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Maquillage (1881)
Rimes de joieGay et Doucé, éditeurs (p. 199-208).
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Maquillage



I




S achant mon dégoût libertin
Pour ce que le sang jeune éclaire
De son hématine, — un matin
Tu te maquillas, pour me plaire.


Tu connais le bizarre aimant
Et les attirances damnées
Qu’ont pour moi les choses fanées.
Troublantes désespérément :


Boutons d’un soir morts sur la tige,
Larmes des aubes sans lueurs,
Parfums éventés et tueurs
Sur lesquels mon ennui voltige.


De l’inflexible azur du ciel
Irrémédiable ennemie,
Mon âme, tu le sais, ma mie
N’aime que l’artificiel :


Strass dont la diva s’adonise,
Similor, fleurs de taffetas,
Soleils des gaz : astres en tas…
Rancœurs où mon spleen s’éternise !


Or sachant que mon être hait
La joie éclatante des roses
Et que la pâleur des chloroses
A seule pour lui quelque attrait,


Aux fards malsains que j’idolâtre
Livrant l’éclat de ton sang cher,
Sous la fleur morbide du plâtre
Tu voilas les lis de ta chair.


II



Au dehors sonnait la diane
Adorable des printemps fous
Acclamant les chauds rendez-vous
Des moineaux se cherchant chicane.


Le ciel ardait, immense et bleu,
Faisant détonner dans la chambre
Les grains de sa parure d’ambre
Aux aveuglants paillons de feu.


Énervé par cette débauche
De flammes, de rayons, de traits,
J’implorai l’ombre aux gais retraits
Où le rêve à l’esprit s’ébauche.


J’implorai l’ombre et son manteau
Dont s’emmitouflent toutes choses,
Lorsque soudain, sous tes doigts roses,
Se déplia l’épais rideau.


Une nuit factice et maîtresse,
Des clartés faisant ses sujets,
Estompant les bruyants objets,
Descendit comme une caresse.


Loin des tapages du soleil
Et de ses vulgaires orgies,
Tu fis aux pointes des bougies
Trembloter un follet vermeil.


Pour ordonner ton maquillage,
Eaux, fards, huiles, crèmes, — piment
Où ma faim trouve un aliment, —
Furent mis au galant pillage.


III



Debout, mi-nue, un poing niché
Dans ton chignon d’or qui déroule
Les tièdes parfums de sa houle,
Tu souriais à la psyché.


Sur le marbre de la toilette
Au sein des tubes élégants,
Chantait la gamme des onguents,
Sonorités de ta palette.


À fleur de peau ton sang courait,
Mais de la rose qui se fane,
Soudain au Cold’ cream diaphane
Ta chair prit le dolent attrait.


Lait d’iris, Blanc impératrice,
Crème Ninon, tous les blancs gras,
Sur ton front, ta gorge, tes bras,
Posèrent leur neigeux caprice.


La houppette, selon mes vœux,
Fit tomber la Poudre divine :
De diamant sur ta peau fine
Et d’or fauve dans tes cheveux.


La mignonne patte de lièvre,
Teinte de Rouge végétal,
Te donna l’éclat du métal,
Et les pivoines de la fièvre.


Sous l’œil le Noir indien frotté
Fit s’accroître et fuir ta prunelle,
Et l’Azurine mit en elle
L’auréole de volupté.


Un glacis léger. Bistre ou Sienne,
Bronza la frange de tes cils
Et tu bandas l’arc des sourcils
À la Poudre circassienne.


Le Carmin éveilla d’un ton
Le lobe nacré de l’oreille
Puis ta narine sans pareille
Et la fossette du menton.


Au milieu des Bleus de l’estompe,
Sur la tempe un discret pinceau
Vint emmêler le fin réseau
Des veinules où l’œil se trompe.


Ta nuque ronde se musqua
Des parfums où la chair se damne,
Ylang, New morn hay, Frangipane,
Stéphanotis et Champacca.


Sur ta bouche, fleur chatoyante
Dans ce bouquet vif et malsain,
Bientôt la Pommade Raisin
Étendit sa laque voyante.


Puis une mouche de velours,
Au coin de l’œil qui me calcine,
S’en vint se poser, assassine…
Et tu levas les rideaux lourds.


IV



Chassant à sa flamme incongrue
Le chœur des ombres, chœur charmant,
Dans la chambre aussitôt se rue !
Le soleil, despotiquement.


À sa lumière qui rehausse
Ton maquillage délicat,
Tu m’apparus dans tout l’éclat
De ta floraison de fleur fausse.


Belle de nouvelles beautés
Dont ta séduction se double
Tu sonnas, par mes sens en trouble,
Le hallali des voluptés.


Fou, je t’enlaçai : Sur ta tête,
Tombèrent mes baisers ardents.
Sur ton front, ta gorge, tes dents
Où ma lasciveté s’entête,


Sur tes yeux, fauves enchanteurs,
Sur ta narine à l’aîle folle,
Sur ta nuque havane où vole
Mon désir, parmi les senteurs.


Sur ton oreille, coquillage
Où glissent mes âpres aveux…
Et soudain mes baisers nerveux
Eurent lavé ton maquillage !


Vignette de fin de chapitre


V



Boudeuse, et les yeux querelleurs
Sous tes cheveux, lourde voilette,
Tu t’envolas vers la toilette
Afin d’aviver tes pâleurs.


Arrête ta main hasardée :
Laisse les pâtes, les onguents
Et les pastels extravagants…
Pourtant je t’adore fardée !


Mais ta palette est un appeau
Dont les couleurs sont trop fragiles.
Mon amour a les doigts agiles :
Qu’il soit le peintre de ta peau !


Bien plus que toi fertile en ruses,
Pour animer tes traits blafards
Il prendra mon désir pour fards
Et ton désespoir pour céruses.


Mes morsures sauront creuser
Dans ta chair des fossettes roses ;
Faisant fi des laques moroses
Viens t’empourprer à mon baiser.


Mes dents, en nos nuits de victoires,
Te mettront des grains de beauté,
Mes ongles, sans fatuité,
Vaudront bien des épilatoires.


Le souci te bleuira l’œil
Mieux que les crayons et les pierres,
Et nos veilles, à tes paupières,
Coudront le liseré de deuil…


Tes fards sont un vain barbouillage :
Il ne résiste pas au pleur.
Je veux que mon amour brûleur
Soit ton éternel maquillage !


Vignette de fin de chapitre