Science et méthode/Livre II, § I

Science et méthode (Édition définitive) (1908)
E. Flammarion (p. 99-128).

== I ==

Il est impossible de se représenter l’espace vide ; tous nos efforts pour imaginer un espace pur, d’où seraient exclues les images changeantes des objets matériels, ne peuvent aboutir qu’à une représentation où les surfaces fortement colorées, par exemple, sont remplacées par des lignes à faible coloration et l’on ne pourrait aller jusqu’au bout dans cette voie, sans que tout s’évanouisse et aboutisse au néant. C’est de là que provient la relativité irréductible de l’espace.

Quiconque parle de l’espace absolu, emploie un mot vide de sens. C’est là une vérité qui a été proclamée depuis longtemps par tous ceux qui ont réfléchi à la question, mais qu’on est trop souvent porté à oublier.

Je suis en un point déterminé de Paris, place du Panthéon, par exemple, et je dis : je reviendrai ici demain. Si l’on me demande : Entendez-vous que vous reviendrez au même point de l’espace ; je serai tenté de répondre : Oui ; et cependant j’aurai tort, puisque d’ici à demain la Terre aura marché, entraînant avec elle la place du Panthéon, qui aura parcouru plus de 2 millions de kilomètres. Et, si je voulais préciser mon langage, je n’y gagnerais rien, puisque ces 2 millions de kilomètres, notre globe les a parcourus dans son mouvement par rapport au soleil, que le soleil se déplace à son tour par rapport à la Voie Lactée, que la Voie Lactée elle-même est sans doute en mouvement sans que nous puissions connaître sa vitesse. De sorte que nous ignorons complètement et que nous ignorerons toujours de combien la place du Panthéon se déplace en un jour. En somme, j’ai voulu dire : Demain je verrai de nouveau le dôme et le fronton du Panthéon, et s’il n’y avait pas de Panthéon, ma phrase n’aurait aucun sens et l’espace s’évanouirait.

C’est là une des formes les plus banales du principe de la relativité de l’espace ; mais il en est une autre, sur laquelle Delbeuf a particulièrement insisté. Supposons que, dans une nuit, toutes les dimensions de l’univers deviennent mille fois plus grandes ; le monde sera resté semblable à lui-même, en donnant au mot de similitude le même sens qu’au troisième livre de géométrie. Seulement, ce qui avait un mètre de long mesurera désormais un kilomètre, ce qui était long d’un millimètre deviendra long d’un mètre. Le lit où je suis couché et mon corps lui-même se seront agrandis dans la même proportion. Quand je me réveillerai, le lendemain matin, quel sentiment éprouverai-je en présence d’une aussi étonnante transformation ? Eh bien, je ne m’apercevrai de rien du tout. Les mesures les plus précises seront incapables de me rien révéler de cet immense bouleversement, puisque les mètres dont je me servirai auront varié précisément dans les mêmes proportions que les objets que je chercherai à mesurer. En réalité, ce bouleversement n’existe que pour ceux qui raisonnent comme si l’espace était absolu. Si j’ai raisonné un instant comme eux, c’est pour mieux faire voir que leur façon de voir implique contradiction. En réalité, il vaudrait mieux dire que l’espace étant relatif, il ne s’est rien passé du tout et que c’est pour cela que nous ne nous sommes aperçus de rien.

A-t-on le droit, en conséquence, de dire que l’on connaît la distance entre deux points ? Non, puisque cette distance pourrait subir d’énormes variations sans que nous puissions nous en apercevoir, pourvu que les autres distances aient varié dans les mêmes proportions. Tout à l’heure, nous avions vu que quand je dis : Je serai ici demain, cela ne voulait par dire : Je serai demain au point de l’espace où je suis aujourd’hui, mais : Je serai demain à la même distance du Panthéon qu’aujourd’hui. Et voici que cet énoncé n’est plus suffisant et que je dois dire : Demain et aujourd’hui, ma distance du Panthéon sera égale à un même nombre de fois la longueur de mon corps.

Mais ce n’est pas tout, j’ai supposé que les dimensions du monde variaient, mais que du moins ce monde restait toujours semblable à lui-même. On peut aller beaucoup plus loin et une des théories les plus étonnantes des physiciens modernes va nous en fournir l’occasion. D’après Lorentz et Fitzgerald, tous les corps entraînés dans le mouvement de la Terre subissent une déformation. Cette déformation est, à la vérité, très faible, puisque toutes les dimensions parallèles au mouvement de la Terre diminueraient d’un cent millionième, tandis que les dimensions perpendiculaires à ce mouvement ne seraient pas altérées. Mais peu importe qu’elle soit faible, il suffit qu’elle existe pour la conclusion que j’en vais bientôt tirer. Et d’ailleurs, j’ai dit qu’elle était faible, mais, en réalité, je n’en sais rien du tout ; j’ai été victime moi-même de l’illusion tenace qui nous fait croire que nous pensons un espace absolu ; j’ai pensé au mouvement de la terre sur son orbite elliptique autour du Soleil, et j’ai admis 30 kilomètres pour sa vitesse. Mais, sa véritable vitesse (j’entends, cette fois, non sa vitesse absolue qui n’a aucun sens, mais sa vitesse par rapport à l’éther), je ne la connais pas, je n’ai aucun moyen de la connaître : elle est peut-être 10, 100 fois plus grande et alors la déformation sera 100, 10.000 fois plus forte.

