Texte établi par Vicomte du Couëdic de Kergoualer, Maurice Fleury, E. Paul (p. 115-135).


XVII

Installation à Longwood.
Description de l’île.


La porte de Longwood, qui se trouve bien loin de l’habitation, se présentait fort garnie de soldats, ce qui ne me plut guère. Les sentinelles étaient placées à distance, tout enfin sentait la prison d’une lieue.

Je pris possession de mon appartement : c’était une grande pièce attenant à la salle à manger ; de plus, un cabinet et une petite antichambre.

L’Empereur arriva peu après nous, à cheval ; nous allâmes au-devant de lui. Il visita d’abord la maison, et chacun fut chez soi se préparer pour le dîner.

Mais avant de parler de Longwood, je dirai quelques mots de l’île, que je n’ai pas encore décrite.

Elle fut découverte par les Portugais le 18 août, jour de la fête de Sainte-Hélène, d’où elle, prit son nom, il y a deux cents ans. Elle est située à 15°, 55’de latitude sud et à 5°, 49’de longitude ouest de Greenwich, distante de la côte d’Afrique de 900 lieues, et de celle du Brésil de 1,300.

Sa plus grande longueur est de 10 milles 1/2, et sa plus grande largeur, de 6 milles 3/4 ; sa circonférence est de 28 milles anglais, et sa superficie, de 30,300 acres.

La ville, port de James-Town, est située au nord-ouest, entre deux hautes montagnes, celle de Ladder-Hill à l’ouest et celle de Rappert à l’est.

L’ancrage y est sûr et de 8 à 25 brasses ; il peut être pris à la longueur d’un câble du rivage. La population, quand nous sommes arrivés ; n’était guère que de 1,500 âmes, dont 500 noirs ou mulâtres, 500 hommes de garnison et 500 colons.

Cette île est une production volcanique ; ses flancs et ses montagnes, dans de certaines directions, sont sillonnés profondément par les pluies et régulièrement, comme si la charrue y avait passé.


Napoléon dans le jardin de Longwood.

La nature de la terre est calcaire[1], les vallées y sont étroites, les montagnes élevées ; l’île est divisée inégalement par une chaîne de hautes montagnes, de l’est à l’ouest, dans une direction courbée, qui s’incline au sud à chaque extrémité. Des ramifications formant des vallées se détachent dans diverses directions, mais surtout du nord au midi. Le point culminant de l’île est Diana’s Pick ; il se trouve à l’extrémité orientale de la chaîne principale et s’élève à près de 2,700 pieds au-dessus du niveau de la mer. Les autres pics sont : Cuckold’s Point…, 2,672 pieds ; Hulley’s Point…, 2,467. Ces pics, avec celui de Diana, font partie de la même chaîne et sont presque toujours cachés par les nuages. — Puis : Flog’s Stoff, 2,272 pieds ; Ahebrun…, qui penche sur la mer, 2,015 pieds ; Allarm House, situé au centre, 1,960 pieds ; High Knolt, au midi de Ladder-Hill, 1,903 pieds ; Longwood House, où nous étions, 1,762 pieds.

Les hauteurs sont boisées par le cobbaye de l’île (c’est un bois de charpente), le reil wovel, espèce d’ébénier, le string wovel, et aussi par le dog wovel et autres arbres et arbustes indigènes : l’arbre à gomme, dont il y a trois espèces, le commun, le bâtard et le nain, qui ne s’élève qu’à 3 pieds ; sa fleur, ainsi que celle du commun, ressemble à la marguerite ; la feuille du bâtard est plus douce, son écorce est moins gommeuse que celle des autres, ses fleurs forment de petits bouquets. La gomme sort du tronc de l’arbre ; elle est abondante, aromatique, elle s’épanche en liquide d’une saveur douce ; pour l’obtenir, on pose une bouteille qui la reçoit et se trouve remplie en une nuit. Ce bois est bon aussi pour bâtir, mais doit être préservé de l’eau.

Dans les endroits où la terre est végétale, on peut cultiver avec succès les produits de l’Europe et de l’Amérique.

Le gouvernement anglais a cédé l’île, en 17…, à la Compagnie des Indes qui en retire une grande utilité pour la relâche des vaisseaux revenant des Indes et de la Chine, ce qui évite d’aller relâcher au Cap, qui mérite toujours son premier nom de cap des Tempêtes, changé depuis en celui de Bonne-Espérance. Entre le Cap et Sainte-Hélène, la mer est terrible et la navigation dangereuse. Il faut trois semaines pour faire le trajet de Sainte-Hélène au Cap et seulement neuf jours pour le retour, à cause des vents alizés du sud.

