Sophocle et la philosophie du drame chez les Grecs



SOPHOCLE
ET
LA PHILOSOPHIE DU DRAME CHEZ LES GRECS.

À mesure que, dans une société, la masse des connaissances s’augmente, elles se groupent d’après leurs analogies naturelles, se rangent en classifications, et forment en quelque sorte des provinces distinctes dans le domaine de la pensée. À mesure que chaque groupe s’enrichit, il se subdivise à son tour ; une science se décompose en plusieurs sciences. C’est là une nécessité, une loi de l’esprit humain, qui résulte de ce qu’une intelligence finie ne peut contenir l’universalité. Anciennement la philosophie comprenait toutes les connaissances susceptibles d’être réduites en système, cosmologie, astronomie, physique, médecine, morale, politique. Quand chacune de ces parties eut accumulé un trésor d’idées assez considérable pour être mis en valeur à part, elles se détachèrent de la philosophie, qui ne s’occupa plus que de l’ordre intellectuel. Cette subdivision de la science en spécialités n’a fait que s’accroître avec les connaissances acquises ou espérées ; elle s’accroîtra certainement encore ; c’est la loi de la division du travail, applicable à la pensée aussi bien qu’à l’industrie, et à laquelle on ne pourrait se dérober sans se condamner à l’immobilité absolue.

La poésie y échappera-t-elle plus que la science ? Non, et c’est ce que nous voyons très bien chez les Grecs. La poésie homérique fut pour l’art ce que la philosophie a été pour la science : un point de départ vaste, compréhensif, presque universel. Mais, après elle et le cycle qu’elle domine, ce grand corps épique semble se démembrer ; il se décompose en genres, le genre historique, le genre oratoire, le genre descriptif, le genre dramatique. Est-ce une ruine ? Non ; chacun de ces genres s’accroît à son tour ; quelques-uns prennent des proportions plus colossales même que le monument premier dont ils étaient les assises ; c’est que ce monument vivait, c’est que l’esprit humain était en lui, et, s’il s’est dissous, c’est à cause de la surabondance même de sa vie, qui demandait des corps nouveaux à organiser, des mondes nouveaux à remplir. Les genres dans l’art ne sont donc pas une invention des critiques, une étroitesse d’école, une défaillance de l’esprit, qui ne sait plus embrasser l’ensemble des choses ; c’est au contraire une manifestation de force, un moyen nécessaire d’approfondir et d’élargir le domaine livré à notre intelligence.

C’est pour cela qu’il n’y a pas eu, à vrai dire, de poème épique après Homère. Les grandes choses ont leur place marquée à tel ou tel point de la durée historique ; il faut les y étudier, les y admirer, et les y laisser. En lisant Homère, on sent à chaque mot qu’on est au berceau d’une civilisation ; dès-lors on s’abandonne à ses élans et à ses disparates, on ne lui demande que des caractères dessinés à grands traits ; la peinture est vraie, nuancée, ardente ; de hautes idées s’y font jour, quoique encore à l’état élémentaire et un peu vagues ; nous sentons l’homme et son siècle ; il y a naturel et harmonie en toutes choses, cela nous suffit ; l’admiration a trouvé son point de vue et elle jouit du grand homme. Trouve-t-on cette même harmonie d’ensemble dans les poètes épiques postérieurs ? Nullement. Quand on lit Virgile ou le Tasse, on sent aussitôt un autre siècle, un siècle qui a beaucoup plus d’idées sur toutes choses ; on lui demande donc plus de développemens, plus de profondeur, plus de détails ; mais dès-lors le plan de l’épopée, qui contient tout, serait trop vaste, le poète en serait écrasé : aussi n’en peut-il remplir également toutes les parties, on ne le lira point en entier, on en lira certains passages soignés, détaillés, faisant genre à part, le drame de la prise de Troie, une touchante élégie sur la mort de Didon, une belle exposition de philosophie platonicienne dans la description des enfers, c’est-à-dire que nous chercherons des spécialités, des genres poétiques dans ces prétendues épopées qui auraient dû contenir toute poésie. Quant à l’ensemble, il fatigue, l’imitation se trahit à chaque pas, et l’on se prend à gémir de ce qu’un si beau génie n’ait pas laissé Homère où il était, sur les sommets lointains du passé, à la source des littératures progressives, de ce qu’il n’ait pas suivi le cours du fleuve par où il s’élargit, de ce qu’il n’ait pas créé ou enrichi un genre, comme avaient fait avant lui tant d’hommes distingués de la Grèce.

Parmi les genres sortis d’Homère, le genre dramatique est celui qui a le plus directement suivi la même impulsion, le plus clairement manifesté et propagé le même esprit.

Les fêtes de Bacchus, du sein desquelles l’ancien drame grec s’est d’abord produit, avaient une partie sérieuse, les mystères, qu’on célébrait en certains lieux consacrés, et une partie bouffonne, les réjouissances du peuple, qui éclataient surtout avec une grande licence dans les campagnes. Les récits ou discours qu’on introduisit, sous le nom d’épisodes, dans l’intervalle des cantiques, et qui furent le premier linéament du drame, et les scènes dans lesquelles on vit figurer ensuite les satyres et les silènes, réunirent d’abord ce double caractère bouffon et sérieux. Les inventeurs de cette nouveauté se justifiaient par l’exemple d’Homère ; et ils avaient raison. Il n’est point nécessaire, du reste, pour cela de citer le Margitès, comme fait Aristote ; l’Iliade et l’Odyssée ont l’élément comique aussi bien que l’élément tragique, et c’est là, ou plutôt c’est dans l’esprit libre et critique de l’époque, que les premiers dramaturges puisèrent leurs inspirations. On dit que Solon, dans l’intérêt du culte, s’opposa aux représentations des épisodes. En effet, la licence y était extrême, et c’était une moquerie véritable ; mais à qui la faute ? Les chœurs phalliques et les symboles de même nature promenés en procession par les prêtres étaient-ils bien dignes de respect ? Et lorsqu’on exposait au peuple de pareils emblèmes, lorsqu’on négligeait la morale pour le mystère, n’était-il pas naturel qu’un rire inextinguible s’élevât du sein même des cérémonies religieuses ?

Peu de temps après, ce genre tragi-comique, démembrement d’Homère, se démembra à son tour ; l’élément sérieux et l’élément bouffon se séparèrent ; l’embryon dramatique se développa en deux êtres distincts, la tragédie d’une part et la comédie de l’autre. C’est que le genre s’était fécondé, c’est qu’on entrevoyait les ressources de chaque sujet, les profondeurs des caractères et des passions, l’enchaînement des circonstances d’un même fait ; on avait expérimenté l’impression produite par une action représentée avec ces détails et selon la nature ; c’était le triomphe du poète. Mais, pour que cette impression fût forte, il fallait qu’elle fût une ; de là cette unité du drame grec, qui s’attache moins au lieu et au temps qu’à l’effet moral produit sur le spectateur. Cette unité rigoureuse, qui fermait la tragédie aux rires, la comédie aux larmes, s’obtient, il est vrai, par un choix de circonstances qui constitue une espèce d’idéal, mais cet idéal est fondé sur la nature même. Quel homme en effet, s’il assistait en réalité à des évènemens comme ceux qui sont le sujet de la tragédie, ne souffrirait pas, ne s’indignerait pas d’y voir mêler la plaisanterie ? Quel homme, voyant en réalité la situation d’Œdipe ou d’Électre et entendant leurs discours, pourrait s’arrêter à voir et à entendre les trivialités qui se passeraient dans le voisinage ? Quand donc nous recevons des impressions vives, nous cherchons naturellement à les isoler pour en jouir ; frappés du beau, nous détournons naturellement les yeux du laid, et le rire qui se permet d’éclater entre des scènes pathétiques, au milieu de situations graves et de pressentimens douloureux, ne peut nous faire l’effet que d’une grimace hideuse. On s’est donc trompé lorsque de nos jours on a cru revenir à la nature par le mélange des genres ; on n’a fait qu’affaiblir l’impression et amincir l’étoffe du drame, sans en être plus naturel pour cela. On croyait justifier Shakspeare en lui attribuant ce prétendu système : triste et froid plaidoyer, amoindrissant l’homme de génie pour déguiser des faiblesses qui étaient celles de son temps et de ses auditeurs !

Les chœurs des fêtes de Bacchus furent donc accompagnés de deux espèces, distinctes par nature, d’épisodes dramatiques : d’une part, la haute poésie, la poésie des héros, la poésie aristocratique, comme la définit justement M. Magnin[1] ; d’autre part, la poésie démocratique, bouffonne, moqueuse, aliment des grossières risées populaires. Celle-ci fut d’abord la satyre, qui se jouait comme petite pièce après la tragédie, et qui produisit plus tard, sans cependant disparaître elle-même, le drame plus réfléchi qui reçut le nom de comédie.

Quelle fut la philosophie de ces deux sortes de drames ? La même que celle d’Homère. Il y a ici, en effet, une analogie bien remarquable. Homère, avons-nous dit ailleurs[2], met la comédie chez les dieux, et la tragédie parmi les hommes. Chez lui, les plus grandes scènes de l’Olympe sont presque toujours racontées avec un sourire ironique, et souvent le ridicule en est très clair et très expressif ; mais l’humanité est constamment noble, belle et religieuse : on sent qu’elle aspire à un ordre divin plus élevé que celui de la mythologie ; c’est dans sa lutte contre la destinée et dans son commerce avec la Providence que le poète nous montre la loi philosophique de l’existence humaine. Eh bien ! c’est précisément sur cette double idée que l’ancien drame s’est partagé en tragédie et en comédie. La comédie s’empara des personnages mythologiques, les dieux furent son lot ; depuis les premières satyres jusqu’aux dernières pièces d’Aristophane, elle les habilla de ridicule ; au contraire, la tragédie s’attacha à l’étude de l’homme, les dieux n’y parurent que très accessoirement, surtout après Eschyle. Cependant elle avait pour pensée fondamentale la religion, mais la religion se dégageant peu à peu des vaines légendes, et ne les employant que comme symbole d’idées, et parce qu’il était impossible de les extirper totalement des traditions reçues.