Pouvons-nous mettre en évidence cette déformation ? Evidemment non ; voici un cube qui a 1 mètre de côté ; par suite du déplacement de la terre, il se déforme, l’une de ses arêtes, celle qui est parallèle au mouvement, devient plus petite, les autres ne varient pas. Si je veux m’en assurer à l’aide d’un mètre, je mesurerai d’abord l’une des arêtes perpendiculaires au mouvement et je constaterai que mon mètre s’applique exactement sur cette arête ; et, en effet, ni l’une ni l’antre de ces deux longueurs n’est altérée, puisqu’elles sont, toutes deux, perpendiculaires au mouvement. Je veux mesurer, ensuite, l’autre arête, celle qui est parallèle au mouvement ; pour cela je déplace mon mètre et le fais tourner de façon à l’appliquer sur mon arête. Mais le mètre ayant changé d’orientation, et étant devenu parallèle au mouvement, a subi, à son tour, la déformation, de sorte que bien que l’arête n’ait plus un mètre de longueur, il s’y appliquera exactement, je ne me serai aperçu de rien.

On me demandera alors quelle est l’utilité de l’hypothèse de Lorentz et de Fitzgerald si aucune expérience ne peut permettre de la vérifier ? c’est que mon exposition a été incomplète ; je n’ai parlé que des mesures que l’on peut faire avec un mètre ; mais on peut mesurer aussi une longueur par le temps que la lumière met à la parcourir, à la condition que l’on admette que la vitesse de la lumière est constante et indépendante de la direction. Lorentz aurait pu rendre compte des faits en supposant que la vitesse de la lumière est plus grande dans la direction du mouvement de la terre que dans la direction perpendiculaire. Il a préféré admettre que la vitesse est la même dans ces diverses directions, mais que les corps sont plus petits dans les unes que dans les autres. Si les surfaces d’onde de la lumière avaient subi les mènes déformations que les corps matériels, nous ne nous serions pas aperçus de la déformation de Lorentz-Fitzgerald.

Dans un cas comme dans l’autre, il ne peut être question de grandeur absolue, mais de la mesure de cette grandeur par le moyen d’un instrument quelconque ; cet instrument peut être un mètre, ou le chemin parcouru par la lumière ; c’est seulement le rapport de la grandeur à l’instrument que nous mesurons ; et si ce rapport est altéré, nous n’avons aucun moyen de savoir si c’est la grandeur ou bien l’instrument qui a varié.

Mais ce que je veux faire voir, c’est que, dans cette déformation, le monde n’est pas demeuré semblable à lui-mène ; les carrés sont devenus des rectangles ou des parallélogrammes, les cercles des ellipses, les sphères des ellipsoïdes. Et cependant nous n’avons aucun moyen de savoir si cette déformation est réelle.

Il est évident qu’on pourrait aller beaucoup plus loin : au lieu de la déformation de Lorentz-Fitzgerald dont les lois sont particulièrement simples, on pourrait imaginer une déformation tout à fait quelconque. Les corps pourraient se déformer d’après des lois quelconques, aussi compliquées que nous voudrions, nous ne nous en apercevrions pas pourvu que tous les corps sans exception se déforment suivant les mènes lois. En disant : tous les corps sans exception, j’y comprends, bien entendu, notre corps lui-même, et les rayons lumineux émanés des divers objets.

Si nous regardions le monde dans un de ces miroirs de forme compliquée qui déforment les objets d’une façon bizarre, les rapports mutuels des diverses parties de ce monde n’en seraient pas altérés ; si, en effet, deux objets réels se touchent, leurs images semblent également se toucher. A vrai dire, quand nous regardons dans un pareil miroir, nous nous apercevons bien de la déformation, mais c’est parce que le monde réel subsiste à côté de son image déformée ; et alors même que ce monde réel nous serait caché, il y a quelque chose que l’on ne saurait nous cacher, c’est nous-même ; nous ne pouvons cesser de voir, ou tout au moins de sentir, notre corps et nos membres qui n’ont pas été déformés et qui continuent à nous servir d’instruments de mesure. Mais si nous imaginons que notre corps soit déformé lui-même, et de la même façon que s’il était vu dans le miroir, ces instruments de mesure à leur tour nous feront défaut et la déformation ne pourra plus être constatée.

