Rose et Vert-Pomme/Une communication intéressante

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UNE
COMMUNICATION INTÉRESSANTE


Il y a longtemps que j’ai envie de débuter par une déclaration formelle. L’heure a sonné de m’offrir cette innocente fantaisie.

Déclaration formelle :

La ville de Honfleur ne se trouve pas dans la Seine-Inférieure, comme semble le croire la cohue stupide de mes contemporains, mais bien dans le Calvados.

Devant l’ignorance croissante des Français en géographie, je déclare que tout pli à mon adresse portant une suscription erronée sera désormais considéré comme nul et non avenu.

C’est bien entendu, une fois pour toutes, n’est-ce pas ? Alors passons à un autre genre de sport.

J’ai reçu, ce matin même, une lettre de mon ami Gabriel de Lautrec, laquelle, sous une forme plutôt décousue, abonde en aperçus ingénieux, en idées neuves, en conceptions hardies.

Vous allez en juger par vous-mêmes :


« Mon cher Allais,

» Une fois, dans mes voyages, j’ai visité une mine de charbon — parfaitement. Après avoir traversé des couloirs de couleur noire (quelle assonance superbe !), dans un air noir, à côtés de gens vêtus de noir, nous sommes arrivés au fond de la mine où nous avons trouvé, à notre grand étonnement, une fabrique de blanc de céruse.

» J’ai demandé pourquoi cette fabrique de blanc de céruse dans une mine de charbon. On m’a dit que c’était pour faire du gris.

» Si vous trouvez une explication meilleure, vous pouvez me l’envoyer.

» Je vous parle de ces choses, parce qu’elles n’ont aucun rapport, même éloigné, avec l’objet de cette lettre.

» Ma lettre n’a point d’autre but que de vous demander votre avis sur un point intéressant : je voudrais savoir ce que vous faites quand il pleut.

» Oui, au fait, que faites-vous quand il pleut, vous ?

» Moi, je pense tout simplement que, lorsqu’il pleut, vous vous abritez sous un arbre, et vous attendez la fin.

» S’il pleut souvent, vous vous abritez sous un plus grand nombre d’arbres, voilà tout.

» Ce que je vais vous dire maintenant va vous paraître un paradoxe : je pense que, les arbres n’ayant pas d’autre utilité que de préserver de la pluie, on pourrait très bien les remplacer, le long des rues, par une double rangée de parapluies.

» Avec un laquais aux couleurs municipales pour porter chaque parapluie, ce serait un coup d’œil féerique.

» Mais il y a mieux.

» Vous n’êtes pas sans savoir que la pluie fait pousser les champignons.

» Ne pourrait-on pas utiliser la ressemblance de forme du parapluie et du champignon, et, par une sélection savante, créer une espèce nouvelle, le champignon-parapluie ?

» Lorsque la pluie verrait qu’en tombant elle fait pousser des parapluies, je pense qu’elle s’arrêterait, découragée.

» Pour moi — ai-je besoin de vous le dire ? — quand il pleut, je n’y mets pas tant de façons.

» Aux premières gouttes d’eau, je me précipite sous un omnibus.

» Parfaitement, sous un omnibus.

» Les chevaux me couvrent de leurs larges pieds ; puis, la voiture. Mais le temps que les chevaux et la voiture mettent à passer, je suis à l’abri de la pluie.

» C’est toujours cela de gagné.

» Je suis, mon cher Allais, bien sympathiquement à vous.

» G. de Lautrec. »


Les esprits superficiels ne manqueront pas de hausser les épaules, à l’énoncé de ces quelques idées bien claires, partant bien simples et bien françaises.

Laissons dire les sots, mon cher Lautrec. L’avenir n’est-il pas là pour nous venger de tous ces bélîtres saugrenus ?