Ce que nous venons de dire de la comédie grecque est évident par tout ce que nous en savons, et par tout ce qui nous en reste. « À son origine, dit Schlegel, et entre les mains d’Épicharme le Dorien, la comédie grecque a surtout emprunté ses sujets à la mythologie. Elle ne paraît pas avoir entièrement renoncé à ce choix, même dans sa maturité, comme on le voit par des titres de plusieurs pièces perdues pour nous, soit d’Aristophane, soit de ses contemporains. Plus tard encore, et dans l’époque intermédiaire entre l’ancienne et la nouvelle comédie, elle revient aux traditions fabuleuses pour des motifs particuliers[3]. » « Si l’on s’en rapportait, dit Barthélemy, aux titres des pièces qui nous restent de ce temps, il serait difficile de concevoir l’idée qu’on se faisait alors de la comédie. Voici quelques-uns de ces titres : Prométhée, Triptolème, Bacchus, les Bacchantes, le Faux Hercule, les Noces d’Hébé, les Danaïdes, Niobé, Amphiaraüs…, etc. Ils traitèrent avec des couleurs différentes les mêmes sujets que les poètes tragiques. On pleurait à la Niobé d’Euripide, on riait à celle d’Aristophane, les dieux et les héros furent travestis, et le ridicule naquit du contraste de leur déguisement avec leur dignité : diverses pièces portèrent le nom de Bacchus et d’Hercule ; en parodiant leur caractère, on se permettait d’exposer à la risée de la populace l’excessive poltronnerie du premier et l’énorme voracité du second. Pour assouvir la faim de ce dernier, Épicharme décrit en détail et lui fait servir toutes les espèces de poissons et de coquillages connus de son temps[4]. » On ne pourrait croire à tant de licence, si la preuve ne nous en était restée dans les pièces d’Aristophane. Pourtant, à son époque, la comédie avait fait des progrès considérables ; elle n’était plus un pur caprice où l’imagination seule régnait ; la vie humaine et la critique des caractères s’y étaient fait une place ; néanmoins, c’est encore à se moquer des dieux qu’il emploie le plus de verve. Dans la Paix et dans Plutus, Mercure est ce bouffon, ce gourmand, ce voleur qui nous semble avoir été le type des valets de la comédie moderne. Les Oiseaux sont une comédie révolutionnaire s’il en fut jamais ; c’est l’exclusion des dieux de la cité nouvelle ; on les oblige à une abdication absolue, à l’instigation de Prométhée, de ce Titan qui, dans Eschyle, avait déjà si vigoureusement blasphémé contre Jupiter, qu’il menaçait de détrôner un jour. Dans les Grenouilles, Hercule, Æaque, Caron, mais surtout Bacchus, sont bien plus cruellement déchirés qu’Euripide même, contre qui la pièce est en apparence dirigée. En général, Aristophane en veut aux sacrifices qu’on offrait aux dieux ; il les accuse fréquemment de trop manger ; ce sont des gloutons pour lesquels il n’y a pas assez de moutons ni de bœufs ; il nous les montre opposés, par crainte de concurrence, aux dieux étrangers, et particulièrement à ceux de la Thrace, qui, à cette époque, étaient assez facilement admis à Athènes. Or, le sacrifice était l’action religieuse par excellence chez les anciens ; c’était le point central du culte ; l’attaquer là, c’était vouloir le renverser de fond en comble. Conçoit-on tant de licence chez un peuple qu’on nous représente comme si ombrageux sur les questions religieuses, et qui, plus d’une fois, punit sévèrement des hommes célèbres sous prétexte d’impiété ? Selon Barthélemy, cela s’explique en disant que les Grecs permettaient de ridiculiser les dieux, pourvu qu’on n’attaquât pas leur existence. Mais n’est-ce pas au fond la même chose ? et une nation aussi intelligente pouvait-elle admettre une distinction pareille ? La coexistence de ces faits si opposés paraîtra moins singulière, si on réfléchit qu’il y avait en Grèce, comme partout où la pensée humaine fermente avec activité, un mouvement et une résistance, des esprits novateurs et des efforts de conservation, entre lesquels la masse populaire flottait, réagissant d’un côté ou d’un autre, selon que les questions de principes se trouvaient engagées dans les intérêts, les influences ou les passions contemporaines. Assurément la politique ne fut pas étrangère aux condamnations de Socrate et d’Alcibiade. À tout prendre pourtant, de réaction en transaction, la critique des dieux marchait toujours, les uns mettant la mythologie au régime de l’explication allégorique, les autres, plus décidés, prenant les croyances populaires au sens littéral, et les faisant sauter sous le fouet impitoyable de leur comédie[5].

La comédie, genre critique et négatif, travaillait donc, si on la considère dans sa signification la plus élevée, à détruire la forme extérieure du culte ; cela est si vrai, que les dieux ne cessèrent d’être bafoués sur la scène qu’à l’époque où l’on n’y croyait plus, et où le culte ne se maintenait plus que faute d’un meilleur symbole, c’est-à-dire après Socrate, en pleine philosophie, lorsque Ménandre, compléta ce qu’Aristophane avait commencé, la substitution, dans la comédie, de l’humanité vraie et de l’observation aux fantaisies mythologiques.

Cependant que faisait la tragédie ? Tandis que sa sœur critique le faux, le petit, le laid, elle, dans sa nature sérieuse, ne peut qu’exposer la réalité, le grand, le beau. Vivant donc dans la même atmosphère philosophique, nourrie de l’idée générale du même temps et du même pays, elle s’applique aussi à la religion, mais dans un sens positif et affirmatif ; laissant là le mythe, ou le traitant comme un accessoire, elle en tire le sens, elle en dégage le dogme, et le transporte dans le tableau de la vie humaine. C’est ici le grand côté de la philosophie dramatique des Grecs ; mais, pour expliquer suffisamment notre pensée à ce sujet, il est nécessaire que nous remontions un peu plus haut, que nous jetions un regard un peu plus libre sur l’horizon religieux de la Grèce. Ceci ne sera pas une digression ; c’est notre sujet même. L’antique tragédie est sortie des mystères ; son esprit ne peut s’interpréter que par l’esprit des mystères. Il faut donc découvrir le lien étroit qui les unit ; on verra que tout le système religieux de l’antiquité s’y révèle ; la tragédie, c’était l’exposition publique sur le théâtre de ce système long-temps caché dans les temples. L’invention de la tragédie ne fut pas un fait simplement littéraire ; elle fut un évènement religieux dont la philosophie et l’histoire doivent tenir compte. C’est sous ce point de vue que nous allons principalement la considérer. Voyons d’abord ce que c’était que les mystères.

On peut considérer les mystères de l’antiquité comme des cérémonies à la fois religieuses et scéniques, assez analogues, quant à leur forme extérieure, au drame bien autrement élevé par lequel l’église chrétienne représente, dans sa semaine sainte, les principaux faits de la passion de Jésus. Les circonstances accessoires de ces mystères, les temps, les noms, les personnages, variaient selon les localités ; mais la comparaison fait voir que partout le fond du mythe qui en fournissait la matière ou l’argument était identique ; en Égypte, en Phénicie, à Éleusis, à Thèbes, en Samothrace, l’évènement fondamental reste toujours le même.

Cet évènement fondamental forme toujours une trilogie, dont les trois termes sont invariables. Il est donc facile de dégager le fond du mythe des circonstances que l’imagination populaire, l’influence locale ou la poésie y ont ajoutées par la suite : il n’y a qu’à s’attacher exclusivement aux trois termes de la trilogie.

D’abord l’histoire égyptienne d’Osiris, qui semble avoir été la source des mystères grecs, se partage évidemment en trois points : premièrement une époque glorieuse et prospère, marquée par les progrès de l’agriculture, la conquête des Indes, l’invention des arts, le bonheur et la joie du peuple ; ensuite une époque de déchiremens, alors que le monstrueux Typhon, ce dragon gigantesque, symbole du simoun et de l’Arabie, vint attaquer Osiris, le coupa en morceaux et l’abandonna dans un coffre au cours du Nil et aux flots de la mer ; puis une époque de résurrection et de glorification, lorsque Isis, après l’avoir long-temps cherché, le trouva enfin, réunit ses membres déchirés et lui éleva des temples.

Les mystères de Bacchus, dont on attribuait l’introduction en Grèce à Orphée, et dont les chants dithyrambiques fournirent son premier cadre à la tragédie, reposent absolument sur les mêmes bases. C’est d’abord la conquête des Indes époque de bienfaits et de plaisirs ; puis Junon irritée poursuit Bacchus, qui est attaqué par un serpent ; dans la guerre des Titans, qui sont de la même race que Typhon, il est coupé par eux en morceaux comme Osiris ; enfin Minerve, comme une autre Isis, porte ses membres à Jupiter, qui les réunit et le ressuscite après trois jours passés aux enfers.

Les Éleusinies, qu’on appelait les mystères par excellence, et dont la célébration faisait accourir des pèlerins de tous les pays, avaient pour argument l’histoire de Cérès et de Perséphone ou Proserpine. Les trois élémens de cette histoire sont : en premier lieu, les joies innocentes de la jeune fille jouant avec les fleurs dans les campagnes de la Sicile, ensuite son enlèvement par Pluton, et les douleurs de sa mère qui parcourt le monde, comme Isis, en cherchant l’objet de sa tendresse ; en troisième lieu, le bonheur de Proserpine retrouvée, et son retour à la lumière des vivans.

Les mystères des Cabires en Samothrace, non moins célèbres et probablement plus anciens, ne différaient des précédens que par les noms et les particularités cérémonielles. Axieros était Cérès, Axiochersos était Pluton, Axiochersa était Proserpine. Le quatrième personnage, Casmilus, ne représentait que le prêtre, ou peut-être était la personnification de la classe sacerdotale ; aussi traduisait-on son nom par celui d’Hermès ou du Toth égyptien. Ces mystères cabiriques semblent, à cause de leur antiquité et de leurs formes grossières, être arrivés directement d’Égypte ; et s’être ensuite répandus en Thrace et dans la Grèce méridionale sous les noms de Déméter et de Dionysus.

Les fêtes phéniciennes de Thâmmouz, Adonaï ou Adonis, sont l’expression d’une aventure toute pareille dans son essence : Adonis, élevé par les nymphes d’Arabie, se retire vers le Liban, et y jouit d’une période de bonheur avec la déesse Vénus ; tué ensuite par un sanglier, Vénus veut l’arracher à la mort, comme Isis ou Cérès, et fatigue les dieux de ses prières ; enfin Adonis lui est rendu, et revient sur la terre. On sait avec quelles démonstrations de douleur la mort d’Adonis était célébrée à Athènes ; les femmes consacraient un jour entier à un deuil exagéré ; elles se frappaient la poitrine, se rasaient la tête, se lamentaient dans les rues, et imitaient l’appareil des funérailles, en promenant par la ville des figures qui représentaient un cadavre. Lucien compare leurs cris de douleur à ceux des Égyptiens pleurant le bœuf Apis. Un autre jour, on chantait la résurrection d’Adonis ; alors c’était une joie universelle, comme celle des Égyptiens lorsqu’Osiris était retrouvé.

Les mystères phrygiens célébraient Attis. Attis, heureux d’abord comme Adonis, de son union avec une déesse, périt bientôt d’une manière déplorable. On le pleurait publiquement comme on pleurait Osiris et Adonis ; Cybèle avait aussi ramassé ses membres indignement mutilés ; enfin ce culte et celui d’Adonis étaient si bien un même culte au fond, qu’au temps de Tertullien ils avaient fini par se confondre tout-à-fait.

Le même mythe se reproduit enfin dans Uranus mutilé par Kronos, et dans Jupiter même, qui, après s’être emparé du trône céleste, vit les Titans se soulever contre lui. Typhon, le poursuivant à travers la Grèce et l’Arabie, le vainquit enfin, le mutila comme il avait mutilé Osiris, et l’ensevelit dans l’antre Corycien, où Mercure et Pan, d’autres disent Minerve, le retrouvèrent et le rendirent à la vie.

Tel est donc le récit identique qui servit de texte aux plus fameux mystères de l’antiquité. C’est une seule et même trilogie, dont les trois termes sont : 1o une période de bonheur goûté par un personnage divin, ou intimement uni à la divinité ; 2o une lutte fatale de ce personnage contre un être monstrueux, auquel on attribue volontiers les formes les plus horribles, comme pour exprimer le génie du mal ; 3o le personnage vaincu et supplicié par le génie du mal est ressuscité, et on lui dresse des autels.