Voici de même deux univers qui sont l’image l’un de l’autre ; à chaque objet P de l’univers A correspond dans l’univers B un objet P’ qui est son image ; les coordonnées de cette image P’ sont des fonctions déterminées de celles de l’objet P ; ces fonctions peuvent d’ailleurs être tout à fait quelconques ; je suppose seulement qu’on les ait choisies une fois pour toutes. Entre la position de P et celle de P’, il y a une relation constante ; quelle est cette relation, peu importe ; il suffit qu’elle soit constante.

Eh bien, ces deux univers seront indiscernables l’un de l’autre. Je veux dire que le premier sera pour ses habitants ce que le second est pour les siens. Et il en serait ainsi tant que les deux univers resteraient étrangers l’un à l’autre. Supposons que nous habitions l’univers A, nous aurons construit notre science et en particulier notre géométrie : pendant ce temps les habitants de l’univers B auront construit une science, et comme leur monde est l’image du nôtre, leur géométrie sera aussi l’image de la nôtre ou, pour mieux dire, ce sera la même. Mais si un jour une fenêtre nous est ouverte sur l’univers B, nous les prendrons en pitié : « Les malheureux, dirons-nous, ils croient avoir fait une géométrie, mais ce qu’ils appellent ainsi n’est qu’une image grotesque de la nôtre ; leurs droites sont toutes tordues, leurs cercles sont bossus, leurs sphères ont de capricieuses inégalités ». Et nous ne nous douterons pas qu’ils en disent autant de nous, et qu’on ne saura jamais qui a raison.

On voit dans quel sens large doit être entendue la relativité de l’espace ; l’espace est en réalité amorphe et les choses qui sont dedans lui donnent seules une forme. Que doit-on penser alors de cette intuition directe que nous aurions de la droite ou de la distance ? Nous avons si peu l’intuition de la distance en soi que, dans une nuit, nous l’avons dit, une distance pourrait devenir mille fois plus grande sans que nous puissions nous en apercevoir, si toutes les autres distances avaient subi la même altération. Et même en une nuit l’univers B pourrait s’être substitué à l’univers A sans que nous eussions aucun moyen de le savoir, et alors les lignes droites d’hier auraient cessé d’être droites et nous ne nous apercevrions de rien.

Une partie de l’espace n’est pas par elle-même et au sens absolu du mot égale à une autre partie de l’espace ; car si elle l’est pour nous, elle ne le sera pas pour les habitants de l’univers B ; et ceux-ci ont précisément autant de droits de rejeter notre opinion que nous en avons de condamner la leur.

J’ai montré ailleurs quelles sont les conséquences de ces faits au point de vue de l’idée que nous devons nous faire de la géométrie non-euclidienne et d’autres géométries analogues ; je ne veux pas y revenir ; et aujourd’hui je me placerai à un point de vue un peu différent.

Si cette intuition de la distance, de la direction, de la ligne droite, si cette intuition directe de l’espace en un mot n’existe pas, d’où vient que nous croyons l’avoir ? Si ce n’est là qu’une illusion, d’où vient que cette illusion est si tenace ? C’est ce qu’il convient d’examiner. Il n’y a pas d’intuition directe de la grandeur, avons-nous dit, et nous ne pouvons atteindre que le rapport de cette grandeur à nos instruments de mesure. Nous n’aurions donc pas pu construire l’espace si nous n’avions eu un instrument pour le mesurer ; eh bien, cet instrument auquel nous rapportons tout, celui dont nous nous servons instinctivement, c’est notre propre corps. C’est par rapport à notre corps que nous situons les objets extérieurs, et les seules relations spatiales de ces objets que nous puissions nous représenter, ce sont leurs relations avec notre corps. C’est notre corps qui nous sert, pour ainsi dire, de système d’axes de coordonnées.

Par exemple à un instant α, la présence de l’objet A m’est révélée par le sens de la vue ; à un autre instant β, la présence d’un autre objet B m’est révélée par un autre sens, celui de l’ouie ou du toucher, par exemple. Je juge que cet objet B occupe la même place que l’objet A. Qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord cela ne signifie pas que ces deux objets occupent, à deux instants différents, un même point d’un espace absolu, qui même, s’il existait, échapperait à notre connaissance, puisque, entre les instants α et β, le système solaire s’est déplacé et que nous ne pouvons connaître son déplacement. Cela veut dire que ces deux objets occupent la même position relative par rapport à notre corps.

Mais cela même, qu’est-ce que cela veut dire ? Les impressions qui nous sont venues de ces objets ont suivi des chemins absolument différents, le nerf optique pour l’objet A, le nerf acoustique pour l’objet B. Elles n’ont rien de commun au point de vue qualitatif. Les représentations que nous pouvons nous faire de ces deux objets sont absolument hétérogènes, irréductibles l’une à l’autre. Seulement je sais que, pour atteindre l’objet A, je n’ai qu’à étendre le bras droit d’une certaine manière ; lors même que je m’abstiens de le faire, je me représente les sensations musculaires et autres sensations analogues qui accompagneraient cette extension, et cette représentation est associée à celle de l’objet A.

