A. Lemerre (p. 15-17).


LE GUEUX

Chemin de la Corniche.



Sur le roc aride et revêche
Devant la mer, en plein soleil,
Comme un triste haillon qui sèche,
Le gueux dort d’un profond sommeil.

Bras en croix, tête renversée,
Jambes pendant languissamment,
Il ronfle, brute harassée,
Sordide en son affaissement.

Débauche, paresse et misère
Habitent ce corps éreinté,
Dont une loque à peine enserre
La repoussante nudité.

Cette nuit, par maint quartier louche,
Cherchant besogne de son goût
Il a rôdé, le gueux farouche,
La main au couteau, prêt à tout.


Par les ruelles, où les bouges
Bourdonnants de chants avinés
Ouvrent dans l’ombre leurs yeux rouges,
Ses pieds meurtris se sont traînés.

Il a volé, tué peut-être…
Puis, le coup fait, brûlé d’alcool,
En quelque assommoir sombre et traître,
Ivre, il a roulé sur le sol.

Au jour, sortant de sa tanière,
Les bras lourds, le front obscurci,
Aveuglé d’air et de lumière
Il s’en est venu jusqu’ici ;

Et de cette chair polluée
Par le vice au contact impur
Semble monter une buée
De crime et de sang, dans l’azur…

Mais là-haut, dissipant la brume
Que le matin y traîne encor,
Le bon soleil pour tous allume
Pareillement son flambeau d’or.

Sans souci des besognes faites,
Ignorant du bien et du mal,
Il donne à tous les mêmes fêtes,
Pour tous son sourire est égal.


Doucement, sa clarté tranquille
Dore le sordide haillon,
Et la buée infâme et vile
S’évapore dans un rayon.