A. Lemerre (p. 115-119).


GODICHONNETTE



Un matin d’hiver engourdi,
Sentant sa bourse un peu… jeunette :
« Si je partais pour le Midi ?
Se dit soudain Godichonnette.

« Pour éviter un Waterloo
Dont la menace est torturante,
Si j’allais à Monte-Carlo
Essayer du trente-et-quarante ?

« D’ailleurs, j’ai beaucoup toussoté…
Je vais mal… le froid m’importune…
Vite ! refaisons ma santé
Tout en refaisant ma fortune ! »

Godichonnette avec entrain
De ses robes emplit trois malles
Et, le soir même, prend le train
Qui mène aux rives provençales.


Pensant avant tout au moyen
D’éviter une banqueroute,
Godichonnette ne voit rien
Tout le long, le long de la route.

Pour elle, point de flots d’azur,
Point de chaude lumière blonde :
Elle songe à son gain futur,
Et rêve aux trésors de Golconde.

Aussitôt à Monte-Carlo,
Sans hésiter, elle s’élance
Dans le douteux méli-mélo
Des joueurs pontant en silence.

D’un ami, mondain très subtil,
Qu’aux cartes personne n’égale,
Godichonnette a, paraît-il,
Une infaillible martingale.

Elle gagne, elle gagne encor.
En ses fines menottes blanches
S’amoncellent les louis d’or
Et les billets par avalanches.

Une fortune ? La voilà,
Qui dépasse son plus beau rêve.
Elle pourrait s’arrêter là…
Mais est-on pour rien fille d’Ève ?


Le lendemain — fatalité ! —
La chance, folle girouette,
Prend le vent d’un autre côté…
Pauvre, pauvre Godichonnette !

Elle reperd en peu d’instants,
Le nez long et basse l’oreille,
Tous ces beaux louis éclatants
Qu’elle avait amassés la veille.

Mais le sort a de ces retours
Déjouant la science humaine…
Elle se dit : « Luttons toujours
Avec une âme de Romaine ! »

Suivant la chance du moment
— Tantôt ciels purs, tantôt averses —
Godichonnette, vaillamment,
Subit des fortunes diverses.

Hélas ! hélas ! le mauvais sort
S’acharnant sur sa pauvre tête
Est décidément le plus fort :
Il faut fuir devant la tempête !

La martingale de l’ami,
Hélas ! ne valait rien qui vaille !
Cet ami n’est qu’un ennemi…
Pour ne pas dire une canaille !


Godichonnette, sans entrain,
Remet ses robes dans ses malles ;
Le soir même, elle prend le train
Qui fuit les côtes provençales ;

Et, pensant toujours au moyen
D’éviter une banqueroute,
Godichonnette ne voit rien
Tout le long, le long de la route.

Pourtant, ce bon mois au soleil,
En dépit des soucis moroses,
A fait son visage vermeil
Et sur son teint semé les roses.

Aussi, quand, depuis son malheur,
Ignorant sa brusque ruine,
Tel ami vient, la lèvre en fleur,
Lui dire : « Oh ! la superbe mine ! »

Quand tel autre, très emballé,
S’exclame : « Oh ! le Midi ! Quel rêve !
Ciel bleu !… Pins verts !… Flot ondulé
Mourant doucement sur la grève !… »

Oui ! quand tous s’en viennent glapir
Autour d’elle leurs fausses notes,
La pauvrette pousse un soupir
Et murmure entre ses quenottes :


« Le Midi ?… Pays trop vanté…
Ne vaut pas la lointaine course.
Bon peut-être pour la santé…
Mais détestable pour la bourse ! »