Rymes/Conde claros de Adonis

conde claros de adonis.

Amour avecques Psiches,
Qu’il tenoit a sa plaisance,
Jouoit ensemble aux eschetz
En tres grand resjouyssance.

Mais bien tost il à ouy
Bien loing lamenter un Cygne,
De quoy peu s’est resjouy,
Et l’à prins pour maulvais signe.

Laissons le jeu, je yous pry,
Dict il d’une yoix amere
Et allons ouyr le cry
Du messager de ma mere.

Lors tous deux s’en vont bouter

A la prochaine fenestre,
Et leur veue droict gecter
Là, ou l’Oyseau pouvoit estre.

Si ont veu sur un estang
Long & grand, comme une Mer,
Un beau Cygne pur & blanc,
Qui chantait un chant amer.

O Deesse, disoit il,
Regnant au ciel Empiree,
Par ton engin trop subtil
Nostre joye est empiree.

Puis que par ta grand envie
Au malheureux Adonis
Tu as abregé la vie,
Et sont ses beaulx jours finiz.

Et nostre povre Maistresse
Seule au boys il à laissee
De douleur, & de destresse
Mortellement offencee.

Tant que plus ne veult porter

Ny le vert, ny couleur gaye :
Mais pour se réconforter
A la mort en vain s’essaye.

Lors l’Enfant a ces nouvelles
Son espouse à accollee,
Et esbranlant ses deux esles
En l’air à prins sa volee.

Lequel tant il à fendu,
Traversant mainte contree,
Qu’auprès il s’est descendu
De sa mere rencontree.

Comme luy, font arrivez
Les Graces, & ses deux freres
De toute ioye privez,
Et de tristesse confreres.

Qui pour donner allegeance
A la Deesse dolente,
Ont tous juré la vengeance
De la beste violente.

Parquoy entrant dens le boys

Chascun desploye sa Trousse,
Mettant les chiens aux abboys
Pour donner au Porc la trousse.

Mais si bien ont pourchassé,
Et continué leur fuicte,
Que le Sanglier tout lassé
N’à sceu, ou prendre la fuicte.

Parquoy toute la cohorte
S’est estendue a l’entour,
Et d’une corde bien forte
Au col luy ont faict maint tour.

L’un le traynoit par la corde,
L’aiguillonnant, & hurtant,
L’autre sans miséricorde
De son arc l’alloit battant.

Ainsi prins l’ont amené
Devant Venus esplouree,
Qui pour luy à demené
Complaincte desesperee.

Et tant de luy se douloit,

Que sans plus vouloir attendre
Tout soubdain elle vouloit
L’estrangler de sa main tendre.

Mais les Graces luy ont dict,
Qu’elle se feroit oultrage,
A fin qu’a ce contredit
Elle appaisast son courage.

Qui eust veu alors la beste,
Comment morte elle sembloit,
Humblement baissoit la teste,
Tant de peur elle trembloit.

Adonc soubz un arbre espais
Venus de douleur troublee
À commandé faire paix
A toute celle assemblee.

As tu, dict elle au Sanglier,
(Qui estoit mal asseuré,)
Osé ainsi desplier
Ton courroux demesuré ?

Qui t à meu, beste incensee,

D’avoir mon amy oultré ?
Et ce dict, comme offencee,
Adonis luy à monstré,

Qui gisoit tout estendu,
La face descoulouree,
Dont maint souspir à rendu
La povre Amante esploree.

Alors le Sanglier honteux
S’est prosterné a genoulx,
Et d’un son doulx, & piteux
S’est excusé devant tous.

Disant : Deesse honnoree,
Pardonne moy ce meffaict :
Car d’ire delibéree
Ne t’ay cest oultrage faict.

Bien est vray, que quand je vis
La forme du Jeune enfant,
Certes il me fut advis
De veoir un Dieu triumphant.

Tant me donnoit grand merveille

Sa chair blanche, & delicate,
Et sa bouche plus vermeille,
Que n’est aucune Escarlate.

Parquoy d’une ardeur surpris
Je me laissay approcher,
Me femblant un trop grand prys,
Si je le pouvois toucher.

Dont au contour d’une branche
Pour mon ardeur appaiser,
Descouvrant sa cuisse blanche,
Je la luy vouluz baiser.

Mais luy trop chault & ardent,
Suyvant sa course adressee,
Se va gecter sur ma dent,
Que je tenois abaissee.

Et tellement luy mescheut,
Qu’a celle heure trop perverse
Au plus près de moy il cheut,
Tout sanglant a la renverse.

Mais j’atteste tous les Dieux,

Juges de mon innocence,
Que sur moy j’eusse trop mieulx
Desiré si grand offence.

Et pour ce que la dent feit
Si oultrageux malefice,
Et que tant vers vous meffeit
Je veulx bien, qu’on la punisse.

Voicy la dent, & la hure,
Qui ont causé tel esmoy :
Las, de leur male avanture
Prenez vengeance sur moy.

Ainsi de l’offence grande
Le povre Porc s’excusoit :
Et toutes fois pour l’amande
A la mort il s’accusoit.

Si grande estoit la douleur,
Et le regret, qu’il souffroit,
(Comme cause du malheur)
Qu’a tout tourment il s’offroit.

Parquoy toute l’assistence

Vont a Venus supplier
De mitiger sa sentence
Et son courroux oublier.

Desliez le donc, dict elle,
Puis que pour mon Amy mort
Il s’accuse a mort cruelle,
Ayant de son faict remord.

Mais qu’il jure, qu’es foreftz
Jamais plus il n’entrera :
Ains qu’en boues, & marestz,
Tousjours il se veault rera.

Et a fin que desormais
Se souvienne du meffaict,
Je veulx qu’il porte a jamais
Une marcque de son faict.

C’est qu’en terre l’estendrez,
Et pour reparer l’injure
Les piedz autant luy fendrez
Que la playe à d’ouverture.

Afin que par ce moyen

Ceulx, qui le rencontreront,
Entendent le malheur mien.
Dont, peult estre, pleureront.

De Venus ce mot sacré
Ne fut point hors de sa bouche,
Que la beste de son gré
Dessus la terre se couche.

Et souffrit patiemment
Executer la sentence :
Puis debout bien humblement
Remercia l’assistence.

Et pour monstrer qu’il vouloit,
Que lon sceust sa desplaisance,
N’à despuis, comme il souloit,
Aux boys faict sa demeurance.