Or, je sais également que je puis atteindre l’objet B en étendant le bras droit de la même manière, extension accompagnée du même cortège de sensations musculaires. Et quand je dis que ces deux objets occupent la même position, je ne veux pas dire autre chose.

Je sais aussi que j’aurais pu atteindre l’objet A par un autre mouvement approprié du bras gauche et je me représente les sensations musculaires qui auraient accompagné ce mouvement ; et, par ce même mouvement du bras gauche accompagné des mêmes sensations, j’aurais pu également atteindre l’objet B.

Et cela est très important, puisque c’est de cette façon que je pourrai me défendre contre les dangers dont pourraient me menacer soit l’objet A, soit l’objet B. A chacun des coups dont nous pouvons être frappés, la nature a associé une ou plusieurs parades qui nous permettent de nous en préserver. Une même parade peut répondre à plusieurs coups ; c’est ainsi, par exemple, qu’un même mouvement du bras droit nous aurait permis de nous défendre à l’instant α contre l’objet A et à l’instant β contre l’objet B. De même, un même coup peut être paré de plusieurs manières, et nous avons dit, par exemple, qu’on pouvait atteindre indifféremment l’objet A, soit par un certain mouvement du bras droit, soit par un certain mouvement du bras gauche.

Toutes ces parades n’ont rien de commun entre elles, sinon qu’elles permettent de se garer d’un même coup, et c’est cela, et rien que cela, que nous entendons quand nous disons que ce sont des mouvements aboutissant à un même point de l’espace. De même, ces objets, dont nous disons qu’ils occupent un même point de l’espace, n’ont rien de commun, sinon qu’une même parade peut permettre de se défendre contre eux.

Ou, si l’on aime mieux, que l’on se représente d’innombrables fils télégraphiques, les uns centripètes, les autres centrifuges. Les fils centripètes nous préviennent des accidents qui se produisent au dehors, les fils centrifuges doivent y apporter le remède. Des connexions sont établies de telle façon que quand l’un des fils centripètes est parcouru par un courant, ce courant agit sur un relais et provoque ainsi un courant dans l’un des fils centrifuges, et les choses sont arrangées pour que plusieurs fils centripètes puissent agir sur un même fil centrifuge, si un même remède convient à plusieurs maux, et qu’un fil centripète puisse ébranler divers fils centrifuges, soit simultanément, soit à défaut l’un de l’autre, toutes les fois qu’un même mal peut être guéri par plusieurs remèdes.

C’est ce système complexe d’associations, c’est ce tableau de distribution, pour ainsi dire, qui est toute notre géométrie, ou, si l’on veut, tout ce que notre géométrie a d’instinctif. Ce que nous appelons notre intuition de la ligne droite ou de la distance, c’est la conscience que nous avons de ces associations et de leur caractère impérieux.

Et d’où vient ce caractère impérieux lui-même, il est aisé de le comprendre. Une association nous paraîtra d’autant plus indestructible qu’elle sera plus ancienne. Mais ces associations ne sont pas, pour la plupart, des conquêtes de l’individu, puisqu’on en voit la trace chez l’enfant qui vient de naître : ce sont des conquêtes de la race. La sélection naturelle a dû amener ces conquêtes d’autant plus vite qu’elles étaient plus nécessaires.

A ce compte, celles dont nous parlons ont dû être des premières en date, puisque sans elles la défense de l’organisme été impossible. Des que les cellules n’ont plus été purement juxtaposées, et qu’elles ont été appelées à se porter un mutuel secours, il a bien fallu que s’organise un mécanisme analogue à celui que nous venons de décrire pour que ce secours ne se trompe pas de chemin et aille au-devant du péril.

Quand une grenouille est décapitée, et qu’une goutte d’acide est déposée en un point de la peau, elle cherche à essuyer l’acide avec la patte la plus rapprochée, et, si cette patte est amputée, elle l’enlève avec la patte du coté opposé. Voilà bien cette double parade dont je parlais tout à l’heure, permettant de combattre un mal par un second remède, si le premier fait défaut. Et c’est cette multiplicité des parades, et la coordination qui en résulte, qui est l’espace.

On voit à quelle profondeur de l’inconscient il faut descendre pour trouver les premières traces de ces associations spatiales, puisque les parties les plus inférieures du système nerveux entrent seules en jeu. Comment s’étonner, dès lors, de la résistance que nous opposons à toute tentative faite pour dissocier ce qui depuis si longtemps est associé ? Or, c’est cette résistance même que nous appelons l’évidence des vérités géométriques ; cette évidence n’est autre chose que la répugnance que l’on éprouve à rompre avec de très vieilles habitudes, dont on s’est toujours bien trouvé.


