vieille Princesse de Sens avait beau faire signe que son mal était dans sa tête, qu’on n’a pas eu l’air d’y prendre garde et que le Docteur Bouvard l’a fait enterrer vivante. Était-ce opiniâtreté pure et simple ? était-ce excès de méchanceté ? Voilà tout ce qui reste en discussion. Mlle Dupont ne doute pas que ce ne fût par malice[8].

Les erreurs favorables, si nombreuses qu’elles soient, font encore moins de dupes que la malveillance, et, du reste, on revient toujours des premières avec facilité. Vous avez pu remarquer que ladite demoiselle Dupont ne manque pas d’esprit naturel, et je me souviendrai toujours d’une réponse qu’elle osa faire à l’Évêque de Ruremonde en sortant du catéchisme. — Mon enfant, qu’est-ce que vous portez là ? lui demanda-t-il. (Elle avait une image encadrée dans la main avec 9 ou 10 ans sur la tête.) — Ah ! ah ! c’est un portrait de M. Vincent ? reprit le vieux janséniste. C’est un bel objet que votre M. Vincent ! — Mais, Monseigneur, il est aussi vénérable que votre M. Pâris, et pour le moins ! lui répliqua-t-elle avec autant d’équité que de présence d’esprit.

Je vous préviens que tous les quesnellistes en sont restés là sur le Bienheureux Vincent de Paul, dont ils ne veulent jamais admettre ni la sainteté ni la canonisation. Ils ne sauraient lui pardonner sa déclaration contre l’Augustinus, et si vous en voulez faire l’épreuve, il est suffisant d’en parler avec le premier venu des jansénistes : vous verrez qu’il en est encore à monsieur Vincent.

Les seules personnes avec qui le Duc Louis d’Orléans fût resté en relations plus ou moins fréquentes étaient le Marquis de Paulmy, à qui ce prince écrivait continuellement pour le questionner, parce qu’il était (M. de Paulmy) père temporel des capucins de Paris, c’est-à-dire administrateur de leurs maisons, du produit de leurs quêtes et du reste de leur pécule[9]. M. de Paulmy lui répondait toujours qu’il n’entendait rien à la théologie, et ceci n’empêchait pas le Duc d’Orléans de lui soumettre encore des problèmes tels que ceux-ci, par exemple : « La Grâce est-elle chrétienne ? et comment faut-il « entendre la maxime de saint Paul : Il vaut mieux se marier que de brûler ? » — Remariez-vous, lui répondait M. de Paulmy. Mais ceci n’aurait pas fait le compte de notre pédant, qui ne voulait qu’argumenter sur la Vulgate et la version des Septante.

L’autre confident de ce Prince imbécile était le vieux Duc d’Aumont qui faisait le puriste, et auquel il ne manquait jamais de soumettre toutes sortes de difficultés grammaticales. (En fait de beaux parleurs, je me souviendrai toujours d’un huissier de la chambre du Roi qui disait un jour à mon fils, lequel avait failli se trouver mal et s’appuyait contre un pilastre du lit de S. M. : — Je vous observé, Monsieur le Marquis, que vous profanisez la chambre du Roi. — Monsieur, lui dit votre père, en reprenant sa vivacité naturelle avec son aplomb, je ne manquerai pas de préconer votre zèle auprès de M. le Duc d’Aumont. On n’a jamais rien vu d’aussi ridiculement prétentieux que ce premier Gentilhomme de la chambre, dont le Maréchal de Richelieu, son collègue, se raillait à la journée. Indépendamment de sa recherche habituelle en fait d’expressions techniques et de périphraséologie scientifique, c’était encore un amateur effréné pour les curiosités de bric-à-brac et pour toutes sortes de vieilleries ; mais bien qu’il eût acheté quatre colonnes de stuc pour du marbre antique, et bien qu’il eût payé des morceaux de verre de couleur pour des pierres précieuses, il ne s’en croyait pas moins un habile archéologue. Il avait une double voix du haut en bas, d’abord aiguë, perçante et criarde, et puis sourdement étouffée, ce qui faisait dire au Duc de Noailles que, pendant que sa mère était grosse de lui, elle avait eu envie de la machine de Marly ; et du reste il était horriblement négligé dans sa toilette, à dessein d’avoir la mine d’un savant. Le Maréchal de Richelieu lui disait un jour : — Duc d’Aumont, Dieu t’a fait bon gentilhomme et le Roi t’a fait Duc et Pair ; M. le Duc de Bourbon t’a fait cornard, et c’est Mimi la Duchesse d’Orléans qui t’a fait faire cordon-bleu. C’est moi qui t’avais fait et reçu Chevalier de Saint-Louis, à telle enseigne que je t’ai embrassé ce jour-là, mon bon ami ! fais donc quelque chose pour toi, fais-toi la barbe.

