Revue scientifique - Cataclysmes célestes - A propos de la nouvelle étoile du cygne

Revue scientifique - Cataclysmes célestes - A propos de la nouvelle étoile du cygne
Revue des Deux Mondes6e période, tome 59 (p. 425-436).




REVUE SCIENTIFIQUE




CATACLYSMES CÉLESTES


À PROPOS DE LA NOUVELLE ÉTOILE DU CYGNE






Il y a eu déjà cette année plusieurs de ces événements imprévus, plus ou moins déplorables, que les manchettes des grands journaux appellent des « cataclysmes, » des « catastrophes. » Il y a eu notamment plusieurs « capotages » d’automobiles contenant ou ne contenant pas quelqu’une des étoiles de nos spectacles ; il y a eu, en Pologne notamment, des chocs d’armées dont les vicissitudes ont été suivies avec angoisse par la plupart des imaginations. Il y a eu quelques autres événements du même genre. Pourtant, je crois que si on demandait à quelque habitant de Sirius quelle a été vraiment, cette année, la catastrophe la plus importante et la plus rare, il répondrait probablement, — supposé, avec M. Renan, que cet habitant ait la vue large et l’esprit philosophique, — que c’est l’apparition de l’étoile nouvelle qui, il y a peu de jours, s’est montrée soudain dans la constellation du Cygne à un endroit où auparavant il n’y avait rien,… du moins rien d’apparent.

L’histoire rapporte que de loin en loin déjà, on a constaté dans le passé des phénomènes de ce genre. Il y a une cinquantaine d’années encore, le public et les astronomes eux-mêmes ne regardaient jamais sans un profond étonnement la naissance soudaine et rare d’une étoile nouvelle qui semblait tout à coup jaillir comme du néant lui-même au fond du ciel obscur. Il semblait qu’on assistât vraiment à la formation de quelque chose à partir de rien.

C’est que les hommes ne sont pas habitués à voir la nature procéder avec cette brusquerie. Natura non facit saltus. Du moins on le croyait encore il y a peu, et depuis la plus haute antiquité. Et puis les étoiles qu’on appelle encore « fixes, » parce qu’elles sont à travers les brèves générations humaines comme des phares éternels, semblaient le symbole même de l’immobilité sereine, tant par leur position qui laisse intacte, des siècles durant, la forme des constellations que par leur éclat même, au premier abord invariable. C’est assez récemment que l’étude plus attentive du ciel, par les méthodes photométriques de l’astrophysique moderne, a montré qu’un grand nombre des étoiles soi-disant « fixes » varie plus ou moins d’éclat. Les unes diminuent lentement à travers les siècles, soit par l’effet d’un éloignement progressivement plus grand, soit parce que seulement elles s’obscurcissent et n’envoient plus à nos prunelles que « les restes d’une ardeur qui s’éteint. » D’autres au contraire augmentent progressivement d’éclat comme par l’action de je ne sais quelle force de jeunesse ardente qui les fait croître en vigueur rayonnante jusqu’au déclin, hélas ! inévitable.

D’autres encore, — et c’est le plus grand nombre des étoiles « variables, » — subissent, dans leur éclat apparent, des hauts et des bas, des oscillations, des fluctuations dont la durée et l’amplitude sont plus ou moins grandes, plus ou moins régulières aussi. Nous reviendrons quelque jour, ici, sur toutes les choses étonnantes qu’ont apprises aux astrophysiciens modernes l’étude aujourd’hui très raffinée des étoiles variables. Ce que nous avons voulu montrer seulement, c’est que l’esprit des astronomes est aujourd’hui plus préparé que jadis à ne plus s’étonner de l’apparition de quelque étoile nouvelle, de quelque Nova, comme on dit entre gens du métier. Car les astronomes sont, je crois, les seuls parmi les hommes de science qui aient gardé l’habitude, chère aux grands laborieux du moyen âge et de la Renaissance, de désigner en latin les objets de leurs études. Est-ce un bien, est-ce un mal ? C’est en tout cas fort commode et cela évite bien des ambiguïtés.