Cette trilogie mystérieuse était, nous le répétons, l’essence de la religion grecque ; une si remarquable unité de pensée sous une si grande variété de formes le témoigne clairement. Les mythes qui la contiennent sont les plus anciens, et tout ce qu’on sait sur leur introduction en Grèce les fait remonter à l’époque où une colonisation orientale y exerçait encore son influence. Enfin, ce qui prouve encore mieux peut-être que c’est là l’idée première du culte, c’est que tous les mythes héroïques venus plus tard se sont en quelque sorte calqués sur ce mythe divin. La multitude des circonstances accessoires, les inventions, les allégories dont on les a surchargés peu à peu, dérobent d’ordinaire à nos yeux le plan simple de cette doctrine : c’est un édifice dont une profusion d’ornemens nous cache les lignes primitives et grandes ; mais écartez ces détails, isolez les masses, et partout vous retrouverez les trois colonnes du sanctuaire ; partout, de même que les dieux égyptiens se présentaient toujours par trois[6], de même aussi l’histoire religieuse vous offrira une trilogie sacrée. Lorsque, par la canonisation nationale appelée apothéose, on décernait un culte à des personnages inférieurs, on jetait leur vie dans le même moule trilogique ; on tirait de leur histoire, du mieux qu’on pouvait, les trois termes du symbole religieux. Qu’on lise en effet à ce point de vue le résumé d’Apollodore, et à chaque pas on verra ressortir du fond des mythes cette trilogie d’un bonheur idéal, d’une période d’expiation ou d’épreuve, et d’une réhabilitation glorieuse. Prométhée apporte au monde la science et le principe progressif ; une cruelle punition lui fait sentir que le progrès est au prix de la douleur, et un temps vient où Hercule le délivre du vautour expiatoire. — La fille d’Inachus a conçu de Jupiter : union de l’humanité à Dieu. Persécutée par la jalousie de Junon, déchue de la forme humaine, matérialisée en quelque sorte sous les traits d’une génisse tourmentée par un insecte vengeur qui ne la quitte pas, elle promène sa douleur à travers les trois parties du monde connu ; et ce n’est qu’après cette longue course que sa première forme lui est rendue, qu’elle retrouve Épaphus, le principe divin déposé en elle. — Danaé a reçu aussi la visite de Jupiter : encore cette même union allégorique dont les débauches de l’imagination ont tant abusé depuis. Acrisius la fait enfermer dans un coffre avec son enfant, et jeter à la mer : reproduction de l’histoire d’Osiris. Danaé aborde à Seriphos, où elle subit de nouvelles épreuves ; mais son fils Persée sera son rédempteur, lorsqu’il aura vaincu les Gorgones. — La femme de Céphée, roi d’Éthiopie, a par son orgueil offensé un dieu ; elle sera punie dans sa race ; une fille innocente, mais solidaire du péché de ses parens, est vouée à l’expiation, et abandonnée sur un rocher, comme Prométhée, à la fureur d’un monstre. Persée, toujours invincible par sa victoire sur les Gorgones, arrive et la délivre. — La fable d’Hésione n’est qu’une autre version de celle-ci. Esculape foudroyé pour avoir essayé de rendre les hommes immortels, et ressuscité ensuite ; Hippolyte, ce type de la vie pure, comme l’a remarqué Buttman[7], et dont on ne connaît que l’innocence, l’immolation et la résurrection ; Œdipe, qui devina l’énigme de l’humanité, puis subit une longue et horrible série de malheurs, et enfin disparut, appelé par un Dieu, au milieu d’un orage ; Iphigénie, qui expie, comme Andromède et Hésione, une faute transmise par son père, et se voit enlevée du bûcher par Diane qui, en fait sa prêtresse ; Alceste, qui se livre à la mort pour son époux, et qu’Hercule ramène du fond des enfers : toutes ces fables révèlent plus ou moins manifestement ces trois idées : un bonheur primitif, perdu le plus souvent par curiosité, faiblesse ou orgueil ; une souffrance avec caractère de châtiment (car il ne s’agit plus ici des dieux, mais des hommes) ; en troisième lieu, une rédemption, soit par continuation de la vie, soit par une vie nouvelle.

Dans la célébration des mystères, l’hiérophante interprétait le sens de la trilogie sacrée (hiérophante, énonciateur des choses saintes, le nom seul explique la fonction) ; mais ce sens, quel était-il ? Quelle en était du moins la nature ? Était-ce de l’astronomie ? Expliquait-on les rapports des planètes avec les saisons et les travaux agricoles, comme le prétendent si arbitrairement ceux qui ramènent tout aux allégories physiques, de sorte que ce merveilleux appareil, qui mettait en émoi la société grecque, n’aurait abouti qu’à la révélation d’un calendrier panthéiste ? Était-ce, selon les partisans d’Évhémère, une interprétation critique, laquelle, en apprenant aux initiés que les dieux n’étaient que des hommes divinisés, aurait détruit le culte même sur lequel elle reposait ? Ces deux opinions sont évidemment contradictoires ; elles sont le produit de ces deux anciens systèmes d’exégèse nés du premier examen philosophique, et les auteurs de ces systèmes n’étaient sans doute pas fâchés de couvrir quelque peu leurs assertions hardies de l’autorité de l’hiérophante lui-même.

Mais toute religion est essentiellement une législation, un gouvernement ; toute religion à un but pratique : il faut donc que les symboles religieux s’interprètent comme expression de la vie pratique de l’homme, et par conséquent de ses devoirs et de sa destinée générale. Les incarnations orientales même avaient cette tendance morale ; Vichnou dit : « Quand le monde se corrompt et que l’impiété se révolte, c’est alors que je m’incarne dans l’humanité, et que je me montre aux hommes pour conserver les bons et pour anéantir les méchans. » En Grèce, plus encore peut-être que dans l’Inde, le drame des mystères, qui a tant d’analogie avec les incarnations de l’Orient, réveillait l’idée d’un haut enseignement moral ; c’est ce qu’affirment les témoignages les plus imposans, depuis Hérodote. Sans une portée morale, les mystères n’auraient jamais conquis l’influence qu’ils exercèrent même sur les hommes d’état et les législateurs ; sans une portée morale, l’initiation n’eût pas été un devoir si long-temps respecté. Qu’on lise les phrases suivantes, écrites par des hommes de divers temps et de divers caractères, interprètes non systématiques de l’opinion de leurs concitoyens : « Heureux, est-il dit dans l’hymne à Cérès attribué à Homère, heureux, entre tous les habitans de la terre, celui qui a vu ces choses (les mystères d’Eleusis) ! mais celui qui n’est point initié aux choses saintes, et n’y a point participé, n’aura jamais un pareil sort ; il est perdu dans d’affreuses ténèbres. » — « Heureux ; s’écrie Pindare à son tour, heureux celui qui descend sous la terre après avoir vu ces choses ! car il connaît la fin de la vie, et il connaît le royaume donné par Jupiter. » « Cérès, dit Isocrate, nous a enseigné les mystères qui nous donnent l’espérance d’obtenir, après cette vie, le bonheur d’une vie qui ne finira jamais. » Il n’y a pas jusqu’aux moqueries et aux allusions irrévérencieuses d’Aristophane qui ne constatent l’opinion générale qu’on avait des mystères : « Silence, et qu’il s’éloigne d’ici, celui qui n’est pas préparé par la sagesse, celui qui n’a pas le cœur pur, celui qui se plaît aux paroles bouffonnes, celui qui ne s’oppose pas aux dissensions funestes, qui n’est point bienveillant envers ses concitoyens, qui, au contraire, les excite et les pousse dans son propre intérêt ; celui qui place la tête de l’état dans des temps difficiles, se laisse corrompre par des présens, etc. ! » Le poète continue cette énumération en la remplissant de traits satiriques contre ceux qui avaient malversé dans le gouvernement, et s’étaient placés ainsi au rang des excommuniés. Et ce morceau finit aussi par une promesse de la vie future : « Allons dans ces prairies pleines de roses, jouant nos jeux ordinaires, nos jeux et nos danses ravissantes, sous la conduite des parques bienheureuses. À nous seuls sourient le soleil et la lumière, à nous qui sommes initiés, et qui nous sommes conduits pieusement envers les étrangers et les citoyens. » Cicéron dit aussi ces paroles religieuses : « Les initiations ne nous ont pas appris seulement à nous rendre heureux dans cette vie, mais encore à mourir avec une meilleure espérance. » Et Plutarque : « Il est heureux, ô mon ami ! d’être initié aux mystères d’Éleusis, car la condition de mystes sera la meilleure parmi les mânes[8]. »

Qu’on nous dise, après avoir lu ces passages, si des mystères que l’on considérait comme une source de bonnes actions et un gage de salut dans une autre vie, ne contenaient pas une doctrine pratique, un enseignement moral ! Au reste, il y a mieux que des textes pour déterminer ce caractère, il y a des faits, il y a des institutions qui parlent. L’hiérophante d’Éleusis se vouait au célibat comme nos prêtres catholiques : mortification des sens, sacrifice des instincts corporels aux fonctions de l’ame, de la chair à l’esprit. C’était par le jeûne et par la continence qu’il fallait se préparer à l’initiation : dogme de la pénitence par conséquent, dogme professé d’ailleurs plus ou moins explicitement par toutes les religions. On sait combien, dans le culte de Minerve surtout, la virginité était en honneur, et par quelle pompe gracieuse, par quels groupes de jeunes vierges portant des corbeilles mystiques, elle était représentée aux grandes processions des Panathénées. Ou ces choses n’ont aucun sens, ou elles ont une signification morale, et leur signification est la même que celle des mystères, dont les unes étaient l’expression cérémonielle, et les autres l’ascétisme, c’est-à-dire l’exercice, l’application réelle et active à la vie. La confession et l’absolution aux pieds du Koès, imposées à ceux qui voulaient être admis à la communion des initiés de Samothrace, font briller ce fait d’une nouvelle évidence ; c’était un engagement pris d’améliorer sa conduite. Enfin la communion, c’est-à-dire la manducation de la victime, le banquet sacré, symbole de l’union fraternelle des hommes en Dieu, nous révèle le dogme moral des anciens presque aussi clairement que nous pouvons le reconnaître aujourd’hui dans le christianisme ; car il y avait, principalement dans les fêtes de Bacchus, un rite qu’on appelait la créonomie, c’est-à-dire le partage qu’on faisait aux initiés de la chair des hosties. Le peuple s’incorporait ainsi la victime purifiée par la mort, et s’offrait avec elle à la divinité. Le culte d’Osiris présente également des indices de cette croyance ; mais ce qu’il y a de remarquable, et ce qui confirme l’universalité de cette grande pensée religieuse, c’est qu’on l’a retrouvée même chez les Mexicains. Il y avait, en l’honneur du dieu Vitzlipultzi, des rites semblables à ceux d’Adonis ; on faisait, avec de la pâte, une figure représentant le dieu qu’on adorait en se jetant de la poussière sur la tête en signe de deuil ; une procession de vestales l’accompagnait par la ville ; on l’élevait enfin au haut du temple au son des instrumens. Alors une partie de la pâte dont on avait fait la figure était distribuée aux fidèles, qui croyaient manger la chair du dieu[9]. Ces faits, pris dans des temps et dans des pays si divers, ne se fortifient-ils pas les uns les autres ? Et quand on voit partout la même idée présider à la religion, c’est-à-dire à la théorie de la vie sociale, n’est-on pas forcé d’en conclure la moralité de cette idée ? Est-il permis de croire encore que tant de nations civilisées aient commis le non-sens de fonder leur religion sur l’astronomie ?

Or, dès qu’on a reconnu aux mystères, une signification morale quelconque, il devient aisé d’en déterminer logiquement le sens précis. Pour cela, il suffit d’éviter les vagues hypothèses, et d’appliquer tout simplement à la vie humaine la trilogie mystique, composée, avons-nous dit, de ces trois termes : conception idéale du bonheur, sentiment de la souffrance, espoir de réparation. Ce sont là trois faits de notre existence tellement vulgaires, tellement journaliers, tellement palpables, qu’il n’est nul besoin d’analyse psychologique pour les constater dans la vie de l’homme, et c’est pour cela que le genre humain, dès les plus anciennes époques, les a pris, et avec raison, pour les vrais et essentiels problèmes de la vie, pour le sommaire de toute science, pour les bases de toute religion. La foi au bonheur, à un bonheur plus élevé que la satisfaction bestiale des besoins matériels, repose dans l’intimité de notre être ; elle est la source de notre activité, de notre curiosité, de notre insatiable ambition de progrès ; elle se corrobore dans chaque individu des joies chaleureuses et imprévoyantes de l’adolescence et de la jeunesse, qui croit à peine à la mort, tant le bien idéal la possède. Plus tard, l’expérience de la vie vient nous initier à un autre ordre de choses ; l’obstacle, la peine, le combat, se font connaître ; sans cesse il faut sacrifier une partie de soi au mouvement général. Ce sacrifice est la condition impérieuse de la société ; les théoriciens de l’égoïsme n’ont pas eux-mêmes pu y échapper, car ils disent que chaque individu doit sacrifier une partie de sa liberté pour conserver le reste. Cette privation, cette souffrance, cette immolation sociale était représentée dans le culte par le sacrifice, et les stoïciens en développèrent l’idée philosophique avec une vigueur admirable, quoique exagérée. Cependant, à travers ce sacrifice douloureux, la foi au bonheur nous poursuit encore ; sans elle, la vie serait intolérable au plus grand nombre ; avec elle, l’humanité se fortifie par l’épreuve même, comme si la douleur n’était qu’une dette qu’elle paie, et dont chaque instant avance sa libération. La mort même n’y change rien ; au contraire, c’est en elle qu’on voit la réalisation de l’espérance : de là une croyance générale à l’immortalité, et ce respect pour les sépultures, phénomène de tous les temps et de tous les lieux.