La Compagnie admet pour les travaux de la colonie des Tartares chinois que les vaisseaux prennent en contrebande sur le rivage de la Chine. Ils viennent y amasser quelque argent à son service où ils sont bien payés, à raison d’un shelling par jour et nourris.

Lors de notre arrivée, on en fit venir 900. Ils viennent sans femme et ont un campement à part. Leur propre chef est soumis à un supérieur pris dans la Compagnie. Ils font leur cuisine et ne mangeraient rien qui fût préparé par des étrangers ; ils ne savent pas un mot d’anglais, mais ils sont fort intelligents et servent pour toute espèce de travaux au jardin et comme domestiques. Ils sont un peu voleurs et aiment le vin. Leur ivresse est dangereuse ; dans cet état, ils poursuivraient, un couteau à la main, celui qui les y exciterait par quelque querelle. Ainsi que nos Savoyards, lorsqu’ils ont amassé quelque argent, ils retournent dans leur pays ; on les y dépose sur la côte.

Leur gouvernement ne permet pas leur émigration ; si on la connaissait, ils en seraient punis.

Les colons se recrutent parmi les personnes attachées à la Compagnie, qui se marient et s’établissent là. Dans l’isolement de la mère patrie et de toute communication autre que celle du retour annuel de la flotte des Indes, ils sont d’une ignorance qui passe toute imagination ; il n’y a aucune ressource d’éducation pour l’un ou l’autre sexe.

On oblige les noirs à envoyer leurs enfants à l’église. Lorsque j’étais en ville, des fenêtres du salon, je les voyais s’y rendre ; ils étaient habillés proprement, mais on exige qu’ils restent pieds nus, pour les distinguer des blancs et les entretenir dans la soumission. Ces pieds nus formaient un triste contraste avec la robe de mousseline et la ceinture de soie que portaient les filles.

Moins malheureux que dans les autres colonies, ces noirs de l’île étaient cependant encore soumis à une autorité toute exceptionnelle et fort despotique. Ceux qui appartenaient aux particuliers avaient pourtant, en cas de punition, droit d’appel au conseil de l’île, établi sous la direction du gouverneur.

Ce conseil se composait : du gouverneur, président, du lieutenant-gouverneur et de trois conseillers, choisis par la Compagnie des Indes, parmi les plus notables, et nommés par le Roi.

Les punitions exercées contre eux sont : la prison, l’exil à l’Ascension (à 500 lieues de Sainte-Hélène) et les coups de corde ; mais, en général, ils sont traités doucement.

Les colons mangent peu de viande fraîche ; on ne peut tuer de bœuf ou autres bestiaux servant à la consommation qu’avec la permission du gouverneur, et c’est lui qui en autorise les distributions sur demande des intéressés.

On élève abondamment de la volaille : dindes, canards, poulets, et aussi des cochons de lait ; mais tous ces vivres y sont d’une cherté extrême : une dinde coûtait 24 francs et le reste à l’avenant.

Les légumes et les fruits que l’on cultive ne sont pas bons. Il y a des petites pêches d’une espèce dure et de couleur jaune. Nous n’avions aucun de nos beaux fruits d’Europe ni de ceux de l’Amérique, ce qui eût été un dédommagement. Les orangers viennent hauts comme de vrais arbres, mais les oranges n’en sont pas bonnes.

Cependant, tout viendrait sous ce climat ; mais le jardin de la Compagnie, qui aurait dû être le modèle de la culture, était loin d’avoir atteint quelque perfection ; il servait à faire des essais qui, en général, réussissaient, mais l’on en restait là. L’eau ne manque pas, elle demande seulement à être rassemblée et dirigée, ce qui est, je le sais, un grand travail. Il sort de chaque montagne des sources de belle eau ; il faudrait les capter, les rassembler et assurer un courant régulier aux petits ruisseaux qu’elles forment. Il n’y a point de belles cascades, excepté celles de Fisher et celle des Briars.

Une particularité qu’offre cette île, c’est que l’on n’y entend jamais tonner et que l’on n’y voit pas même d’éclairs. J’ai pourtant observé que l’on a entendu tonner le jour de la mort de l’Empereur.

Les habitations sont espacées sur toute l’île ; il y en a quelques-unes d’assez jolies, petites et sans aucune espèce de confort.

Le gouverneur peut habiter le château ou la ville ; il préfère avec raison Plantation-House. Cette habitation est située sur la hauteur du côté sud-ouest de l’île et n’est qu’à 3 milles du port de James-Town ; la maison est distribuée convenablement, ce serait partout une résidence agréable.