L’espace ainsi créé n’est qu’un petit espace qui ne s’étend pas plus loin que ce que mon bras peut atteindre ; l’intervention de la mémoire est nécessaire pour en reculer les limites. Il y a des points qui resteront hors de ma portée, quelque effort que je fasse pour étendre la main ; si j’étais cloué au sol comme un polype hydraire, par exemple, qui ne peut qu’étendre ses tentacules, tous ces points seraient en dehors de l’espace, puisque les sensations que nous pourrions éprouver par l’action des corps qui y seraient placés, ne seraient associées à l’idée d’aucun mouvement nous permettant de les atteindre, d’aucune parade appropriée. Ces sensations ne nous sembleraient avoir aucun caractère spatial et nous ne chercherions pas à les localiser.

Mais nous ne sommes pas fixés au sol comme les animaux inférieurs ; nous pouvons, si l’ennemi est trop loin, marcher à lui d’abord et étendre la main quand nous sommes assez près. C’est encore une parade, mais une parade à longue portée. D’autre part, c’est une parade complexe, et dans la représentation que nous nous en faisons entrent la représentation des sensations musculaires causées par les mouvements des jambes, celle des sensations musculaires causées par le mouvement final du bras, celle des sensations des canaux semi-circulaires, etc. Nous devons, d’ailleurs, nous représenter, non pas un complexus de sensations simultanées, mais un complexus de sensations successives, et se suivant dans un ordre déterminé, et c’est pour cela que j’ai dit tout à l’heure que l’intervention de la mémoire était nécessaire.

Observons encore que, pour aller à un même point, je puis m’approcher plus prés du but à atteindre, pour avoir moins à étendre la main ; que sais-je encore ? Ce n’est pas une, c’est mille parades que je puis opposer à un même danger. Toutes ces parades sont formées de sensations qui peuvent n’avoir rien de commun et cependant nous les regarderons comme définissant un même point de l’espace, parce qu’elles peuvent répondre à ce même danger et qu’elles sont les unes et les autres associées à la notion de ce danger. C’est la possibilité de parer un même coup, qui fait l’unité de ces parades diverses, comme c’est la possibilité d’être parés de la même façon qui fait l’unité des coups de nature si diverse, qui peuvent nous menacer d’un même point de l’espace. C’est cette double unité qui fait l’individualité de chaque point de l’espace, et, dans la notion de point, il n’y a pas autre chose.

L’espace que j’envisageais dans le paragraphe précédent, et que je pourrais appeler l’espace restreint, était rapporté à des axes de coordonnées liés à mon corps ; ces axes étaient fixes, puisque mon corps ne bougeait pas et que mes membres seuls se déplaçaient. Quels sont les axes auxquels se rapporte naturellement l'espace étendu ? c’est-à-dire le nouvel espace que je viens de définir. Nous définissons un point par la suite de mouvements qu’il convient de faire pour l’atteindre à partir d’une certaine position initiale du corps. Les axes sont donc liés à cette position initiale du corps.

Mais la position que j’appelle initiale peut être arbitrairement choisie parmi toutes les positions que mon corps a successivement occupées ; si la mémoire plus ou moins inconsciente de ces positions successives est nécessaire à la genèse de la notion d’espace, cette mémoire petit remonter plus ou moins loin dans le passé. De là résulte dans la définition même de l’espace une certaine indétermination et c’est précisément cette indétermination qui constitue sa relativité.

Il n’y a plus d’espace absolu, il y a seulement l’espace relatif à une certaine position initiale du corps. Pour un être conscient, qui serait fixé au sol comme les animaux inférieurs, et qui, par conséquent, ne connaîtrait que l’espace restreint, l’espace serait encore relatif (puisqu’il se rapporterait à son corps), mais cet être n’aurait pas conscience de cette relativité, parce que les axes auxquels il rapporterait cet espace restreint ne changeraient pas ! Sans doute, le rocher auquel cet être serait enchaîné ne serait pas immobile, puisqu’il serait entraîné dans le mouvement de notre planète ; pour nous, par conséquent, ces axes changeraient à chaque instant ; mais, pour lui, ils ne changeraient pas. Nous avons la faculté de rapporter notre espace étendu tantôt à la position A de notre corps, considérée comme initiale, tantôt à la position B, qu’il avait quelques instants, après, et que nous sommes libres de regarder à son tour comme initiale ; nous faisons donc à chaque instant des changements inconscients de coordonnées. Cette faculté ferait défaut à notre être imaginaire, et, faute d’avoir voyagé, il croirait l’espace absolu. A chaque instant, son système d’axes lui serait imposé ; ce système aurait beau changer en réalité, pour lui, il serait toujours le même, puisqu’il serait toujours le système unique. Il n’en est pas de même pour nous qui, à chaque instant, possédons plusieurs systèmes entre lesquels nous pouvons choisir à volonté et à la condition de remonter par la mémoire plus ou moins loin dans le passé.