Or, cette triple idée, base morale de la religion grecque et de toutes les religions, nous apparaît aussi comme l’idée génératrice de la tragédie grecque, à tel point qu’elle en était l’essence, au moins dans les premiers temps, à l’époque d’Eschyle. Alors un drame complet se composait de trois parties et formait une trilogie, car il ne faut pas compter la quatrième pièce, appelée satyre, qui n’était qu’une parodie ou une parade bouffonne destinée à effacer les impressions trop douloureuses de la tragédie. De même que les confrères du moyen-âge chrétien représentaient les miracles, la passion et la résurrection de Notre-Seigneur, ainsi les trilogies d’Eschyle représentaient les trois termes des mystères d’Osiris ou de Bacchus. Seulement les personnages étaient autres ; exposer sur la scène le Bacchus ou la Cérès des mystères, c’eût été dangereux ; c’était déjà bien hardi d’en divulguer les idées fondamentales sous d’autres noms ; pourtant c’est ce qu’on fit. Examinez en effet les pièces qui nous restent d’Eschyle, et, à l’aide des documens que l’antiquité nous a laissés sur les autres, quelques-unes de ses trilogies.

D’abord vous trouverez celle de Prométhée. La première partie s’appelait Prométhée inventeur du feu : c’est l’homme qui, pour avoir dérobé le feu, c’est-à-dire la science, principe des progrès, se voit condamné à une expiation cruelle ; c’est par conséquent la chute de l’homme. La seconde partie, c’est Prométhée enchaîné, cette tragédie fantastique et vigoureuse que nous avons encore. L’homme, coupable d’avoir voulu savoir par lui-même et s’égaler à Jupiter, est attaché sur la montagne par les envoyés de ce dieu ; sa douleur affecte la nature entière ; l’Océan et ses nymphes, Io ou Isis, la terre, viennent pleurer avec lui. Mais rien ne console sa peine, rien n’apaise sa révolte, nul ne peut faire taire ses blasphèmes ; il annonce la fin prochaine de sa période de douleur, il prédit la chute du dieu régnant et l’arrivée de son rédempteur Hercule, qui doit briser ses fers. La troisième partie, c’était Prométhée délivré ou racheté : Hercule, son sauveur si long-temps attendu, fils du dieu suprême, tuait le vautour du châtiment et délivrait la victime. Il n’est pas nécessaire sans doute d’insister pour faire remarquer ici les trois termes mystiques du bonheur perdu, de la souffrance expiatoire et de la rédemption ou résurrection, contenus dans cette trilogie d’Eschyle. Le fait historique qui avait donné lieu à la fable de Prométhée était, croyons-nous, l’oppression de la race indigène des Pélasges par la conquête sacerdotale des Égyptiens : Prométhée, c’est la nation pélasgique qui veut se développer avec indépendance ; Jupiter, c’est Ammon ou l’Égypte, qui la réduit en servitude ; Hercule, c’est la famille hellénique qui réagit plus tard contre les conquérans. Mais la tradition donnait à tous ces grands faits une portée théologique et générale ; elle dégageait l’unité de la variété, elle cherchait la destinée humaine dans les destinées particulières des individus ou des nations, et l’ancienne tragédie profitait de ces résultats confondus de la contemplation philosophique et des souvenirs de l’histoire.

Outre cette trilogie pélasgique, Eschyle fit aussi une trilogie égyptienne. La première partie s’appelait les Égyptiens ; c’est, sous d’autres noms, l’histoire même de Typhon et d’Osiris ; Egyptus, venant de l’Arabie, détrône son frère Danaüs ; le génie du mal précipite le favori du ciel dans un abîme de malheurs. L’excès de ces malheurs fait le sujet de la seconde partie, les Suppliantes. Exilées de leur pays, les Danaïdes demandent à la terre étrangère un asile qui leur est à peine accordé ; c’est une suite de lamentations et de prières ; le chœur de ces jeunes filles chassées de l’Eden de la patrie représente très bien l’humanité déchue. Enfin, la troisième partie avait pour titre les Danaïdes, et pour sujet leur délivrance. Poursuivies jusque dans leur exil par les enfans d’Égyptus, qui voulaient les épouser, c’est-à-dire par la race de Typhon, le mauvais génie qui voulait les posséder à jamais, elles les égorgèrent la nuit ; Hypermnestre seule épargna Lyncée, parce qu’il avait respecté sa virginité.

La trilogie thébaine, qu’on pourrait bien appeler phénicienne, se composait de Laïus, Œdipe, et les Sept chefs devant Thèbes. Les vicissitudes de cette ville sacrée en font le sujet : les traditions sacerdotales devaient naturellement la montrer heureuse et florissante sous la domination des Orientaux ; mais lorsque la race hellénique s’en empara et se permit d’expliquer les hiéroglyphes du sphinx, et de modifier l’autorité religieuse, ce fut une calamité, une ruine pour la ville ; voilà l’idée de la première partie : Laïus tué par Œdipe, l’ancien régime par le nouveau. La seconde partie, c’est ce nouveau régime. Des violences, des tyrannies, des incestes, des suicides, des parricides, la peste, des oracles effrayans, tout ce que la colère des dieux envoie de plus terrible aux hommes coupables, voilà le résumé du sujet d’Œdipe, histoire d’expiation et de fatalité vengeresse s’il en fut jamais. Dans les Sept chefs devant Thèbes, la cité sainte est délivrée ; les dieux ont pris sa défense ; la foudre a écrasé l’ennemi sur ses remparts ; les enfans d’Œdipe se sont tués l’un l’autre, et Tirésias, c’est-à-dire le sacerdoce, est replacé dans sa gloire.

Enfin la trilogie argienne nous est restée tout entière ; elle se compose de : Agamemnon, les Coéphores, les Euménides. Ici les trois termes de la religion mystique sont appliqués à la famille des Pélopides. Le premier, c’est la chute du roi des rois, du vainqueur des Troyens, immolé par la perfidie d’une femme. Le second, c’est l’effroyable punition de ce crime par un autre crime, Clytemnestre assassinée par son fils Oreste. Le troisième enfin, c’est la réhabilitation d’Oreste par l’intercession d’une vierge divine, la chaste Pallas.

Lors donc qu’on accusait Eschyle d’avoir divulgué le secret des mystères, on n’avait pas tort ; il n’était pas même nécessaire pour cela de recourir à quelques traits peut-être trop directs et trop matériels de l’une de ses pièces ; il aurait suffi d’examiner le sens moral de toutes les trilogies que nous venons d’énumérer. Mais la loi du secret ne portait sans doute que sur certaines circonstances cérémonielles ; il n’était guère possible en effet de cacher l’esprit de ces cérémonies puisque cet esprit devait influer si puissamment sur la conduite de chaque initié. Ce que nous avons dit explique aussi cette autre tradition, d’après laquelle Eschyle aurait composé ses tragédies sur un ordre de Bacchus lui-même, reçu en songe ; ce qui veut dire que le dogme intime des mystères dionysiaques fut la véritable inspiration de ces œuvres. La mise en scène était en parfaite harmonie avec ces idées ; des machines propres aux apparitions surnaturelles, des autels, des tombeaux, des spectres, des personnages de l’enfer, frappaient les spectateurs d’une terreur religieuse ; les costumes majestueux inventés par le poète furent même, s’il faut en croire Athénée, imités dans la suite par les hiérophantes et par leurs acolytes. Tout ceci confirme l’identité morale du drame tragique d’Eschyle avec le dogme fondamental des mystères de la Grèce.

Mais c’est dans Sophocle qu’il nous faut chercher la plus haute expression du drame grec : Eschyle, pénétrant dans les arcanes du sanctuaire, y avait saisi la pensée religieuse, et l’avait traînée au grand jour de la vie profane, où la liberté philosophique et artistique s’en emparait. C’était, aussi bien que dans Sophocle, l’esprit d’Homère, esprit novateur, rival du sacerdoce, auquel il retirait l’autorité d’interprétation pour la livrer à tout le monde. Cependant l’œuvre d’Eschyle ne fut qu’un sublime essai ; ses pièces, extrêmement simples, ne sont en réalité que des épisodes, comme on les appelait, intercalés dans les chœurs ; en outre, le merveilleux occupe encore une grande place ; des scènes aussi fantastiques que celles du Prométhée et des Euménides annoncent que le mythe exerce encore une grande influence. Sophocle apparaît, et, comme Neptune, en trois pas il franchit une immensité. Chez lui, le merveilleux, le gigantesque, ne se montrent presque plus sur la scène ; quand des personnages divins s’y présentent accessoirement, comme dans Ajax et dans Philoctète, ils sont rapprochés de l’humanité ; les dieux de Sophocle sont aux dieux d’Eschyle ce que les dieux de Phidias sont aux statues de l’école d’Égine. Sophocle ne pouvait abandonner le mythe, puisque toutes les traditions nationales en étaient pleines, mais il le relègue dans les récits ; on dirait qu’il s’est imposé déjà la règle plus tard formulée par Horace : Nec deus intersit. En revanche, il s’attache aux caractères humains, aux passions, aux situations ; il raccourcit les chœurs pour donner de l’espace aux scènes ; il augmente le nombre des personnages ; il les fait réciproquement ressortir par des contrastes admirablement tranchés ; son drame est simple encore, mais les situations y sont tellement conduites, sondées à une si grande profondeur, que les développemens les plus abondans, les fluctuations d’ame les plus vraies, s’y déploient avec une aisance pleine de force et de majesté. C’est là le fruit de l’observation et de l’intelligence du cœur humain ; c’est là l’esprit grec dans son mouvement créateur, tel que nous l’avons déjà étudié dans Homère : aussi, avait-on assimilé ces deux génies, en appelant Homère le Sophocle épique, et Sophocle, l’Homère tragique. Bien plus, ce fut lui qui, le premier, obtint des juges du théâtre l’autorisation de ne représenter qu’une pièce à la fois, c’est-à-dire qu’il cassa la trilogie sacrée, qu’il s’affranchit de la forme mystique, non pas toujours, puisque nous avons sa trilogie thébaine, mais à sa convenance, comme un droit. Est-ce à dire qu’il s’affranchisse aussi de la pensée religieuse ? Au contraire. Ce qui commence à se perdre chez lui, c’est le mythe, la forme, le matériel de la tradition ; la religion, il ne la montre plus dans les fables, mais dans la vie réelle et morale de l’homme ; comme Homère, comme Phidias, comme la Genèse hébraïque, il contemple Dieu dans l’homme fait à son image ; il étudie la Providence dans les manifestations qu’elle donne d’elle-même au sein de l’humanité : telle est la philosophie du drame de Sophocle.