À Plantation, ainsi qu’à Longwood, le thermomètre ne s’élève en été qu’à 72° Fahrenheit, et en hiver à 55°. De ce côté de l’île, il y a beaucoup de végétation, de hauts bois ; le chêne y vient à côté de l’oranger arbre. Il y a aussi un jardin cultivé et des serres : entouré de montagnes, l’on domine la mer. La famille Wilkes s’y plaisait beaucoup et préférait y vivre qu’en Angleterre. C’est cette habitation que l’on aurait dû donner à l’Empereur, au lieu de Longwood, situé du côté opposé, où il manque de terre végétale et où il ne vient rien.

Les raisons que l’on donnait pour motiver un tel manque de convenances étaient que, de ce côté-là, il eût été plus difficile de bien garder et que les Français auraient pu prendre connaissance des fortifications de Ladder-Hill. Je crois que la vraie raison était tout simplement que c’était la meilleure maison de l’île et que sir Hudson Lowe, successeur de M. Wilkes, préféra la garder pour lui-même. L’amiral ne s’y était pas établi, lorsqu’il remplaça provisoirement le colonel Wilkes, qui retourna en Angleterre parce que l’arrivée de l’Empereur avait obligé le Gouvernement à reprendre en main l’administration de l’île.

Longwood est situé du côté nord-est de l’île, sur un plateau élevé de 1,762 pieds au-dessus du niveau de la mer. Ce plateau, qui a environ 1,500 acres[2] de superficie, est entièrement couvert de gommiers (gumistree) et domine la mer ; on la voit du côté du Levant sans obstacle ; un des revers tombe à pic, mais à distance. Le gommier, à feuilles rares et courtes, ne donne point d’ombre et il ne vient pas très haut, et pousse chaque arbre à distance de ses voisins comme les plantations d’un verger. Le vent du sud-est (alizé du sud) qui souffle incessamment, venant du Cap et sans que rien en préserve, courbe cet arbre qui pousse ainsi[3]. Je ne puis mieux le comparer qu’à ces arbres de plomb que l’on fait pour les enfants. C’était là notre bois de Boulogne !

Autour de la maison, nous avions un jardin partiellement ombragé par de grands et beaux arbres formant une allée, de ceinture ; le reste en plein soleil et en plein vent ; l’herbe des gazons était toujours jaune. Une haie d’aloès, dont les tiges s’élevaient comme une rangée de piques, formait l’enceinte du côté de la porte d’entrée principale.

C’était à grand’peine que l’on parvenait à faire venir quelques légumes dans ce terrain privé de terre végétale ; néanmoins, quelque aride qu’il fût, il y a sous ces latitudes une telle force de végétation, que l’on pouvait transplanter de grands arbres sans qu’ils périssent, et l’on fit de cette manière des plantations dans un des petits jardins attenant à l’appartement de l’Empereur. Cet emplacement formait deux parterres.

La maison se composait d’un rez-de-chaussée assez grand pour une famille ; mais, pour nous y recevoir, il avait fallu y ajouter des logements. On avait construit à la hâte et fort mal ceux de M. de Las-Cases et du général Gourgaud. Le docteur O’Meara et le capitaine Popleton, qui était à poste fixe à Longwood, logeaient dans les attenances, en retour après les cuisines.

À bonne distance de la maison était placé le corps de garde dont j’ai parlé. Le camp avait été établi dès notre arrivée sur le même plateau, à un quart de lieue de Longwood, sur le champ de Deudword.

Pendant le jour, les sentinelles étaient placées hors de notre vue, excepté une dont la guérite restait sur le revers qui tombe dans la vallée au-dessous de Longwood. Nous l’avions nommée vallée de la Nymphe, en l’honneur d’une jolie personne qui y vivait auprès de son père dans une modeste case[4].

Un coup de canon nous annonçait le coucher du soleil ; on plaçait alors les gardes autour du jardin, assez loin encore de la maison, et, à neuf heures, elles venaient l’entourer tout à fait sous les fenêtres.

Le climat de Longwood est très désagréable, humide et excessivement variable. Ce côté de l’île est exposé, je le répète, au vent du sud-est qui y souffle incessamment, et les deux périodes des pluies, au printemps et à l’automne, sont très malsaines. À peine arrivés, il nous fut facile de comprendre que ce n’était pas plus pour le ménagement de notre santé que pour celui de la liberté dont l’Empereur devait y jouir, que Sainte-Hélène avait été choisie par le cabinet anglais, ainsi que nous l’avait dit l’amiral Keith.