La plus anciennement signalée, — du moins celle qui a été la première observée scientifiquement, — des étoiles nouvelles semble avoir été celle que le célèbre astronome Hipparque découvrit dans l’été de l’année 134 avant notre ère dans la constellation du Scorpion.

Cette apparition extraordinaire décida le savant qui a mérité le titre de père de l’astronomie à faire le dénombrement des étoiles visibles, et fut l’origine du premier catalogue stellaire. Tel est du moins le récit de Pline, et, ne fût-ce qu’à cet égard, les Novæ ont donc été d’une grande utilité pour la science.

Il semble que le moyen âge ait observé deux ou trois fois des Novæ. Mais c’est la célèbre étoile nouvelle observée par Tycho-Brahé en 1572 qui fournit la première observation systématique, détaillée et précise d’un astre de ce genre. Voici d’ailleurs, d’après Humboldt, les passages les plus caractéristiques de la relation de Tycho au sujet de la Pèlerine (c’est ainsi qu’on appela cette étoile). Ils sont dignes d’être rapportés, car ils montrent avec quelle précision le célèbre astronome danois faisait ses observations photométriques, et nous font d’une manière claire le récit des vicissitudes habituelles de toutes les Novæ :

« Lorsqu’en 1572 je quittai l’Allemagne pour retourner dans les îles danoises, je m’arrêtai dans l’ancien cloître admirablement situé d’Herritzwaldt, appartenant à mon oncle Sténon Bill, et je pris l’habitude de rester dans mon laboratoire de chimie jusqu’à la nuit tombante.

« Un soir, le 11 novembre 1572, que je considérais comme à l’ordinaire la voûte céleste dont l’aspect m’est si familier, je vis avec un étonnement indicible, près du zénith, dans Cassiopée, une étoile radieuse d’une grandeur extraordinaire. Frappé de surprise, je ne savais si j’en devais croire mes yeux. Pour me convaincre qu’il n’y avait point d’illusion et pour recueillir le témoignage d’autres personnes, je fis sortir les ouvriers occupés dans mon laboratoire et je leur demandai, ainsi qu’à tous les passants, s’ils voyaient comme moi l’étoile qui venait d’apparaître tout à coup. J’appris plus tard qu’en Allemagne des voituriers et autres gens du peuple avaient prévenu les astronomes d’une grande apparition dans le ciel, ce qui a fourni l’occasion de renouveler les railleries accoutumées contre les hommes de science.

« L’étoile nouvelle était dépourvue de queue ; aucune nébulosité ne l’entourait[1]. Elle ressemblait de tous points aux autres étoiles ; seulement elle scintillait encore plus que les étoiles de première grandeur. Son éclat surpassait celui de Sirius, de la Lyre et de Jupiter ; on ne pouvait le comparer qu’à celui de Vénus quand elle est vue le plus près possible de la terre. Des personnes pourvues d’une bonne vue, pouvaient distinguer cette étoile pendant le jour, même en plein midi quand le ciel était pur. La nuit, par un ciel couvert, lorsque toutes les autres étoiles étaient voilées, l’étoile nouvelle resta plusieurs fois visible à travers des nuages assez épais. Les distances de cette étoile à d’autres (ζ, α, η, γ, δ, ε, τ, κ et β) de Cassiopée que je mesurai l’année suivante avec le plus grand soin m’ont convaincu de sa complète immobilité.

« À partir du mois de décembre 1572, son éclat commença à diminuer ; elle était alors égale à Jupiter ; mais en janvier 1573 elle était devenue moins brillante que lui. Voici le résultat de nos comparaisons photométriques : en février et mars, égalité des étoiles de premier ordre ; en avril et mai, éclat des étoiles de deuxième grandeur ; en juillet et août de troisième ; et en octobre de quatrième grandeur ; le passage de la cinquième à la sixième grandeur eut lieu de décembre 1573 à février 1574. Le mois suivant, l’étoile disparaissait sans laisser de trace à la simple vue, après avoir brillé pendant dix-sept mois. »

À cette relation Tycho ajoute des renseignements d’un haut intérêt au sujet des variations de la coloration de la Pèlerine.

