Rose et Vert-Pomme/Un rajah qui s’embête (conte d’extrême-Orient)

UN RAJAH QUI S’EMBÊTE

CONTE D’EXTRÊME-ORIENT


Le rajah s’embête !

Ah ! oui, il s’embête, le rajah !

Il s’embête comme, peut-être, il ne s’est jamais embêté de sa vie.

(Et Bouddha sait si ce pauvre rajah s’est embêté des fois !)

Vous qui riez bêtement, avez-vous jamais vu un rajah qui s’embête ?

Non ? Alors ne riez pas bêtement.

Victor Hugo qui écrivit, avec un talent incontestable et, comme en se jouant, le Roi s’amuse, n’aurait peut-être pas été fichu d’écrire les dix premiers vers de Le Rajah s’embête, et Victor Hugo n’était pas un serin, pourtant.

Revenons à nos moutons, et laissez-moi vous le répéter, au cas où cette longue digression vous l’aurait fait oublier : le rajah s’embête !

C’est une affaire bien entendue, n’est-ce pas ? Il serait, d’ailleurs, fastidieux de revenir sur ce détail qui ne peut toucher que bien faiblement nos piteuses visions d’Occident : le rajah s’embête !

Dans la cour Nord du palais, l’escorte attend.

Et, aussi, attendent les éléphants du rajah.

Car, aujourd’hui, le rajah devait chasser le jaguar.

À je ne sais quel geste mou du Rajah, l’intendant a compris : que l’escorte rentre ! Que rentrent les éléphants !

Très flemmarde, l’escorte se sent ravie d’aise.

Les éléphants ronchonnent salement, ce qui est la façon, aux éléphants, d’exprimer leur mécontentement.

Car, à l’encontre de l’éléphant d’Afrique qui comprend seulement la chasse aux papillons, l’éléphant d’Asie ne se passionne qu’au hunting du jaguar.

Alors, amenez les bayadères !

Voilà les bayadères ! Les voilà bien, les bayadères !

Les bayadères n’empêchent pas le rajah de s’embêter.

En allez-vous, les bayadères ! En allez-vous !

Et les bayadères s’en allent.

Tiens, tiens, tiens ! parmi les bayadères, une petite nouvelle que le rajah ne connaissait pas encore.

— Demeurez ci, petite bayadère, en allez-vous point ! Et dansez !

La voilà qui danse, la petite bayadère !

Oh ! sa danse !

Le charme de son pas, de son attitude, de ses mines graves !

De vieux rites, on eût dit, d’infiniment vieux rites dont elle serait la suprême et la charmeresse tradition.

Oh ! les arabesques que ses petits pieds écrivent sur l’onisque des dalles ! Oh ! la presque drôlerie religieuse de ses mains menues et lentes !

Oh tout !

Et puis voilà qu’au rhythme (je tiens aux deux h) de la musique, elle commence à se dévêtir.

Une à une, chaque pièce de son costume, agilement détachée, vole à l’entour.

Le rajah s’allume !

À chaque morceau de vêtement qui tombe, le rajah impatient, rauque, dit :

— Encore !

Et encore un morceau du vêtement de la petite bayadère tombe, et plus impatient, plus rauque, le rajah dit :

— Encore !

Maintenant, la voilà toute nue !

Son petit corps, jeune et frais, est un enchantement.

On ne saurait dire s’il est de bronze infiniment clair ou d’ivoire un peu rosé. Les deux peut-être ?

Le rajah s’est levé tout droit et a rugi, comme fou :

— Encore !

La pauvre petite bayadère tâtonne si elle n’aurait pas oublié, sur elle un insignifiant bout d’étoffe.

Mais non, elle est bien nue.

Le rajah jette à ses serviteurs un mauvais regard noir et rugit à nouveau :

— Encore !

Ils ont compris.

Les larges couteaux sortent des gaines.

Les serviteurs enlèvent, non sans dextérité, la peau de la jolie petite bayadère.

L’enfant supporte, avec un courage au-dessus de son âge, cette ridicule opération, et bientôt, elle apparaît au rajah, telle une écarlate pièce anatomique, pantelante et fumante.

Tout le monde se retire par discrétion.

Et le rajah ne s’embête plus.