Pour juger de la fécondité de ses ressources, il n’y a qu’à remarquer l’extrême simplicité de presque tous ses plans. En effet, plus vous saurez plonger dans une situation intéressante, vous revêtir des caractères, vous pénétrer des terreurs et des espérances de vos personnages, moins vous aurez besoin d’incidens pour remplir votre pièce. Il est bien clair qu’un homme placé dans une situation qui réveille et exalte au plus haut point ses facultés et ses instincts, comme cela arrive nécessairement dans les circonstances tragiques, trouve en son cœur une multitude de pensées, de désirs, d’effrois tumultueux, de résolutions rapides, de retours sur soi-même, qui peuvent donner lieu à de longs développemens. Les flux et reflux de sentimens qui traversent son ame dans l’attente d’une catastrophe n’ont certes pas besoin de combinaisons extérieures pour exciter l’intérêt de ceux qui pourraient lire dans sa pensée, et, lorsqu’un poète en possession d’un sujet semblable croit devoir recourir à des circonstances éloignées ou étrangères pour soutenir sa marche, c’est qu’il n’a point vu tout ce que ce sujet contenait ; c’est qu’il n’a ni l’abondance des idées, ni les trésors de l’observation morale, ni cette sensibilité par laquelle nous sortons de nous-mêmes pour nous introduire dans l’individualité d’autrui. Voilà comment d’une situation très simple, par exemple de celle de Philoctète qui veut quitter son île, mais non pour suivre Ulysse, ou de celle d’Ajax, qui, devenu fou, retrouve un moment lucide et se tue, Sophocle sait tirer, sans vide, sans langueur, une tragédie soutenue, vive, profonde, saillante en couleur et jamais embarrassée dans sa marche. Il n’y a en réalité, dans Philoctète, que trois personnages ; mais que de choses entre ces trois personnages ! Comme l’âge, les habitudes, la tournure d’esprit de chacun et leur situation respective s’y manifestent avec franchise et précision ! Et quelle succession naturelle, spontanée, mais saisissante, de poignantes angoisses, de joies à faire pleurer, de vengeances, de désespoirs ! C’est en cela qu’on peut voir le principe de cette fameuse règle des unités, dont on a fait tant de bruit. À qui sait tirer tant de choses d’une situation si simple, un fait très limité suffit sans nul doute ; il n’a que faire d’évènemens qui se traînent en divers lieux et en plusieurs années ; le moment le plus rapproché de la catastrophe lui fournit une assez ample matière, car il voit et il sait exploiter toutes les richesses poétiques de ce moment terrible. La règle serait donc belle ; mais c’est une de ces règles de perfection idéale qu’on ne peut imposer. Le génie y tend par son élan naturel ; les talens ordinaires s’épuiseraient à y tendre.

Je regrette maintenant de ne pouvoir me transporter en arrière en plein XVIIe siècle, alors qu’on parlait encore d’Aristote et de sa poétique, et qu’une critique légère ne se permettait pas de le dédaigner, et même de l’ignorer ; car ce grand penseur, qui cherchait toujours la racine des choses et leur valeur morale, me prêterait ici un secours bien nécessaire pour apprécier le plus haut mérite de Sophocle. Dans son ouvrage sur la Politique (remarquons qu’en ce temps-là les arts n’étaient pas regardés comme des choses isolées, vivant pour elles-mêmes, mais comme des choses sociales), il dit : « Je soutiens qu’il ne faut pas se servir de la musique seulement pour ces utilités particulières (dont il vient de parler), mais pour bien d’autres choses, par exemple pour l’éducation et l’expiation. » L’usage de la musique pour l’expiation ! Voilà qui paraît d’abord assez étrange. « Mais, ajoute-t-il, ce que j’entends par expiation, je ne puis l’expliquer maintenant ; nous en parlerons plus clairement en traitant de la poétique. » L’expiation à propos de poésie ! c’est pourtant bien le mot dont il se sert[10], le mot emprunté aux rites religieux destinés à purifier l’ame de ses faiblesses. Il y revient en effet dans sa Poétique ; et, quoique la partie de l’ouvrage où il développait pleinement sa pensée soit perdue, néanmoins cette pensée se montre bien décidément arrêtée, car c’est encore par la même expression mystique qu’il la rend : « La tragédie est, dit-il, la représentation d’une action intéressante, complète,… qui accomplit (en nous) par la pitié et la terreur l’expiation de ces passions et de toutes autres semblables. » Il ne s’agit pas ici, comme les stoïciens l’ont entendu, et comme notre grand Corneille aussi l’a compris, de dompter en nous la crainte et la compassion, de nous y rendre insensibles, puisque, selon le philosophe, la première condition imposée à la tragédie par sa nature, c’est de les réveiller au contraire, de les exalter même, afin de les expier. Il faut donc prendre ce mot expier dans son sens propre ; en effet, si on l’applique au drame sophocléen, on trouvera qu’il en définit admirablement le génie.

Si l’on considère l’expiation, non dans les rites dont on l’accompagnait, mais dans le travail interne qu’elle remue au fond de la conscience, elle consiste en ceci : que l’ame, regardant les faits nuisibles de sa vie passée, les répudie ; qu’elle cherche à se défaire des instincts égoïstes, des entraînemens inconsidérés, en un mot des imperfections morales et intellectuelles contraires à l’harmonie des choses ; qu’ainsi à la vue du réel, elle s’élance vers l’idéal, et, contristée par le désordre, cherche à se coordonner à la loi. C’est une réaction de nos facultés sur elles-mêmes, en vertu de laquelle les tendances contraires se séparent, les idées unitaires, éternelles, harmonieuses, prenant leur vol, et planant au-dessus des innombrables et mobiles désaccords de la vie. Il en est de l’ame introduite dans ces hauteurs de la pensée comme du corps lorsqu’il passe d’une atmosphère impure dans un air plus vital : les principes corrompus du sang se décomposent mieux ; chaque aspiration est délicieuse, et le cœur bat par un singulier mélange d’émotion et de calme. Ainsi, l’expiation se compose de deux élémens : un sentiment vif des imperfections de la vie, et un essor de la pensée produit par ce sentiment même, pour le dominer et le ramener à l’ordre universel.

La première de ces conditions est atteinte dans la tragédie par ce qu’Aristote appelle la terreur et la pitié. On ne doit pas en ceci lui reprocher une vue trop étroite, une classification trop exclusive des sentimens qu’un beau drame peut exciter en nous ; car il ne parle pas seulement de la terreur et de la pitié, mais encore de tous les sentimens, de toutes les émotions tragiques. S’il s’occupe plus particulièrement de la terreur et de la pitié, c’est parce que ces affections se produisent en effet dans tout drame sérieux. De nos jours, il est vrai, on a inventé des systèmes pour changer tout cela. Le dégoût pour une école routinière et sans sève qui ne savait plus produire sur la scène que certaines passions stéréotypées et des personnages aussi froids que des allégories, a précipité les esprits dans un excès contraire ; on n’a plus voulu que de l’histoire pure, que de la couleur locale, des caractères analysés, un mélange d’effets tragiques et comiques, sous prétexte de vérité et de naturel. On n’en a pas été pour cela plus naturel et plus vrai, mais on a détruit la force et l’unité d’impression, c’est-à-dire amorti la puissance du drame. Les poètes grecs ont mieux compris la nature du théâtre. Par cela seul qu’elle se produit sur la scène, et qu’elle parle à des hommes assemblés, c’est l’émotion que la poésie doit nécessairement chercher. L’étude rigoureuse de l’histoire, l’analyse philosophique des singularités des caractères humains, sont un excellent sujet de méditation pour la solitude et le recueillement du cabinet ; mais la foule veut être émue, c’est par là seulement qu’on a prise sur elle. Elle ne peut être émue que par des spectacles qui la fassent réfléchir sur elle-même ; il faut donc faire vibrer certaines cordes qui rendent le même son dans nous tous, et faire saillir du sein des accidens multiples de l’histoire les faits généraux de la destinée humaine. Une certaine généralité n’implique point la monotonie ; le nombre des passions est limité sans doute, mais leurs nuances, leurs secousses et leurs effets dépendent du milieu où elles s’agitent, et sont par conséquent aussi variés que l’histoire même.

Ainsi le tableau, infiniment divers dans son unité, des misères et des faiblesses humaines, exposé avec des circonstances graves, terribles, pour mettre en jeu toutes les énergies qui, dans le cours ordinaire de la vie, dorment dans le cœur de l’homme, voilà le premier élément du drame tragique ; mais ce tableau, par ce qu’il a de général et de commun à tous, touchera aux plus hautes questions de notre existence. C’est au poète de faire jaillir par intervalles ces idées dogmatiques sur son drame, comme des clartés du monde supérieur, comme des jets de pensée lancés dans l’infini. L’esprit alors se sent porté bien au-dessus des choses qu’on lui montre ; les sentimens qui l’agitent, la crainte et la pitié que l’intelligence de son propre destin lui fait éprouver, perdent en partie leur trouble, leur amertume, leur découragement ; il ne voit plus seulement les faits, mais aussi la loi des faits ; une part de contemplation religieuse se mêle aux sentimens qui l’affectent. Alors, dans cette élévation morale, l’ame se sent plus au large, et respire un bien-être intellectuel dont le souvenir est certainement favorable aux plus nobles tendances qui soient en nous. C’est l’extase morale par laquelle l’esprit se dégage pour un moment du sein des choses finies (ἔκστασις, dégagement) ; c’est ce que nous avons défini, religieusement et philosophiquement tout à la fois, sous le nom d’expiation, car, je le répète, l’expiation, comme phénomène interne de notre ame, n’est pas autre chose.

Voilà Sophocle, voilà comment il est le type complet du drame sérieux. Entendons-nous cependant ; je ne prétends pas lui attribuer une perfection absolue. L’admiration, qui est à l’esprit ce que l’amour est à la volonté, s’abandonne aisément à l’exagération des louanges, dans ces momens surtout où la contemplation, pleinement goûtée, gonfle le cœur des plus douces larmes. Il ne faut pas pourtant que la vue du jugement s’obscurcisse. Quant à la peinture des choses de la vie, on peut citer, dans les théâtres modernes, des tableaux plus forts, plus caractérisés, plus variés que ceux de Sophocle. Porté par le mouvement d’une société qui acquérait chaque jour de nouvelles richesses d’intelligence, il fut plus grand que ses prédécesseurs ; il se peut que, par la même raison, certains hommes, représentant des époques plus avancées, viennent à le surpasser à leur tour sous quelques rapports. Il en sera de même quant à ces idées générales qui, pénétrant le drame, doivent élever le spectateur du monde des faits passagers au monde des lois éternelles : aujourd’hui, par exemple, enrichis d’une foule d’idées produites par l’époque chrétienne, nous pourrions espérer un poète qui, s’en étant incorporé la substance, projetterait sur le drame des lumières bien plus vives que celles de l’antiquité. Mais, enfin, si ces deux élémens n’ont pas dans Sophocle toute leur puissance, au moins ils y sont, et ils y sont avec toute la puissance possible de ce temps-là ; ils y sont dans leur rapport vrai, l’un exaltant l’autre, la pensée spiritualisant les faits, de sorte que la tragédie se voit là comme une inspiration sociale des plus importantes, comme une création religieuse, non pas religieuse à cause de certaines formes, mais religieuse par sa signification la plus intime, par ses effets sur les ames, religieuse comme elle peut l’être, comme elle devrait l’être dans tous les temps et dans tous les pays.

Le Philoctète et l’Ajax sont deux pièces qui peuvent très bien rendre ces idées palpables. La première est la représentation du mal physique, la seconde est celle du mal moral, l’un et l’autre portés à leur comble. Dans la première, le mal physique extrême, qui ne dépend pas de notre volonté est montré comme un moyen d’épreuve et de perfectionnement, et il obtient sa récompense ; dans la seconde, le mal moral extrême, représenté par la folie, aberration complète de toutes les facultés qui sont le privilége de notre nature, est montré comme le résultat de l’abus volontaire des avantages naturels, et, à cause de ce caractère volontaire, se trouve finalement puni sans miséricorde : à peine le coupable obtient-il la sépulture, dont la privation était, chez les anciens, l’équivalent d’une véritable damnation.