Ce n’est pas tout, l’espace restreint ne serait pas homogène ; les divers points de cet espace ne pourraient être regardés comme équivalents, puisque les uns ne pourraient être atteints qu’au prix des plus grands efforts, tandis que d’autres le seraient facilement. Au contraire, notre espace étendu nous apparaît comme homogène, et nous disons que tous les points en sont équivalents. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Si nous partons d’une certaine position A, nous pouvons, à partir de cette position, effectuer certains mouvements M, caractérisés par un certain complexus de sensations musculaires. Mais, à partir d’une autre position B, nous pourrons exécuter des mouvements M’ qui seront caractérisés par les mêmes sensations musculaires. Soit alors a la situation d’un certain point du corps, du bout de l’index de la main droite, par exemple, dans la position initiale A, soit b la situation de ce même index quand, partant de cette position A, on a exécuté les mouvements M. Soit ensuite a la situation de cet index dans la position B, et b sa situation quand, partant de la position B, on a exécuté les mouvements M’.

Eh bien ! j’ai coutume de dire que les points de l’espace a et b sont entre eux comme les points a et b et cela veut dire simplement que les deux séries de mouvements M et M’ sont accompagnées des mêmes sensations musculaires. Et comme j’ai conscience que, en passant de la position A à la position B, mon corps est resté capable des mêmes mouvements, je sais qu’il y a un point de l’espace qui est au point a, ce qu’un point b quelconque est au point a, de sorte que les deux points a et a sont équivalents. C’est cela qu’on appelle l’homogénéité de l’espace. Et, en même temps, c’est pour cela que l’espace est relatif, puisque ses propriétés restent les mêmes, qu’on le rapporte aux axes A ou aux axes B. De sorte que la relativité de l’espace et son homogénéité sont une seule et même chose.

Maintenant, si je veux passer au grand espace, qui ne sert plus seulement pour moi, mais où je peux loger l’univers, j’y arriverai par un acte d’imagination. Je m’imaginerai ce qu’éprouverait un géant qui pourrait atteindre les planètes en quelques pas ; ou, si l’on aime mieux, ce que je sentirais moi-même en présence d’un monde en miniature où ces planètes seraient remplacées par de petites boules, tandis que sur l’une de ces petites boules s’agiterait un lilliputien que j’appellerais moi. Mais cet acte d’imagination me serait impossible, si je n’avais préalablement construit mon espace restreint et mon espace étendu pour mon usage personnel.

Pourquoi maintenant tous ces espaces ont-ils trois dimensions ? Reportons-nous au « tableau de distribution » dont nous parlions plus haut. Nous avons d’un côté la liste des différents dangers possibles ; désignons-les par A 1, A 2, etc. ; et, de l’autre côté, la liste des différents remèdes que j’appellerai de même B 1, B 2, etc. Nous avons ensuite des connexions entre les plots de la première liste et ceux de la deuxième, de telle façon que quand, par exemple, l’avertisseur du danger A 3 fonctionnera, il mettra ou pourra mettre en branle le relais correspondant à la parade B 4.

Comme j’ai parlé plus haut de fils centripètes ou centrifuges, je crains qu’on ne voie dans tout ceci, non une simple comparaison, mais une description du système nerveux. Telle n’est pas ma pensée, et cela pour plusieurs raisons : d’abord, je ne me permettrais pas d’énoncer une opinion sur la structure du système nerveux que je ne connais pas, tandis que ceux qui l’ont étudié ne le font qu’avec circonspection ; ensuite parce que, malgré mon incompétence, je sens bien que ce schéma serait par trop simpliste ; et enfin, parce que, sur ma liste de parades, il en figure de très complexes, qui peuvent même, dans le cas de l’espace étendu, comme nous l’avons vu plus haut, être formées de plusieurs pas suivis d’un mouvement du bras. Il ne s’agit donc pas de connexion physique entre deux conducteurs réels, mais d’association psychologique entre deux séries de sensations.

Si A 1 et A 2 par exemple sont l’un et l’autre associés à la parade B 1, et si A 1 est également associé à la parade B 2, il arrivera généralement que A 2 et B 2 seront eux aussi associés. Si cette loi fondamentale, n’était pas généralement vraie, il n’y aurait qu’une immense confusion et il n’y aurait rien qui pût ressembler à une conception de l’espace ou à une géométrie. Comment, en effet, avons-nous défini un point de l’espace. Nous l’avons fait de deux façons : c’est d’une part l’ensemble des avertisseurs A qui sont en connexion avec une même parade B ; c’est d’autre part l’ensemble des parades B qui sont en connexion avec un même avertisseur A. Si notre loi n’était pas vraie, on devrait dire que A 1 et A 2 correspondent à un même point puisqu’ils sont tous deux en connexion avec B 1 ; mais on devrait dire également qu’ils ne correspondent pas à un même point, puisque A 1 serait en connexion avec B 2 et qu’il n’en serait pas de même de A 2. Ce serait une contradiction.

