Collectif
Texte établi par Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron, Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron (p. 335-338).

SEGODUN


Par M. U. CABROL.




Chacun sait qu’avant l’invasion romaine, l’antique capitale du Rouergue portait le nom de Segodun.

La plupart des auteurs qui ont écrit sur notre province, ont cherché l’étymologie de cette dénomination, et pour tous, Segodun est composé de deux mots : Sego et dun. La terminaison dun indique un point culminant, mais nos étymologistes ne sont pas d’accord sur la signification du radical Sego.

Suivant Ét. Cabrol : Sego « estoit sans doubte un petit prince de ce païs de Rouergue qui depuis un grand nombre de siècles, ayant fait bastir cette ancienne ville de Rodez, lui donna son nom ».

Pour le père Beau, auteur d’une Vie de François d’Estaing, Sego veut dire Poule d’eau.

Dans son Histoire des Villes de France, M. Aristide Guibert dit que Segodun signifie ville du rocher.

L’abbé Bosc traduit ce nom par éminence aqueuse.

Enfin, le baron de Gaujal fait dériver Segodun de Sego, seigle, dun, montagne, d’où montagne à seigle. Cette céréale, ajoute-t-il, s’appelle encore segol dans l’idiome vulgaire.

De nos jours la philologie ne s’arrête plus aux racines latines ou grecques, elle va plus avant. Par l’étude du gaëlique et des divers idiomes répandus en Occident depuis le ve siècle, elle remonte aux radicaux des langues de la haute Asie et y découvre une foule de racines que nous avions crues originaires de notre vieille Europe.

Remarquons maintenant que dans tous les pays peuplés jadis par des immigrations de la race Aryenne, le radical seg ou sego est souvent employé pour désigner des noms de villes, de lieux et même de personnes.

C’est ainsi que nous trouvons les villes de Segedo, Sagonte, plusieurs Ségovie et cinq du nom de Ségura, en Espagne ; Seggau, en Styrie ; Segeste, en Sicile ; Sagone, en Corse ; Szegedin, en Hongrie ; Segeberg, en Danemarck. Deux anciennes villes ont porté le nom de Segedunum, l’une dans la Dacie, l’autre dans le Northumberland. Il y a eu Sigo en Palestine, et la montagne de Sigorum en Mésopotamie ; Séguse dans l’ancienne Aquitaine. En France nous avons Ségos (Gers), Ségot (Lot), Ségougnac (Lot-et-Garonne), Ségoussac (Gard), Ségoule (Nièvre), Ségousse (Ariège), Sigean (Aude), Sigoules (Dordogne), etc. Dans notre département nous trouvons Ségonac, Segonin, Ségonzac, Segol, Ségola, Ségoly, etc., toujours ce même radical variant suivant le pays, suivant la latitude, mais désignant un point élevé. Seck est un mot celte, devenu Seg par les lois ordinaires d’euphonie, que M. Léon de Maule, dans un savant Mémoire lu au Congrès archéologique d’Arles, fait dériver du Chaldéen, en lui donnant la signification de « être grand, élevé ».

«  L’échange mutuel des lettres, dit M. de Bergues (Études préhistoriques sur les origines du langage), les flexions des fortes en faibles, les éliminations des consonnes font un même mot de seck, seg, sick, sig, hig, hilc, dans les idiomes du Nord, apportés par les peuples qui, partis de l’Asie, passèrent dans l’Occident. C’est un radical qui exprime la hauteur, la force, la puissance, le commandement. En certains cas la lettre s tombe devant les voyelles, et sek, sik, deviennent heck, hick, comme à son tour le c dur devient un g. »

En Arabe cheik, en Persan shah, en Tudesque schach, et par extension en France chef, en Espagne xéfé, ont une même origine. Notre histoire nationale nous fait connaître un chef gaulois du nom de Sigovèse, et plusieurs rois ayant porté ceux de Sigebert, Childebert, Childéric, Chilpéric. La Hongrie a eu un roi appelé Sigismond, et la Pologne en a compté trois. Enfin, saint Sigismond régna sur les Bourguignons dans le vie siècle.

En grec même, nous trouvons que ago, vieux mot pélasgique, signifie Dieu, puissance, d’où Agamennon, roi des rois (M. Benloew, Académie des inscriptions et belles lettres, séance du 7 juin 1878). Un aga est encore aujourd’hui un chef militaire chez les Turcs.

Toutes les villes qui ont dans leur nom ce radical seg, sag étaient donc fortes, palissadées, murées peut-être, mais toujours élevées, puissantes.

Nous ne craignons pas trop de nous avancer en disant que cette racine seg ou sec, se rencontre en latin dans securus, que, par contraction, le français traduit par sûr, et notre langue romane par ségur, sigur : Ce qui est haut et fort offre de la sécurité. Treize localités de la France portent le nom de Ségur (Aveyron, Corrèze, etc.) Un certain nombre en dérivent, Séguré (Nièvre), Séguret (Vaucluse), Montségur (Ariège et Drôme), Monségur (Gironde et Landes), Puységur (Gers), etc.

La partie de notre département appelée Ségala doit ce nom à sa situation généralement élevée, et la dénomination de ségol (seigle), fait allusion à l’altitude à laquelle cette céréale est cultivée.

Dans le préambule de ses Annales, Ét. Cabrol dit que le nom ancien latin de la ville de Rodez est Segodunum Ruthenorum, Segodunum nous semble pris ici comme un terme générique pour signifier la capitale des Ruthènes.

Sego désignant la puissance, la hauteur, le commandement, la terminaison dun, ajoutée à ce radical, doit doubler l’idée d’élévation, de puissance, de force, que nous pouvons peut-être traduire par capitale. Dans tous les cas, Segodun est la forte, la puissante élévation, la hauteur maîtresse du pays. Rodez étant bâtie au sommet d’une haute montagne et au centre d’un pays qu’elle domine fièrement de tous côtés, cette ancienne dénomination ne doit point nous étonner. Segodun semble au contraire nous rappeler la puissance physique et politique que lui a value, à notre avis, sa forte situation dès les temps les plus anciens.