Le drame de Philoctète ne représente donc qu’une expiation suivie de la glorification ; cette pensée mystique en est le fond et en constitue l’unité. Que fait Philoctète dans toute la durée de cette tragédie ? Il maudit ses douleurs ; il en accuse Ulysse, un homme, un simple instrument de la Providence ; il veut aller se reposer dans sa chère patrie. Voilà toute la pièce jusqu’au dénouement, et ce dénouement, quel est-il ? Le parfait redressement des erreurs, des faiblesses, des désespoirs de Philoctète. Hercule descend du ciel vers l’ami qu’il protége : il vient lui apprendre que la souffrance n’est pas ce qu’il pense, une fatalité aveugle qu’il peut maudire, mais un moyen dont il faut user ; qu’il ne doit pas en accuser les hommes, mais l’accepter de la volonté des dieux pour en retirer le bien ; qu’enfin il ne doit pas s’y dérober par la fuite et se réfugier dans l’inertie, mais profiter de la force qu’il y a puisée pour courir à de nouveaux combats. — D’abord, dit à Philoctète cette apparition céleste, je veux te rappeler à mon propre exemple. Combien n’ai-je pas souffert, que d’épreuves n’ai-je pas traversées pour atteindre à cette vertu immortelle dont tu me vois actuellement revêtu ! Eh bien ! toi aussi, sache-le bien, tu as une dette de douleurs à payer, et par ces douleurs même tu te feras une vie pleine de gloire. Va donc à la cité troyenne : là, tu seras guéri de cette maladie cruelle, ton courage te portera au premier rang de l’armée ; tu tueras de mes flèches Pâris, qui fut la cause de ces maux, tu détruiras sa ville… C’est par mes flèches qu’elle doit périr une seconde fois. Mais que personne n’oublie, dans cette destruction, la piété envers les dieux ! Tout le reste est peu de chose aux yeux du Dieu suprême ; mais la piété accompagne les hommes jusque dans la mort, et, pendant la vie comme au-delà de la tombe, elle n’est jamais perdue. » Ainsi la vertu du premier expiateur se communique au second ; celui-ci hérite des flèches sacrées, pour combattre et vaincre à son tour, la città dolente[11], déjà vaincue une fois par son maître et son modèle.

Ajax, c’est la force insolente, le courage révolté, qui ne croit rien devoir aux hommes ni au ciel ; c’est celui qui fait de soi-même son but, et qui, débouté, de ses prétentions aux armes d’Achille, s’indigne de voir cette récompense passer aux mains d’Ulysse, du conseiller intelligent, zélé, persévérant, dont la sagesse a tant de fois sauvé l’armée. Son orgueil exaspéré veut se venger de la société qui semble lui avoir dit : — Tu n’as travaillé que pour toi ; nous ne te devons rien. — Mais dans cette vengeance même éclatera son châtiment. Minerve, la sagesse divine, lui trouble l’esprit, lui fausse le regard et le frappe de folie. Il croit, la nuit, massacrer ses juges, et il ne massacre que des troupeaux de bœufs et de moutons ; il croit avoir enchaîné son plus grand ennemi, Ulysse, et le flageller : il ne flagelle qu’un bœuf. Sophocle excelle à ouvrir un drame avec majesté, hardiesse et originalité : dans celui-ci, vous voyez d’abord Minerve qui montre à Ulysse les extravagances d’Ajax. « Viens, lui dit-elle, je vais te rendre témoin de cette éclatante malédiction, afin que tu la publies parmi les Grecs. Ne crains rien, reste ; je frapperai ses yeux d’aveuglement, et il ne te verra pas. » Elle appelle Ajax, qui lui répond comme un insensé, en fouettant toujours l’animal qu’il prend pour Ulysse. Ce tableau tragiquement grotesque, cette déplorable dégradation d’un héros, touche Ulysse de compassion, et lui inspire un triste retour sur le néant des choses humaines. « Tu vois, lui dit Minerve, ce que c’est que la puissance divine !… — J’ai pitié de ce malheureux, répond Ulysse. Il est mon ennemi, mais le châtiment qui pèse sur lui me fait penser à ce que je suis moi-même. Je le vois, nous ne sommes rien que de vains simulacres ; nous tous tant que nous sommes, rien que des ombres sans réalité ! — Ainsi donc, lui dit alors Minerve, maintenant que tu as vu un pareil exemple, garde-toi de prononcer jamais une parole superbe contre les dieux, et ne t’enorgueillis pas d’avoir plus de force ou de richesse qu’un autre ; car il ne faut qu’un jour pour faire descendre et remonter toutes les choses humaines. Les dieux chérissent les hommes qui se modèrent, et les violens leur font horreur. » Bientôt Ajax retrouve un moment lucide ; alors son étonnement, sa honte, son désespoir, l’oppriment à la fois. Jadis son père lui avait dit : Mon fils, tâche de vaincre, mais demande toujours aux dieux la victoire ; et il avait répondu : Mon père, avec les dieux, un lâche aussi peut vaincre ; moi, je ne veux devoir ma gloire qu’à moi-même. Minerve, au milieu d’une bataille, lui avait dit : Viens, c’est par là qu’il faut tomber sur l’ennemi ; et il avait répondu : Déesse, allez-vous-en secourir les autres ; l’ennemi n’enfoncera jamais les rangs où je commande. Maintenant que son langage est autre ! Non-seulement il reconnaît la main divine qui le frappe, mais il va même jusqu’à reconnaître, pour la première fois de sa vie sans doute, qu’il y a aussi un principe d’autorité parmi les hommes. C’est avec une rage concentrée et une amère ironie que cet aveu lui échappe, mais enfin il échappe : « À l’avenir, dit-il, nous saurons donc qu’il faut obéir aux dieux, qu’il faut même respecter les Atrides. Ils sont nos chefs, il faut donc leur obéir. Pourquoi pas, après tout ? La nature entière ne donne-t-elle pas l’exemple de l’obéissance ? N’y a-t-il pas partout des lois supérieures qui gouvernent les plus grandes choses, et qui établissent l’harmonie des hivers et des étés, des jours et des nuits, des vents et des mers, du sommeil et de la veille ? » Voilà ce qu’il va savoir à l’avenir, mot d’une profonde amertume, car il est déjà décidé à mourir, il a déjà donné le baiser d’adieu à ses enfans. L’habitude d’un caractère rebelle est trop invétérée, il ne peut se dompter qu’en mourant. Et pour montrer par un dernier trait combien l’esprit d’ordre et de modération est supérieur aux fougues même les plus éclatantes, c’est Ulysse qui intercède pour les restes inanimés de son rival, et qui obtient pour lui les derniers honneurs dont Agamemnon voulait le laisser indignement privé.

Dans Électre, une autre idée se fait jour, aussi instructive et plus terrible. Une désobéissance de Philoctète a été punie par le premier degré de la douleur, le mal physique ; l’impiété d’Ajax a été châtiée plus sévèrement par le dérangement de l’esprit, et cependant il y a pis encore : c’est lorsque les crimes sont punis par d’autres crimes. De pareils faits se présentent fréquemment dans l’histoire des révolutions humaines ; il n’est personne à qui il ne soit arrivé de sentir son ame péniblement affectée en se trouvant en présence de ce problème moral qui trouble la conscience, et laisse le jugement suspendu entre deux abîmes. Le crime provocateur est heurté par le crime vengeur : on doit exécrer l’un et l’autre, et pourtant il y a là, en définitive, une justice mystérieuse entrelacée avec l’injustice, une complication de moralité dans les actions les plus immorales. Telle est la pensée de la tragédie d’Électre. Le meurtre d’un époux puni par celui d’une mère, voilà l’image horrible qui se dresse peu à peu dans cette pièce, s’agrandit, se précipite, et retombe dans le sang. Toutes les circonstances qui peuvent adoucir l’inexcusable pensée du parricide sont présentées avec une extrême vigueur, de sorte qu’elles produisent bientôt dans le lecteur un pénible sentiment d’incertitude. Électre a toujours sous les yeux le spectre de son père assassiné par sa mère ; « le jour, elle se frappe la poitrine jusqu’au sang ; toute la nuit, son lit fatigant n’entend que des lamentations, tant elle pleure son malheureux père, Agamemnon, dont Clytemnestre et son complice adultère ont fendu la tête d’un coup de hache, comme des bûcherons dans la forêt fendent un chêne. » La violence de ses sentimens est telle, qu’elle se croit poussée par une fatalité invincible. « J’ai honte, mes amies, j’ai honte de mes plaintes excessives ; mais c’est une force de nécessité qui m’entraîne. Avoir vu l’odieuse conduite de ma mère, être l’esclave des meurtriers de mon père, subir leurs bienfaits et leurs refus, voir Égisthe s’asseoir sur le trône de mes aïeux, se revêtir des ornemens de celui qu’il a tué, partager le lit de ma misérable mère, la voir elle-même rire de son crime et des vengeances du ciel, célébrer par des danses et des sacrifices l’anniversaire de son perfide assassinat, tandis que moi seule je pleure, je me morfonds dans ma haine, je m’abreuve d’affronts et de reproches, j’attends Oreste, mon frère, mon vengeur, qui promet toujours et n’arrive jamais !… Ah ! mes chères amies, dans une pareille situation, il n’y a pas de prudence, il n’y a pas de religion qui résiste : l’horreur des crimes nous force à chercher le crime à notre tour. » Non-seulement le caractère et la situation d’Électre, mais le ciel même semble la justifier d’avance, car il a troublé Clytemnestre d’un songe prophétique, et le chœur s’empare de cet indice pour donner à la vengeance une couleur religieuse : « C’est la justice vengeresse qui s’annonce, dit-il, la justice armée de force ; elle arrive, ô mon enfant, elle arrive !… Le roi assassiné ne s’oublie pas dans la tombe, et la vieille hache d’airain avec laquelle on l’a si indignement immolé se souvient. Elle va venir, la furie des vengeances, rapide, puissante, quoique encore cachée dans ses redoutables embuscades ! » Ces détails vous inspirent donc peu à peu pour Électre une certaine sympathie mêlée d’horreur qui froisse l’ame ; mais le poète va l’augmenter encore, car il veut, par les émotions les plus contraires, vous faire sentir tout ce qu’il y a de déchiremens et d’angoisses dans certaines situations de la vie. Voici donc Clytemnestre elle-même à qui on annonce la mort supposée d’Oreste, de ce fils dont on l’avait souvent menacée ; à cette nouvelle, elle ne peut réprimer un mouvement de joie et de triomphe en présence d’Électre, dont nous partageons alors l’indignation, et dont la douleur s’élève à son comble. « Eh bien ! dit-elle en voyant Clytemnestre partir, s’est-elle attristée ? a-t-elle gémi ? a-t-elle trouvé une larme, un mot de regret, à la nouvelle de cette triste fin de son fils ? Non, elle rit, et elle part. Ô malheur ! Oreste, mon frère, je meurs de ta mort. Tu as arraché de mon ame, en mourant, tout ce qui me restait encore d’espoir. Où faut-il aller maintenant, seule, sans père ni frère ? Il faut devenir esclave encore une fois, esclave de ces assassins que je hais. Eh bien ! me trouve-t-on assez heureuse ? Mais non, jamais je n’irai plus sous leur toit ; ici, à leur porte, étendue sur la pierre, je vais consumer ce qui me reste à vivre, abandonnée de tous. Après cela, qu’ils me tuent si je les gêne : ce sera un bienfait ; la vie ne m’est plus qu’une charge, je ne veux plus de la vie ! »

Ce n’est pas tout. Plus nous avançons, plus ce terrible caractère nous intéresse : tout le relève, sa résolution de braver ses ennemis et de faire elle-même ce qu’elle attendait d’Oreste ; les fières exhortations qu’elle adresse à sa sœur, plus raisonnable et plus timide ; les plaintes touchantes qu’elle répand sur l’urne qu’elle croit contenir les cendres de son frère ; l’admirable reconnaissance qui en est la suite. Jamais peut-être les richesses du génie dramatique n’ont été répandues avec autant de profusion ; on suit, le cœur serré, la marche emportée du poète ; on ne sait s’il faut aimer ou haïr ; la raison étonnée ne se rend plus compte de rien, jusqu’à cet effroyable moment où s’entendent le cri lointain de Clytemnestre frappée par son fils et lui demandant grace, et le cri plus terrible encore d’Électre qui répond : « Frappe, frappe encore une fois ! » Il est temps alors qu’une pensée morale vienne jeter sur ce spectacle une lumière quelconque, fût-elle sombre et désolante ; l’esprit sent le besoin de s’élever de quelque manière au-dessus du fait brutal d’une pareille catastrophe. Le chœur se charge aussitôt de la conclusion : « La malédiction est accomplie, s’écrie-t-il ; ils vivent donc, ceux que la terre a déjà reçus dans son sein ! Ils tirent beaucoup de sang à leurs meurtriers, ces morts depuis si long-temps disparus ! » Ainsi c’est Agamemnon lui-même qui se venge par ses enfans ; c’est le châtiment qui veille encore sur les crimes que le tombeau semblait avoir engloutis, et qui sait attendre long-temps, parce qu’il n’oublie jamais : la vieille hache du meurtre n’avait pas perdu la mémoire !

