, Préfacier
Rimes de joieGay et Doucé, éditeurs (p. 175-178).

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Les Litanies de l’Absinthe




P hiltre charmant, ô toi que redoutent les mères
Et les amantes, philtre aux caresses amères,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Toi, le sûr guérisseur des douleurs anciennes,
Aux nuits d’antan fauché par les magiciennes,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Lorsque ton âme au fond de nos verres s’éveille,
C’est un chant de répit qui nous berce, ô merveille !

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Tu portes la couleur tendre de l’Espérance,
Glauque étendard flottant joyeux sur la souffrance,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Ta robe resplendit des feux de l’émeraude,
Elle est verte à l’égal des forêts où Juin rôde,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Quand par les cieux boudeurs toute flamme est éteinte,
La mer revêt parfois ta radieuse teinte,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


L’œil mystique des chats dans ses profondeurs cèle,
Parmi les sables d’or ta discrète étincelle,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Les femmes t’ont nommée « un poison »… Calomnie !
Par toi qui fut tué ? — Le Chagrin. — Sois bénie !

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


La lèvre aimée est fade auprès de ta salive
Quand se tord notre langue à ta morsure olive,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Dans ton sein introublé chantent à voix têtue,
Les soupirs, les sanglots et le remords qui tue,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Retombe sur mon cœur qu’étourdit ta fumée,
Douce comme une larme, ô boisson parfumée !

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Herbe qui fait pâlir la ciguë et l’oronge,
Unique espoir des cœurs qu’un secret chagrin ronge,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Or et billon de ceux dont l’âme est dépensée,
Lampe des forts cerveaux où roule la pensée,

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


Sœur du sombre café prometteur de nuits blanches,
Nerf du poète errant sous nos cieux, mornes planches !

Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !


ORAISON



Gloire et louange, à toi sur cette terre sombre,
Savoureux océan où toute rancœur sombre ! —
Si jamais, immortel endormeur des tourments,
Celle à qui j’appartiens, fausse à ses longs serments,
Reniait notre amour, méprisait notre joie,
Alors, breuvage ardent, viens réclamer ta proie :
Tout au fond de mon cœur à ta brûlure ouvert,
Je te voue un autel sans rival, — Poison vert ! —


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