Mais, d’un autre côté, si la loi était rigoureusement et toujours vraie, l’espace serait tout différent de ce qu’il est. Nous aurions des catégories bien tranchées entre lesquelles se répartiraient d’une part les avertisseurs A, d’autre part les parades B ; ces catégories seraient excessivement nombreuses, mais elles seraient entièrement séparées les unes des autres. L’espace serait formé de points très nombreux, mais discrets, il serait discontinu. Il n’y aurait pas de raison pour ranger ces points dans un ordre plutôt que dans un autre, ni par conséquent pour attribuer à l’espace trois dimensions.

Mais il n’en est pas ainsi ; qu’on me permette de reprendre un instant le langage des gens qui savent déjà la géométrie ; il le faut bien puisque c’est la langue qu’entendent le mieux ceux de qui je cherche à me faire comprendre. Quand je veux parer le coup, je cherche à atteindre le point d’où vient ce coup, mais il suffit que j’en approche assez près. Alors la parade B 1 pourra répondre à A 1 et à A 2 si le point qui correspond à B 1 est suffisamment près à la fois de celui qui correspond à A 1 et de celui qui correspond à A 2. Mais il pourra se faire que le point qui correspond à une autre parade B 2 soit assez voisin du point correspondant à A 1, et ne le soit pas assez du point correspondant à A 2. De sorte que la parade B 2 pourra répondre à A 1 sans pouvoir répondre à A 2.

Pour celui qui ne sait pas encore la géométrie, cela se traduira simplement par une dérogation à la loi énoncée plus haut. Et alors, les choses se passeront de la façon suivante. Deux parades B 1 et B 2 seront associées à un même avertissement A 1 et à un très grand nombre d’avertissements que nous rangerons dans la même catégorie que A 1 et que nous ferons correspondre à un même point de l’espace. Mais nous pourrons trouver des avertissements A 2 qui seront associés à B 2 sans l’être à B 1, et qui en revanche le seront à B 3, lequel B 3 n’était pas associé à A 1, et ainsi de suite, de sorte que noua pouvons écrire la suite

B1, A1, B2, A2, B3, A3, B4, A4,

où chaque terme est associé au suivant et au précédent, mais ne l’est pas aux termes qui sont distants de plusieurs rangs.

Inutile d’ajouter que chacun des termes de ces suites n’est pas isolé, mais fait partie d’une très nombreuse catégorie d’autres avertisseurs ou d’autres parades qui a les mêmes connexions que lui, et que l’on peut regarder comme appartenant à un même point de l’espace. La loi fondamentale, tout en comportant des exceptions, reste donc presque toujours vraie. Seulement, par suite de ces exceptions, ces catégories, au lieu d’être entièrement séparées, empiètent partiellement les unes sur les autres et se pénètrent mutuellement dans une certaine mesure, de sorte que l’espace devient continu.

D’autre part, l’ordre dans lequel ces catégories doivent être rangées n’est plus arbitraire et si l’on se reporte à la suite précédente, on voit bien qu’il faut ranger B 2 entre A 1 et A 2 et par conséquent entre B 1 et B 3 et qu’on ne saurait par exemple le placer entre B 3 et B 4.

Il y a donc un ordre dans lequel se rangent naturellement nos catégories qui correspondent aux points de l’espace, et l’expérience nous apprend que cet ordre se présente sous la forme d’un tableau à triple entrée, et c’est pour cela que l’espace a trois dimensions.


Ainsi la propriété caractéristique de l’espace, celle d’avoir trois dimensions, n’est qu’une propriété de notre tableau de distribution, une propriété interne de l’intelligence humaine pour ainsi dire. Il suffirait de détruire quelques-unes de ces connexions, c’est-à-dire de ces associations d’idées pour avoir un tableau de distribution différent, et cela pourrait être assez pour que l’espace acquit une quatrième dimension.

Quelques personnes s’étonneront d’un pareil résultat. Le monde extérieur, penseront-elles, doit bien y être pour quelque chose. Si le nombre des dimensions vient de la manière dont nous sommes faits, il pourrait y avoir des êtres pensants qui vivraient dans notre monde, mais qui seraient faits autrement que nous et qui croiraient que l’espace a plus ou moins de trois dimensions. M. de Cyon n’a-t-il pas dit que les souris japonaises, n’ayant que deux paires de canaux semi-circulaires, croyaient que l’espace a deux dimensions ? Et alors cet être pensant, s’il est capable de construire une physique, ne va-t-il pas faire une physique à deux ou à quatre dimensions, et qui en un sens sera cependant la même que la nôtre, puisque ce sera la description du même monde dans un autre langage ?

Il semble bien en effet qu’il serait possible de traduire notre physique dans le langage de la géométrie à quatre dimensions ; tenter cette traduction ce serait se donner beaucoup de mal pour peu de profit, et je me bornerai à citer la mécanique de Hertz où l’on voit quelque chose d’analogue. Cependant, il semble que la traduction serait toujours moins simple que le texte, et qu’elle aurait toujours l’air d’une traduction, que la langue des trois dimensions semble la mieux appropriée à la description de notre monde, encore que cette description puisse se faire à la rigueur dans un autre idiome.