Le temps des pluies nous révéla bientôt le danger de ces latitudes. La dysenterie fit des ravages dans le camp et nous gagna, malgré les ceintures de flanelle que les médecins nous conseillèrent de porter et qu’ils firent prendre à toute la troupe. Les sentinelles qui passaient la nuit dehors étaient par cela même beaucoup plus exposées à cette maligne influence, et la mortalité fut grande ; l’air de la nuit est bien dangereux sous les tropiques.

Nos docteurs nous prescrivaient aussi de ne jamais nous asseoir sur les gazons, quelque secs et desséchés qu’ils fussent ; dans ce climat, les maladies deviennent promptement inflammatoires, un léger refroidissement peut être mortel et vous enlever en trois jours. L’extrême chaleur des endroits abrités du vent et la transition subite que l’on éprouve forcément par les accidents du terrain, qui obligent à contourner continuellement les montagnes, sont un danger constant et inévitable.

D’ailleurs, l’habitation de Longwood ne pouvait pas être saine. Elle se composait d’un rez-de-chaussée sans cave ; aussi toutes les pièces étaient-elles plus ou moins humides et celles du nord inhabitables par cet inconvénient.

Le cabinet attenant à ma chambre était tellement humide que je m’aperçus, peu de temps après mon arrivée, que tout ce que j’y avais mis, bien que dans une commode, était atteint par l’humidité. On comprend que dans une île de 6 lieues de tour, dans un climat où le soleil a tant de force, nous étions constamment dans une atmosphère saturée des vapeurs de la mer. Les nuages étaient quelquefois si bas que l’on ne pouvait voir le bout du jardin.

Cet air salin et l’ardeur du soleil brûlaient tout ; les étoffes de soie passaient de suite, surtout le crêpe de Chine.

Un des désagréments de ces latitudes est l’égalité constante des nuits et des jours ; il n’y a ni aube, ni crépuscule ; le soleil sort de la mer à six heures du matin et s’y replonge à six heures du soir, et peu après il fait nuit close ; aussitôt qu’il était couché, nous ne pouvions plus sortir de l’enceinte ; les sentinelles se rapprochaient et nous privaient de prolonger nos promenades du soir. On nous disait, pour nous consoler, que c’était trop heureux pour notre santé, le serein étant très dangereux ; nous pouvions cependant nous promener dans le jardin jusqu’à neuf heures, mais accompagnés d’un officier anglais.

Cette restriction et le danger de l’air de la nuit nous empêchaient de sortir. Le ciel des tropiques est si beau la nuit, les étoiles si brillantes, qu’on voudrait pouvoir passer la nuit en plein air. Mais ce plaisir, c’est la mort. Pendant le jour, aussitôt que la chaleur est arrivée, il est impossible de se promener sans prendre mal à la tête ; c’est du moins ce que l’Empereur a toujours éprouvé, ainsi que moi.

Ce n’était donc que de quatre à six heures, matin ou soir, que l’on pouvait sortir dans les moments les plus chauds de l’année. Ce n’est pas qu’à Longwood le thermomètre s’élevât jamais très haut : il ne dépassait pas 72° Fahrenheit ; mais la réverbération de la mer produit sur le cerveau un effet que l’on n’éprouve pas dans le midi de la France par les plus grandes chaleurs. Dans les saisons pluvieuses, il fallait faire du feu pour se garantir de l’humidité ; nous brûlions du charbon de terre dans des cheminées anglaises.

L’Empereur préférait le bois ; il est rare dans l’île et on n’en fournissait que pour lui seul ; ainsi le matin nous étouffions, et le soir on se chauffait.

La variation de l’atmosphère était souvent de 10° Réaumur en une même journée. On peut dire que là aucune saison n’est réellement marquée, c’est une variation continuelle de température.

Les arbres ne se dépouillaient jamais de verdure, ce qui, pour nous, est une des marques de l’été et de l’hiver. Les mois de décembre et janvier sont ceux de l’été. Toute l’année et surtout dans cette saison d’été, nous étions très tourmentés par les cousins (muskites), dont les piqûres étaient extrêmement sensibles. On mettait des gazes aux fenêtres pour s’en garantir ; mais, quelque précautions que l’on prît, ils s’introduisaient toujours. Quand j’étais obligée de garder ma chambre dans la soirée, il m’est arrivé de me coucher pour m’en débarrasser et je lisais à travers ma cousinière.

L’Empereur, bien qu’il fût toujours en bas de soie, en souffrait peu.