Les trois pièces dont il nous reste à parler forment ensemble une trilogie selon le système de l’ancienne tragédie. Peu importe qu’elles aient été composées à différentes époques ; elles n’en reposent pas moins sur une seule base, l’histoire de la famille d’Œdipe, et les trois termes y ont leur signification théologique très clairement déterminée.

La première, Œdipe-Roi, s’explique d’elle-même par les vers qui la terminent. « Voyez, s’écrie le chœur, voyez cet Œdipe qui savait interpréter les fameuses énigmes, qui était puissant parmi les hommes, qui ne s’inquiétait ni des jalousies ni des richesses de ses concitoyens ; par quel flot d’horrible infortune il se voit emporté ! Ainsi donc, vous qui êtes mortels, attendez votre dernier jour, et ne vous croyez jamais heureux, jusqu’à ce que vous ayez atteint le terme de votre vie sans rencontrer la douleur. » Le mythe d’Œdipe montre donc l’homme tombé pour s’être élevé trop haut par la science, et il a des rapports marqués avec celui de Prométhée. Tous deux avaient voulu révéler aux hommes les mystères dont la théocratie orientale entendait rester la seule interprète ; tous deux représentent une révolte de la population indigène contre la caste d’origine étrangère ; tous deux furent proposés comme exemples du châtiment réservé à la curiosité indiscrète et rationaliste, qui n’en triompha pas moins plus tard. Cela est exprimé, d’une manière remarquable dans un autre chœur d’Œdipe-Roi : « Si quelqu’un, dans l’audace de son orgueil, transgresse la loi par ses actions ou par ses paroles, et profane les sanctuaires des dieux, qu’il périsse, et que ce soit là le fruit de ce misérable plaisir ! Qu’il périsse, s’il ne borne pas son ambition par la justice, s’il ne s’abstient pas des profanations, si, dans sa folie, il ose mettre la main aux choses qu’il est défendu de toucher !… Ô Jupiter ! roi du monde, regarde, et que ton immortelle puissance ne ferme pas les yeux ; car déjà les oracles semblent périr, la gloire d’Apollon s’obscurcit, la religion s’en va ! »

La seconde pièce de la trilogie thébaine repose, comme dans toutes les autres trilogies, sur le dogme de l’expiation. Dans la chute d’Œdipe, la curiosité et l’ambition n’étaient pas seules en cause ; la femme y jouait aussi son rôle, et de telle manière que toute la race de ce malheureux se trouva frappée d’une souillure originelle qui la condamnait à périr. Antigone est tout ce qui reste de cette race, c’est elle qui fournit à Sophocle le sujet de son poème sur l’expiation ; mais le poète, en s’emparant de cette doctrine, la traite avec de si belles circonstances, que rien dans la philosophie ancienne n’a jamais surpassé les idées morales qui jaillissent de son drame d’Antigone.

Les deux fils d’Œdipe se sont tués l’un l’autre. Créon, devenu maître de Thèbes, refuse la sépulture à l’un d’eux ; mais Antigone ne peut supporter la pensée que son frère soit déchiré par les chiens et les oiseaux de proie, et, bravant la peine de mort dont elle est menacée, elle se résout à l’ensevelir malgré la défense du roi. Chez nous, la sépulture est encore et sera toujours un rite sacré, une chose religieuse, sans avoir cependant la même importance que chez les anciens. L’immortalité pour nous repose dans l’ame. Chez les anciens, l’idée de l’ame n’était pas bien définie ; on la sentait sans l’avoir encore nommée ; elle était dans cet état d’enveloppement dont les conceptions humaines travaillent lentement à sortir par le progrès des langues et le mouvement de l’histoire. C’est pourquoi, dans la croyance encore vague de l’antiquité, le sort de l’ame était en quelque sorte lié à celui de la matière organique ; le dogme, encore à l’état concret, avait pour corps, pour expression sensible, le fait de la sépulture, et cette cérémonie était, si je puis dire ainsi, le sacrement de l’immortalité. Voilà ce qui explique les innombrables tombeaux qui sont les plus vieux monumens de notre race ; la Chine, le Thibet, l’Assyrie, la Lydie, la Grèce, toute l’Europe, toute l’Amérique, n’ont que des tumulus pour tradition de la pensée primitive ; l’Égypte et le Mexique écrivirent cet oracle en pyramides de pierres ; il semble que l’humanité soit née en proclamant qu’elle ne mourrait pas, et qu’elle ait voulu laisser cette première et féconde parole ineffaçable sur toutes ses demeures. C’est aussi ce qui explique l’effet terrible des refus de sépulture, et, sans sortir de la légende d’Antigone, on sait que le refus de Créon d’enterrer les morts argiens provoqua une nouvelle guerre, qui aboutit à la prise de Thèbes par Thésée.

Or, c’est à ce dogme que la jeune Antigone se sacrifie. On avait déjà vu des hommes se sacrifier à l’amitié, à l’amour, à la patrie, à quelque sentiment personnel ayant une passion pour mobile, un objet spécial et matériel pour but ; mais Antigone s’immole à un principe : voilà la merveille du drame de Sophocle, voilà sa nouveauté radieuse. Il n’y a pour Antigone ni intérêt, ni espérance, ni aucune compensation que celle d’avoir fait son devoir. La scène de son interrogatoire semble un extrait de quelque martyrologe chrétien des premiers siècles de l’église. Est-ce trop dire ? méditez ce dialogue où sa fierté calme fait si bien contraster la force de l’ame qui résiste avec la force matérielle qui opprime. Elle a enseveli son frère malgré la défense de Créon ; on la traîne devant lui, et les soldats font leur rapport. « Eh bien ! lui dit Créon, toi qui baisses les yeux maintenant, reconnais-tu la vérité de ces faits ? — Je la reconnais, répond Antigone, et je n’en désavoue rien. — Créon : Parle-moi sans détours, connaissais-tu la défense que j’avais fait publier ? — Antigone : Je la connaissais. Pourquoi ne l’aurais-je pas connue ? elle était assez publique. — Créon : Et pourtant tu n’as pas craint de la fouler aux pieds ? — Antigone : Mais cette défense ne me venait pas de Dieu ; elle ne m’avait pas été imposée par la divine justice qui habite avec les morts, et qui a donné aux hommes les lois du tombeau. Et je ne croyais pas que tes ordres eussent tant de force, qu’ils pussent obliger un mortel à transgresser les lois non écrites, mais inébranlables de la Divinité. Ces lois ne sont pas d’aujourd’hui ni d’hier, elles vivent éternellement, et nul ne sait qui nous les a révélées. Je n’ai donc pas dû, craintive devant l’orgueil d’un homme, m’exposer au châtiment qu’attire leur violation. Je savais bien (et comment ne l’aurais-je pas su ?) qu’il me faudrait mourir, je le savais, quand même tu ne l’aurais pas proclamé d’avance ; mais que m’importe ? mourir avant le temps, ce n’est pour moi qu’un avantage de plus. Celui qui vit, comme moi, dans un abîme d’infortunes, comment ne gagnerait-il pas à mourir ? Pour moi donc, subir un tel destin, ce n’est nullement un malheur ; mais si j’avais laissé sans sépulture le cadavre du fils de ma mère, c’est alors que j’aurais été malheureuse. Maintenant je n’ai point à me plaindre. Quant à toi, appelle si tu veux ma conduite une folie ; mais ce sera une plus grande folie peut-être qui me fera ce reproche. »

Je ne sais où l’on pourrait trouver quelque chose de plus grand que cette réponse si simple, si digne et si péremptoire. Vous avez là un discours tout naturel dans sa marche, sans enflure dans l’expression, conforme à l’âge, au caractère et à l’événement, en un mot parfaitement réel ; mais la pensée qu’il met au jour s’élance bien au-delà de la vie, bien au-delà de la situation, même d’Antigone, quelque saisissante qu’elle soit. Vous avez là cette expiation de la terreur et de la pitié, selon le sens que nous croyons avoir été celui d’Aristote, c’est-à-dire une situation vraie, humaine, touchante, sur laquelle rayonne un trait de haute philosophie qui l’idéalise et la rend sublime. Aujourd’hui que le christianisme a tant déployé de beautés morales de ce genre, les paroles d’Antigone nous émeuvent encore ; qu’était-ce donc quand elles jaillirent toutes neuves au milieu d’Athènes ? La loi de Dieu, non écrite, mais fermement établie par une révélation interne dont l’origine se perd dans les origines de l’humanité, voilà la seule loi qu’Antigone reconnaisse ; elle la sépare des formes, des conventions, des lois passagères. Et quelle est ici cette loi de Dieu ? Le respect des morts fondé sur l’espérance de les retrouver un jour, car c’est là ce qu’Antigone a déjà dit à sa sœur : « Oui, je l’ensevelirai ; à ce prix il me sera beau de mourir. Aimée alors, j’irai rejoindre le frère que j’aime, par suite d’une sainte rébellion ; car c’est aux morts qu’il nous importe de plaire ; nous serons plus long-temps avec eux qu’avec les vivans : c’est pour toujours ! » L’avenir qu’elle pressent la rend donc invincible, car, dès que cet avenir est admis, la mort est peu de chose en présence du devoir. Enfin sa dernière maxime sur la folie du dévouement, « plus sage que la sagesse vulgaire, » rappelle d’assez près une célèbre expression de saint Paul, pour que le rapprochement n’en soit pas sans valeur.

Mais là n’est point encore, selon nous, ce qu’il y a de plus remarquable dans le personnage d’Antigone. Cette jeune fille n’est pas seulement la victime d’un principe ; elle en est la victime volontaire, elle offre le premier exemple de la lutte victorieuse d’une volonté mue par la foi contre les instincts purement naturels. Son héroïsme n’a aucune raideur, ne trahit rien de factice. Au moment où on va la traîner au lieu fatal, toute son ame frémit, elle pleure sa jeunesse et ses espérances, elle voudrait repousser loin d’elle ce lit nuptial qu’on lui prépare et qui n’est qu’un tombeau. Cependant sa résolution ne chancelle point pour cela, et sa mort est véritablement un triomphe de quelque chose de divin sur la nature, une négation de la fatalité. Dans Eschyle la fatalité se montre comme une force extérieure aveugle ou tyrannique, qui écrase l’homme, et l’homme n’accepte la souffrance que comme forcée, ou plutôt il ne l’accepte pas, il la subit avec malédiction : de là un sentiment dur et pénible. Chez Euripide, la fatalité est dans le cœur même ; l’homme se livre à ses instincts de fureur ou de faiblesse, il ne sait ni vaincre ses passions ni se résigner à ses misères : de là trop de choses larmoyantes et lamentables. À Sophocle appartient la gloire d’avoir deviné, au moins dans Antigone, ce combat intérieur de l’ame qui suppose et résume toute une vaste doctrine. Ici, l’homme est peint dans le vrai et dans l’idéal, il est faible et fort, il plie et ne rompt pas ; l’immolation même devient l’acte du libre arbitre et sa manifestation la plus irrécusable. Or, toute grandeur humaine et toute moralité sont là-dedans ; c’est l’expiation dans le sens élevé du christianisme, dans le sens du dévouement absolu à la vérité, au devoir, à la loi de fraternité qui est la vie de la société humaine.

