A. Lemerre (p. 75-78).


LETTRE À UNE PARISIENNE



Midi sonne au clocher de Cannes, lentement.

Sur la Croisette

Je vais de ci, de là, rêveur, tout en rimant

Cette amusette.


Il fait un bon soleil, clair, bienfaisant et gai ;

La mer scintille ;

Des bateaux pavoisés le long, le long du quai

Vont par flottille.


Près du square Brougham tous à la queue-leu-leu,

Chevaux étiques,

Les fiacres découverts trottent sous le ciel bleu,

Cherchant pratiques.


Pour un lawn-tennis-part trois Anglais, revêtus

De laine blanche,

Marchent, raquette en main, secs, anguleux, pointus,

Droits sur la hanche.


Les deux îles là-bas étendent dans le fond

Leurs formes rondes

Et sur le flot d’argent qui miroite, elles font

Des taches blondes.


On est heureux ; on n’a ni chagrin, ni souci,

Ni deuil, ni peine…

Ô mignonne, avec moi venez passer ici

Une quinzaine !


Quittez Paris, quittez cet éternel hiver

Coiffé de givre ;

Venez, quand le soleil se couche, voir la mer

Aux tons de cuivre !


Délaissez les Français, délaissez l’Opéra

Même Comique ;

Délaissez le salon qu’un journal déclara

Académique !


Refusez les dîners aux menus frelatés

Connus d’avance ;

Venez vous enivrer des sereines clartés

De la Provence !


Venez, et nous irons tous deux sans cache-nez

Et sans pelisses,

Courir sur les tapis de sable satinés

Par les flots lisses !


Nous nous reposerons sous les palmiers légers

Qu’un rien balance,

Et nous nous griserons de parfums d’orangers

Et de silence !


Si votre bourse est lourde et veut que d’un kilo

Quelqu’un l’allège,

Autour du tapis vert, vite, à Monte-Carlo

Prenons un siège.


Près d’un bourgeois naïf ou d’un grec trop malin,

L’âme aguerrie,

Jouons l’impair, le manque ou le numéro plein

Ou la série !


Venez vite, venez ! Refuser serait mal !

Pour vous distraire,

Voici que justement Nice est en carnaval

Et veut vous plaire.


Vous mettrez une robe aux suaves couleurs

Pour cette fête ;

Nous prendrons un landau qu’on remplira de fleurs

Par-dessus tête ;


L’un et l’autre masqués, joyeux et bannissant

Spleens ou névroses,

Nous nous escrimerons contre chaque passant

À coups de roses !


Et quand un confetti tout blanc arrivera

Sur votre manche,

Ô mignonne, la peau sous l’étoffe sera

Encor plus blanche !