On sait qu’en s’abstenant de toucher à la piqûre dans le premier moment, l’inflammation passe bientôt ; il avait cette patience et nous conseillait d’user de ce moyen. Il nous était aussi très difficile de nous préserver des punaises, même avec des lits de fer ; elles se mettaient dans les rideaux en soie. L’Empereur en avait en soie verte aux deux petits lits de fer que l’on avait apportés avec ses bagages. Il fallut y substituer des rideaux de mousseline. Il n’y a dans l’île aucun animal venimeux, mais, en revanche, des rats d’une grosseur énorme, et une telle quantité qu’ils dégradaient les murs, se mettaient entre les boiseries et faisaient un vacarme affreux dans notre baraque. On craignait pour les enfants qu’ils ne s’introduisissent dans les berceaux et on y veillait continuellement ; enfin c’était une véritable calamité et nous n’avons jamais pu nous en débarrasser. Les Chinois seuls s’en arrangeaient en ce qu’ils les mangeaient.

Le bâtiment était vieux, à la vérité ; mais, en se promenant, on voyait ces vilaines bêtes courir sur la terre, et la maison que l’on avait faite pour le général Bertrand, quoique neuve, n’en était guère plus exempte que la nôtre. Il y avait aussi de très gros lézards, mais ces animaux ne sont nullement dangereux.

À peine établi à Longwood, l’Empereur s’occupa de régler sa maison. M. de Montholon la conduisait ; le service de l’écurie fut mis sous les ordres du général Gourgaud. L’Empereur, pour son service personnel, n’avait que les deux chasseurs Saint-Denis et Noverras, et un seul valet de pied, Gentilini, Lucquois. Ce n’était pas suffisant, ne fût-ce que pour le service de la table.


NAPOLÉON

L’amiral offrit des matelots ; on en prit douze ; ils furent habillés à la livrée de l’Empereur et le service fut réparti entre eux. On attacha aussi à l’établissement cinquante Chinois pour l’entretien du jardin et pour le service intérieur, tant de cuisine que de chambre ; il y en avait sous les ordres du cuisinier, du chef d’office et pour nos services particuliers. Les vivres étaient chaque jour apportés de la ville au maître d’hôtel Cipriani, en présence du capitaine Popleton, officier de la garde à demeure à Longwood.

Toute demande que l’on pouvait avoir à faire devait passer par lui. M. Balcomb avait la fourniture des vivres.

On peut juger combien devait coûter l’établissement de Longwood, dans une île qui, par elle-même, n’offre aucune ressource et qui est située à trois semaines de navigation des deux continents d’Afrique et d’Amérique. La dépense s’élevait, la marine et les troupes extraordinaires comprises, à 8 millions, ce qui est énorme, et nous ne pouvions être bien ; et encore était-il ajouté, de l’argent de l’Empereur, 12,000 francs par mois.

L’amiral n’ayant pas voulu donner Plantation-House, comprit bientôt que Longwood ne pouvait convenir pour un long séjour, et le gouvernement anglais décida que l’on bâtirait une maison pour l’Empereur.

Il fallut envoyer les matériaux tout taillés, bois, etc. ; bien que l’on s’en fût occupé aussitôt que possible, elle ne put être prête qu’au bout de trois ans et jamais l’Empereur ne l’a habitée.

En attendant, l’amiral avait fait ajouter à Longwood une longue pièce en prolongation du salon, éclairée de trois fenêtres de chaque côté et d’une porte vitrée donnant sur le jardin. Cette pièce, grande et haute, avait 11 pieds de large et 10 de haut ; elle était la seule agréable de l’appartement. Elle servit d’abord de salle à manger, puis on y mit un billard, et l’Empereur, qui pouvait y marcher à son aise et suivant son habitude, en fit son cabinet de travail ; on y laissa le billard. L’Empereur n’y jouait pas ; seulement, en causant et par distraction, il en poussait quelquefois les billes l’une contre l’autre ou les envoyait dans les blouses.

Ce meuble lui était fort utile pour déployer ses cartes et poser ses papiers.

Lorsqu’il était habillé, il passait dans cette pièce, il y dictait et nous y recevait.

  1. Ceci paraît en contradiction avec ce qui est dit au précédent paragraphe, que cette île est une production volcanique, ce qui donne à penser que le sol est granitique. — Du C.
  2. L’acre équivaut à environ 50 ares. — Du C.
  3. Par exemple, comme il arrive dans la vallée du bas Rhône et dans les plaines de la Crau, où le mistral incline aussi tous les arbres. — Du C.
  4. Miss Robinson ; elle a épousé un officier anglais qui l’a emmenée dans l’Inde. — N. de l’A.