A. Lemerre (p. 108-110).


LES GRELOTS D’OR

Lendemain de Carnaval.



Leste comme un perdreau qui trotte

Au jour levant,

À la main tenant sa marotte,

Le nez au vent,

Secouant la gaîté jolie

De ses grelots,

Un beau matin, dame Folie,

Le long des flots

De la mer ourlée en dentelle

Qui chantonnait,

Sans savoir où, droit devant elle

Se promenait.

Soudain, au détour d’une roche,

Sur son chemin

Une vieille femme s’approche,

Et tend la main.

Sur ce cadavre qui mendie

En ses haillons,

Le soleil verse l’incendie

De ses rayons.

Le pas joyeux de la Folie

S’est arrêté :

« Qui donc es-tu, je t’en supplie ?

— La Pauvreté.

Quand tout sourit, moi je suis seule

Triste à mourir ;

Personne ne veut, pauvre aïeule,

Me secourir.

— Personne, dis-tu ? Quel blasphème !

Tais-toi ! tais-toi !

Pour alléger ta peine extrême

Je suis là, moi ! »

Et, s’irritant contre un reproche

Immérité,

Dame Folie ouvre sa poche

Avec fierté…

Vide, grand Dieu ! tout à fait vide !

Le Carnaval

Vient de finir et, monstre avide,

L’a mise à mal.

Que faire, hélas ? quel parti prendre ?

Oui, quel moyen

De témoigner d’une âme tendre,

Quand on n’a rien ?

Rien ?… Rien ?… — Si fait ! Dame Folie

Possède encor

Sur sa jupe au soleil pâlie

Ses grelots d’or.

Elle les arrache, très prompte,

Et d’un ton doux :

« Prends, pauvre femme, prends sans honte

Ces vains joujoux !

Ils ont l’air, en dansant leur ronde,

De rire entre eux…

Mais comme les plaisirs du monde,

Vois, ils sont creux !

— Sois bénie, ô toi qui m’assistes ! »

Dit en tremblant

La sombre vieille aux regards tristes,

Au front tout blanc.

Quand à ce point ton cœur s’oublie

En sa bonté,

Tu ne t’appelles plus Folie,

Mais Charité ! »