A. Lemerre (p. 145-151).

LA MORT DES ROSES

Cannes.



Dans la chambre tranquille un rayon de soleil
Tombant, comme un trait d’or, des persiennes mi-closes,
Met un scintillement immobile et vermeil

Sur un bouquet de roses.


Chez le fleuriste où je les choisis l’autre jour
Une par une, avec des lenteurs coutumières,
Elles avaient le charme et l’élégant contour

Des jeunesses premières.


S’arrondissant en un délicat corselet,
Les feuilles se paraient de leur grâce frisée,
Et du cœur vierge et tendre un parfum s’envolait

Frais comme une rosée.


Depuis lors, sur leur ferme et robuste beauté
Quatre jours ont passé… pour elles cent années !
Le temps les effleura d’un vol précipité…

Et les voilà fanées.


Les voilà, parmi les flamboiements éclatants
Que le soleil accroche au grand vase de cuivre,
Mourantes, et, n’ayant vécu que peu d’instants,

Déjà lasses de vivre.


Les tiges sans vigueur, prises d’accablement,
S’amoindrissent en leur courbure molle et lente ;
Le glorieux parfum devient perfidement

D’une âcreté troublante.


Les feuilles ont perdu le velouté soyeux
Dont s’enorgueillissait la splendeur de leurs charmes,
Et, par grappes, sur le tapis silencieux

Roulent comme des larmes.


Et voici qu’en un rêve étrange, je perçois,
Tel qu’un susurrement lointain d’eaux murmurantes,
Le son grêle et plaintif de très petites voix,

Les voix des fleurs mourantes…



— « Ma sœur ! ma sœur ! comme je tremble !
Fait une pâle rosé-thé ;
Ah ! viens plus près, viens… il me semble
Me réchauffer à ton côté ! »


— « Ma sœur ! ma sœur ! comme je souffre ! »
A douloureusement gémi
Une rose d’un jaune soufre
Qui déjà se pâme à demi.

— « Ma sœur ! ma sœur ! j’ai froid dans l’âme !
Mon dernier moment est venu… »
Dit une autre, rouge de flamme,
Dont le pauvre cœur est à nu.

— « Dans le vallon où je suis née
Que n’ai-je pu mourir aussi !
Dit une rose safranée.
La mort m’eût été sans souci !

« Sans révolte, à mon tour flétrie,
Victime du sort à mon tour,
À la terre qui m’a nourrie
J’aurais été rendue un jour… »

Une candide rose blanche,
Dit : — « Moi, je rêvais d’un trépas
Plus doux… Par quelque clair dimanche,
Dans l’humble église de là-bas,

« Sur l’autel que la croix protège
Je rêvais, parmi les encens,
De m’effeuiller en pleurs de neige
Le long des cierges jaunissants… »


Une rose d’un rose tendre
Dit : — « Moi, j’avais pour idéal
De mourir — faut-il m’en défendre ? —
Sur le sein d’une femme, au bal,

« Sur le sein d’une femme blonde,
Près, tout près des clairs diamants
Qui caressent sa gorge ronde
De lumineux frémissements ! »

Une voix murmura, plus sombre,
Et comme lasse de l’effort :
— « Moi, j’avais rêvé d’être au nombre
De celles qu’on offre à la mort ;

« De celles qu’on dépose en gerbes
Sur les cercueils épais et lourds,
Et qui de leurs blancheurs superbes
Illuminent les noirs velours.

« Nobles fleurs, dont la grâce pure
Associe, aux pieds des autels,
L’éternité de la nature
Aux deuils passagers des mortels ! »

Ainsi, d’une voix chagrinée,
Les pauvres roses, humblement,
Se plaignaient de la destinée
Que leur fit un ciel inclément…


Mais l’une d’entre elles, plus sage :
— « Je sens ainsi que vous, mes sœurs,
S’effeuiller mon frêle corsage…
Avec vous je souffre et je meurs.

« Mais combien — si triste sans doute ! —
Plus triste eût été notre sort,
Si nous avions suivi la route
Qui mène aux froids pays du Nord !

« Vous devinez cette torture !
Partir rapidement, un soir,
En quelque boîte mince et dure
Jetée au fond d’un wagon noir…

« Loin, bien loin de nos rives bleues,
De la mer au flot pailleté,
Courir, courir pendant des lieues,
Courir toute une éternité…

« Puis, au fond des chambres chauffées
D’un air factice et déprimant,
Parmi les lourdeurs étoffées
Des rideaux drapés savamment,

« Une angoisse étrange, accablante,
Dans le vase aux sèches parois…
La mort enfin, lente, si lente
Que l’on croirait mourir deux fois !


« Ah ! que notre fin est plus douce
Ici, dans le pays natal !
Nous nous flétrissons sans secousse,
Loin du Nord froid, du Nord brutal…

« Le clair rayon qui nous arrose
D’un ruissellement sans pareil,
Roses, nous donne un linceul rose
Fait de lumière et de soleil !

« Soleil qui caresse et pénètre,
Soleil aux frôlements berceurs,
Soleil connu, qui nous vit naître…
Ne nous plaignons pas, ô mes sœurs ! »



La rose ainsi parlait à ses sœurs condamnées.
Un silence se fit, approuvant son discours ;
Silence ourlé du bruit fin des feuilles fanées

Tombant, tombant toujours ;


Tombant sur le tapis en molles avalanches,
Sur le tapis vulgaire, aux banales couleurs,
Qui devenait, tout pointillé de taches blanches,

Cimetière de fleurs…


Et je pensais à nos cimetières moroses
Où, dans l’apaisement des sépulcres fermés,
Dorment — car ici-bas tout meurt, hommes et roses —

Les chers êtres aimés !