Sonnets pour Hélène/Plus estroit que la Vigne

Sonnets pour Hélène, Texte établi par Roger Sorgéds. Bossard (p. 231-233).

III

CHANSON

Plus estroit que la Vigne à l’Ormeau se marie
De bras souplement forts,
Du lien de tes mains, Maistresse, je te prie,
Enlace-moy le corps.

Et feignant de dormir, d’une mignarde face,
Sur mon front panche toy :
Inspire, en me baisant, ton haleine et ta grâce
Et ton cœur dedans moy.

Puis appuyant ton sein sur le mien qui se pâme,
Pour mon mal appaiser.
Serre plus fort mon’col, et me redonne l’ame
Par l’esprit d’un baiser.

Si tu me fais ce bien, par tes yeux je te jure,
Serment qui m’est si cher,
Que de tes bras aimez jamais autre avanture
Ne pourra m’arracher :

Mais souffrant doucement le joug de ton Empire,
Tant soit-il rigoureux,

Dans les champs Elisez une mesme navire
Nous passera tous deux.

Là morts de trop aimer sous les branches Myrtines,
Nous verrons tous les jours
Les anciens Héros auprès des Héroïnes
Ne parler que d’amours.

Tantost nous dancerons par les fleurs des rivages
Sous maints accords divers,
Tantost lassez du bal irons sous les ombrages
Des Lauriers tousjours verds :

Où le mollet Zephyre en haletant secoue,
De souspirs printaniers
Ores les Orangers, ores mignard se joue
Entre les Citronniers.

Là du plaisant Avril la saison immortelle
Sans eschange se suit :
La terre sans labeur de sa grasse mammelle
Toute chose y produit.

D’embas la troupe sainte autrefois amoureuse,
Nous honorant sur tous.
Viendra nous saluer, s’estimant bien-heureuse
De s’accointer de nous.


Puis nous faisant asseoir dessus l’herbe fleurie,
De toutes au milieu,
Nulle en se retirant ne sera point marrie
De nous quitter son lieu.

Non celle qu’un Toreau sous une peau menteuse
Emporta par la mer :
Non celle qu’Apollon veit vierge despiteuse
En laurier se former :

Ny celles qui s’en vont toutes tristes ensemble,
Artemise et Didon :
Ny ceste belle Grecque à qui ta beauté semble,
Comme tu fais de nom.


[Pièce figurant aux Amours Diverses à partir de 1584].