D’ailleurs, ce n’est pas par hasard que notre tableau de distribution s’est constitué. Il y a connexion entre l’avertissement A 1 et la parade B 1, cela est une propriété interne de notre intelligence ; mais pourquoi cette connexion ? c’est parce que la parade B 1 permet effectivement de se défendre contre le danger A 1 ; et cela c’est un fait extérieur à nous, c’est une propriété du monde extérieur. Notre tableau de distribution n’est donc que la traduction d’un ensemble de faits extérieurs ; s’il a trois dimensions, c’est parce qu’il s’est adapté à un monde qui avait certaines propriétés ; et la principale de ces propriétés c’est qu’il y existe des solides naturels dont les déplacements se font sensiblement suivant les lois que nous appelons lois du mouvement des solides invariables. Si donc la langue des trois dimensions est celle qui nous permet le plus facilement de décrire notre monde, nous ne devons pas nous en étonner ; cette langue est calquée sur notre tableau de distribution ; et c’est afin de pouvoir vivre dans ce monde que ce tableau a été établi.

J’ai dit que nous pourrions concevoir, vivant dans notre monde, des êtres pensants dont le tableau de distribution serait à quatre dimensions et qui par conséquent penseraient dans l’hyperespace. Il n’est pas certain toutefois que de pareils êtres, en admettant qu’ils y naissent, pourraient y vivre et s’y défendre contre les mille dangers dont ils y seraient assaillis.


Quelques remarques pour finir. Il y a un contraste frappant entre la grossièreté de cette géométrie primitive qui se réduit à ce que j’appelle un tableau de distribution, et la précision infinie de la géométrie des géomètres. Et cependant celle-ci est née de celle-là ; mais pas de celle-là seule ; il a fallu qu’elle fût fécondée par la faculté que nous avons de construire des concepts mathématiques, tels que celui de groupe par exemple ; il a fallu chercher parmi les concepts purs celui qui s’adaptait le mieux à cet espace grossier, dont j’ai essayé d’expliquer la genèse dans les pages précédentes et qui nous est commun avec les animaux supérieurs.

L’évidence de certains postulats géométriques n’est, avons-nous dit, que notre répugnance à renoncer à de très vieilles habitudes. Mais ces postulats sont infiniment précis, tandis que ces habitudes ont quelque chose d’essentiellement flou. Dès que nous voulons penser, il nous faut bien des postulats infiniment précis, puisque c’est le seul moyen d’éviter la contradiction ; mais parmi tous les systèmes de postulats possibles, il en est que nous répugnerions à choisir, parce qu’ils ne s’accorderaient pas suffisamment avec nos habitudes ; si floues, si élastiques qu’elles soient, celles-ci ont une limite d’élasticité.

On voit que si la géométrie n’est pas une science expérimentale, c’est une science née à propos de l’expérience, que nous avons créé l’espace qu’elle étudie, mais en l’adaptant au monde où nous vivons. Nous avons choisi l’espace le plus commode, mais c’est l’expérience qui a guidé notre choix ; comme ce choix a été inconscient, il nous semble qu’il nous est imposé ; les uns disent que c’est l’expérience qui nous l’impose, les autres que nous naissons avec notre espace tout fait ; on voit, d’après les considérations précédentes, quelle est dans ces deux opinions la part de la vérité et la part de l’erreur.

Dans cette éducation progressive qui a abouti à la construction de l’espace, quelle est la part de l’individu, et quelle est celle de la race, c’est ce qu’il est bien difficile de déterminer. Dans quelle mesure un de nous, transporté dès sa naissance dans un monde entièrement différent, où par exemple domineraient des corps se déplaçant conformément aux lois de mouvement des solides non-euclidiens, dans quelle mesure, dis-je, pourrait-il renoncer à l’espace ancestral pour bâtir un espace complètement nouveau ?

La part de la race semble bien prépondérante ; cependant, si c’est à elle que nous devons l’espace grossier, l’espace flou dont je parlais tout à l’heure, l’espace des animaux supérieurs, n’est-ce pas à l’expérience inconsciente de l’individu que nous devons l’espace infiniment précis du géomètre ? C’est une question malaisée à résoudre. Citons cependant un fait qui montre que l’espace que nous ont légué nos ancêtres conserve encore une certaine plasticité. Certains chasseurs apprennent à tirer des poissons sous l’eau, bien que l’image de ces poissons soit relevée par la réfraction. Ils le font d’ailleurs instinctivement : ils ont donc appris à modifier leur ancien instinct de la direction ; ou si l’on veut à substituer à l’association A 1, B 1 une autre association A 1, B 2, parce que l’expérience leur a montré que la première ne réussissait pas.