  1. Catherine de Newckerke de Nywenheim, femme d’un riche armateur hollandais. Elle a épousé un des frères Champcenets en secondes noces, et je crois bien qu’elle vit encore. (1801).
    (Note de l’Auteur.
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  2. Louise Auguste-Élisabeth-Marie-Nicolette-Brigitte Montmorency-Logny, née à Termunde en 1763, mariée À Versailles en 1778, morte à Paris en 1833.
  3. On peut supposer que l’auteur a voulu parler ici de la Princesse Charlotte de Rohan-Rochefort, veuve de M. le Duc d’Enghien, son cousin-germain. On dit que M. le Prince de Condé et M. le Duc de Bourbon, son fils, ne demandaient pas mieux que de reconnaître son mariage, mais que cette Princesse s’y est toujours refusée, pour ne pas se trouver assujettie à une étiquette trop sévère en qualité de Princesse du sang.
    (Note de l’Éditeur.)
  4. Bonne Bernard, fille du fameux Samuel Bernard, et femme de Mathieu-François Molé, Président au Parlement de Paris.
  5. Stéphanie-Félicité-Julie du Crest de Lancy, d’abord Comtesse de Genlis, ensuite Marquise de Sillery, et gouvernante des enfans d’Orléans. Elle a repris son premier nom de Genlis à son retour de l’émigration, suivant la coutume de sa folle de mère qui se faisait appeler et annoncer, tantôt Mme du Crest, ou Mme de Lancy, ou Mme de Saint-Aubin et finalement. Mme d’Andelot. Elle était sœur utérine de Mme de Montesson, qu’elle exécrait et qui le lui rendait libéralement. M. de Sillery, du nom du Bruslard, était le descendant et l’héritier de Nicolas Bruslard, Marquis de Sillery et de Puysieux, Chancelier de France et de Navarre sous le règne de Henri IV. Il n’avait pas hérité de la capacité de son aïeul, et n’avait d’autre volonté que celle de sa femme. Il était devenu le confident et l’agent de Philippe-Égalité, qu’il a suivi sur l’échafaud. On dit alors qu’il s’était confessé dans la prison de la Conciergerie à l’abbé Fauchet qui avait abjuré ses erreurs, et dont il reçut l’absolution ; mais toujours est-il qu’il est mort en criant : Vive la République ! exemple, qui fut suivi par les autres girondins, ses consorts. Je n’ai pu m’expliquer ni comment ni pourquoi cet orléaniste avait été classé parmi les utopistes de la Gironde.
    (Note de l’Auteur.)
  6. « Ne sont-ils pas des gens de qualité ? me disait un jour Madame. — Oh ! des gens de condition, tout au plus, répondit Monsieur. Ils descendent de la vieille Dallard, nourrice de Louis XIV, à qui la Reine-Mère avait donné la seigneurie de cette petite paroisse de Montesson qui est auprès de Versailles ; et quant à ces Girardins qui soutiennent votre adversaire M. Lejeune, je vous dirai qu’ils tirent leur origine d’un paysan d’Argenteuil dont il est question dans l’Abbé Lebœuf, tome IV, page 16. Il fut assassiné par les Huguenots ; ett c’est le plus beau de leur histoire. De quoi se mêlent-ils, à propos d’héraldique et de généalogies ! »
    (Extrait d’une lettre du Mis de Créquy, fils de l’Auteur.)
  7. Voyez l’abbé Ladvocat, Dictionnaire historique portatif ; Moréri, art. Louis ; le Prince vertueux ; le supplément aux Nouvelles de Paris, etc. Voyez également un éloge officiel de ce prince, à la fin de ce IIIe volume.
  8. Le nom de Mlle Dupont reviendra souvent dans la partie de ces Mémoires qui se rapporte à la révolution française et à l’époque de la terreur. On verra qu’elle était la femme d’un valet de chambre de Mme de Créquy, et tante de la célèbre Mme Roland.
  9. Antoine-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, Marquis de Paulmy, Chancelier garde-des-sceaux et grand’croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, l’un des 40 de l’Académie française, etc. C’était un savant très gauche, un entêté bibliomane, et du reste un très digne homme. Il a marié sa fille unique, Adélaïde-Geneviève de Voyer, au Duc de Luxembourg, ce dont il est résulté deux enfans, savoir : une fille mariée avec Don Louis de Portugal, Duc de Cadaval, et un fils qu’on élevait à l’Arsenal, chez M. de Paulmy, son grand-père, où il a passé toute son enfance habillé en capucin. C’est le Duc de Luxembourg d’aujourd’hui. Vous ne vous en seriez sûrement pas douté ; mais je ne doute pas qu’il ne s’en souvienne.
    (Note de l’Auteur, 1802.)