La troisième pièce de la trilogie doit être la fin des épreuves, la transfiguration du souffrant ; son introduction dans un monde supérieur ; c’est aussi le thème d’Œdipe à Colone. Antigone, morte dans la pièce précédente, reparaît ici ; il y a donc anachronisme dans la liaison des faits, mais c’est la liaison des idées qu’il faut observer, et de laquelle résulte la trilogie religieuse et dramatique.

Le vieillard aveugle, pauvre, livré à l’exécration publique à cause des crimes dont il porte le fardeau, sans en être réellement coupable, arrive, conduit par sa fille, aux environs d’Athènes ; il se repose sur une pierre à l’entrée d’un bois consacré aux Euménides. Dès qu’il se nomme, le peuple, épouvanté de la renommée effroyable qui pèse sur lui, veut le chasser ; mais déjà son heure est venue. Les dieux ont accepté sa longue et cruelle immolation ; il a touché le terme de sa carrière expiatoire. Déjà même des oracles l’ont réhabilité ; ils ont dit que le pays qui posséderait son tombeau serait le plus florissant, le plus victorieux : privilége de salut qui attachait à sa mémoire un caractère divin. Œdipe donc a choisi le territoire athénien pour son dernier asile, car Athènes est la ville hospitalière, la ville des réfugiés, la ville de la vierge Minerve, qui compatit et qui absout. Thésée, roi d’Athènes, a défendu le vieillard contre la superstitieuse colère du peuple : c’est pourquoi Œdipe, reconnaissant, veut assurer la prospérité future de ce pays. Vainement les Thébains, instruits de cet oracle de prédestination, viennent supplier Œdipe, qu’ils ont chassé, de rentrer dans leurs murs ; vainement ils s’efforcent même de l’enlever malgré lui, leur retour intéressé ne lui inspire qu’une juste indignation ; il abandonne à leur sort les ingrats qui l’ont persécuté, et porte à une autre nation la puissance attachée à la possession de ses os. C’est un éloge mérité que Sophocle fait ici de sa patrie. Les Athéniens étaient légers, inquiets, remuans, nais aussi généreux, amis des étrangers et pleins d’accueil pour les proscrits. Ce fut leur bonheur et leur gloire, car chez eux les races se mêlèrent : de là l’importance attachée à la valeur personnelle plutôt qu’à la descendance ; de là l’estime des talens, l’essor des arts, les hardiesses de la pensée. Il faut en effet, pour que le génie règne chez un peuple, que ce peuple ne soit pas trop homogène par le sang, les intérêts, la matière.

À mesure que le dénouement approche, les idées s’élèvent, quelque chose de grand se laisse entrevoir au fond d’un vague mystère ; Œdipe sent des frémissemens qui lui annoncent l’approche des dieux ; la nature même sait quelque chose, car elle s’émeut ; de fréquens éclairs et des coups de tonnerre ébranlent le bois sacré, et forment l’accompagnement divin de la scène qui se prépare. Le vieillard se lève ; il va s’enfoncer dans le bois redoutable. Aveugle, il n’a plus besoin de guide ; une lumière surnaturelle brille dans son ame et le conduit. « Suivez-moi, dit-il, vous qui me meniez par la main ; c’est moi qui vais maintenant vous conduire. Venez, et ne me touchez pas ; je trouverai moi-même la tombe sacrée qui doit me recevoir. Ici, c’est par ici ! Venez, marchez, les dieux me conduisent. Ô lumière si long-temps obscurcie, où étais-tu ? Je te retrouve à ce moment suprême ! » Bientôt il arrive au lieu fatal ; il se lave en signe de purification ; il se dépouille des lambeaux dont la misère l’avait revêtu, symbole de l’humanité dégradée, et prend un vêtement nouveau, symbole de rénovation. Après un autre coup de tonnerre, il se fait un silence ; une voix l’appelle, une voix qui fait dresser les cheveux sur toutes les têtes. Œdipe adresse son dernier adieu à ses fils, à ses amis, il les renvoie ; et lorsque, de loin, ils se retournent pour le revoir une fois encore, il a disparu. Thésée seul, qui était resté près de lui, se trouvait encore là, immobile, la main sur les yeux, car une lumière éblouissante avait éclaté, « peut-être au ciel, peut-être à travers la terre entr’ouverte, dit le poète ; mais enfin Œdipe était enlevé, sans gémissemens, sans maladie, sans douleur. »

Telle est la pensée du dernier drame de Sophocle. Lui aussi, il était un vieillard lorsqu’il le composa ; son génie immortel allait, comme Œdipe, se dépouiller de sa mortelle enveloppe, et répondre à cette voix de l’éternité dont il connaissait déjà la langue. Pouvait-il mieux finir sa carrière poétique ? Ne semble-t-il pas avoir disparu, lui aussi, dans ce magnifique orage d’une dernière inspiration ? Comme Œdipe encore, il attacha un sentiment de vénération particulière à sa tombe, car les ennemis d’Athènes la respectèrent même au milieu de la guerre et des opérations d’un siége, et ses compatriotes, pour sa vertu autant que pour son talent, instituèrent des sacrifices annuels en son honneur. C’est que sa vie avait été vraiment fructueuse, car il avait trouvé dans la religion de son temps des germes qui en préparaient une meilleure pour l’avenir.

Voilà Sophocle tel que nous l’avons compris. Quant à son mérite purement littéraire, ce serait peut-être se traîner dans des lieux communs que d’en parler ici. Qui ne sait qu’il fût appelé l’abeille à cause de la douceur et de la grace harmonieuse de son langage ? Qui ne sait qu’à cette douceur et à cette grace il ajoute, quand il le faut, l’énergie pittoresque, la majesté, la rapidité de l’expression ? Qui ne sait que ses chœurs sont le plus souvent un intraduisible mélange de mélodie, de méditation et de tendresse, un chant divin qui vibre et flotte doucement dans l’air au dessus des agitations humaines, et qui produit, sur nos imaginations l’effet de ces groupes d’anges que les peintres placent dans le ciel au-dessus de la scène d’un martyre ? Le style n’est pas tout l’homme, mais il est du moins l’expression de l’ame du poète, il est sa physionomie intellectuelle ; dès-lors, qui pourrait l’analyser ? C’est la vie même ; l’intuition directe peut seule la saisir.

Contentons-nous donc de résumer les rapports philosophiques sous lesquels nous avons voulu particulièrement envisager le drame grec. Né des cérémonies mystiques, il ne leur a pas seulement emprunté sa forme extérieure et théâtrale, mais encore il a vécu, à son origine, de la pensée même qu’exprimaient ces cérémonies. Alors l’esprit grec, muni de ce nouvel instrument qui le mettait dans un rapport plus direct avec la religion, continua et renforça son action double, déjà si nettement caractérisée dans les poèmes d’Homère. D’un côté, le drame satyrique se mit à saper la mythologie populaire plus vivement encore que n’avait fait la comédie des dieux dans l’Iliade et l’Odyssée ; de l’autre, le drame sérieux, étudiant la vie réelle de l’homme et cherchant à l’élever au beau et au grand, accomplissait à sa manière l’œuvre de la philosophie morale. Sous cette double forme, l’esprit grec continua de soumettre à deux opérations principales l’arbre plein de sève de la religion : la critique émondait, ébranchait, et souvent même attaquait les rameaux fructueux aussi bien que les superfétations nuisibles, tandis que la poésie créatrice s’attachait de préférence à ce qu’il y avait dans les croyances de vrai et de vivace ; elle en arrosait le tronc impérissable de ses flots d’inspirations, puisés dans les profondeurs de l’ame émue ; elle en nourrissait la substance intérieure, en attendant que l’écorce tombât et se renouvelât d’elle-même, car c’est la fonction de la poésie de créer les types du beau et du bon ; l’abstraction ne vient qu’après, pour traduire ces types en formules, qu’elle lie ensuite en systèmes et constitue en science.

Il y eut donc chez les Grecs une philosophie du drame sérieux analogue et peut-être supérieure à ce que nous appelons aujourd’hui la philosophie de l’histoire ; car que faisait-elle dans la tragédie ? À quoi s’attachait-elle ? À quelques faits, les plus généraux de tous : action réciproque de la Providence et de l’homme, loi du progrès par le sacrifice, glorification de la vie à travers la mort. Ces faits-là sont les générateurs de toute loi morale et de toute société ; ils agissent chaque jour et partout où deux êtres humains vivent ensemble. C’est en montrant ou en laissant entrevoir cette philosophie au fond de ses drames, que le théâtre tragique atteignit, chez Sophocle surtout, cette beauté qui tient à la fois de la terre et du ciel, de la vérité imitative et de la vérité abstraite, du fini et de l’infini. C’est pourquoi le génie de Sophocle nous apparaît, non comme un phénomène de perfection absolue qui devrait désespérer l’émulation, mais comme un germe complet de ce que le drame doit être. N’est-ce pas en effet dans cette philosophie qu’est la source de toute puissance dramatique ? Quand voyons-nous l’émotion devenir contagieuse et l’admiration unanime ? N’est-ce pas lorsque ces grandes idées des luttes humaines, du sacrifice, de la nature vaincue, de l’ame douloureusement triomphante, éclatent dans la situation ou les paroles d’un personnage ? Le drame tragique est donc une œuvre essentiellement religieuse ; il a ce privilège au-dessus de toute autre poésie, que pour lui la beauté littéraire et la beauté morale sont une seule et même chose. Aussi toutes les gloires de premier ordre acquises par des œuvres tragiques ceignent des têtes que l’idée religieuse ou philosophique a fortement préoccupées : Eschyle, Sophocle, Shakespeare, Corneille, Racine. Le théâtre fut grand en ces temps-là ; il pourrait le devenir encore, si nos poètes retournaient sérieusement à cette vieille et forte philosophie.


L.-A. Binaut
  1. Origines du Théâtre, t. I.
  2. Voyez la livraison de la Revue du 15 mars 1841 ; l’article sur Sophocle et la Philosophie du drame chez les Grecs forme une suite naturelle à celui sur Homère et la Philosophie grecque, inséré l’année dernière.
  3. A. W. Schlegel, Cours de littérature dramatique.
  4. Barthél. Voy. d’Anach., ch. LXIX.
  5. Héraclide de Pont, qui essaya de justifier Homère par voie d’allégorie, disait (Proœm. allegor.) : « Homère pourrait passer pour un Salmonée, pour un Tantale, ayant une langue déréglée et sans frein, si ce qu’il a chanté sur les dieux n’était pas compris dans un autre sens… ησέβησε, εἷ μὴ ἠλληγόρησε. »

    D’un autre côté, dans l’Apothéose d’Homère, bas-relief célèbre (Musée Pio-Clém., t. i), la comédie est représentée, aussi bien que la tragédie, rendant hommage au prince des poètes, et Visconti remarque que la comédie a bien aussi sa part dans les poèmes homériques. A. W. Schlegel a aussi entrevu cette idée : « Le germe de la poésie satyrique, dit-il, était déjà contenu dans Homère. » Où donc, si ce n’est dans les dialogues des dieux ?

  6. Συνεδροι, συνναοι θεοι.
  7. Mythol., I, 61.
  8. La plupart de ces citations, et d’autres encore, sont recueillies et rapprochées dans le Jupiter d’Emmeric David, t. I, Introduction.
  9. Antiquités mexicaines. — M. Lenoir, Religion mexicaine. — Le père Joseph Acosta, missionnaire.
  10. Κάθαρσιν, expiationem, lustrationem.
  11. Dante, Inferno.