Pour préciser ce qui précède et aussi ce qui va suivre, rappelons que ce qu’on appelle, en photométrie stellaire, la grandeur d’une étoile, est défini par ce fait qu’une étoile de grandeur donnée est à très peu près deux fois et demie plus brillante que l’étoile de grandeur immédiatement supérieure. Ainsi une étoile de première grandeur nous envoie deux fois et demie plus de lumière qu’une de deuxième. Le type des étoiles de première grandeur est Aldébaran, la principale étoile du Taureau. On a été, par suite de cette habitude traditionnelle et d’ailleurs mal commode, amené à envisager des « grandeurs » négatives pour les astres plus brillants que la première grandeur. C’est ainsi que la grandeur de Sirius est égale à — 1,38. Le soleil, au point de vue de son éclat, est assimilable à une étoile de grandeur — 26,5 environ, de vingt-sixième grandeur négative. Une étoile de première grandeur est donc cent fois plus brillante qu’une de sixième et le soleil est par conséquent d’un éclat apparent mille milliards de fois plus grand que celui d’une étoile de troisième grandeur.

Après Tycho, il n’est plus apparu d’étoile nouvelle brillante qui n’ait été observée.

C’est l’étoile nouvelle de Képler découverte en 1604 dans le Serpentaire et qui, quoique moins brillante que la Pèlerine, surpassait la première grandeur.

C’est l’étoile nouvelle découverte en 1600 dans le Cygne par le géographe Janson dont celui-ci ne donna pas l’éclat, mais que Képler en 1602 estima de troisième grandeur. Plusieurs fois de suite, elle cessa d’être visible à l’œil nu, puis réapparut jusqu’à ce que, en novembre 1665, Hévélius constate sa réapparition comme étoile de grandeur 3 à 4 et que, dans le courant de 1667, il la retrouve de cinquième grandeur, éclat qu’elle a conservé depuis. Ce cas d’une étoile nouvelle qui se transforme en étoile fixe est assez remarquable. Notons aussi qu’elle a été trouvée dans la constellation du Cygne comme celle qui nous occupe aujourd’hui.

La Nova découverte en 1670 dans la constellation du Petit Renard par le R. P. Anthelme, n’était que de troisième grandeur lors de la découverte ; après diverses fluctuations d’état et réapparitions, elle devient définitivement invisible deux ans plus tard.

Chose extraordinaire, on n’a pas découvert une seule étoile nouvelle dans tout le XVIIIe siècle. Ce fut pourtant, à ce qu’on assure, le siècle des lumières nouvelles. Il faut croire que le rayonnement de celles-ci n’avait rien de céleste.

Au XIXe siècle, il faut attendre jusqu’en 1848, année où dans Ophiuchus on découvre une Nova de sixième grandeur environ.

En 1866, dans la Couronne Boréale on découvre une Nova de deuxième grandeur. Puis on constate qu’à sa place il y avait déjà antérieurement une petite étoile de neuvième grandeur et demie, grandeur que l’étoile a retrouvée, et conservée depuis. Ceci est très intéressant au point de vue de l’origine de ces astres, de leur ontogénie, pour parler comme les physiologistes.

Passons sur diverses autres apparitions analogues, pour arriver à la curieuse Nova découverte dans le Cocher en 1892. Cette Nova Aurigae, — puisqu’il faut l’appeler par son nom, — est la première qui ait pu être étudiée soigneusement au spectroscope stellaire. C’est pourquoi elle fait date.

Depuis lors et jusqu’aux approches de la guerre mondiale, on a découvert dans les grands observatoires américains un certain nombre de Novæ d’éclat relativement faible, — de la huitième à la dixième grandeur, — simplement en examinant les plaques photographiques où sont pris en grand nombre les spectres des étoiles. Les Novæ sont en effet caractérisées comme nous verrons par un spectre particulier, et de là provient cette curieuse, et dès maintenant si fructueuse et si générale méthode de découverte.

La première Nova découverte visuellement au début du xxe siècle, en 1901, celle de Persée, a dépassé pendant quelques heures en éclat toutes les étoiles du ciel boréal. Elle est encore visible actuellement comme étoile de treizième ou quatorzième grandeur et on a retrouvé sa trace comme étoile de cet ordre de grandeur sur des clichés célestes datant de vingt ans avant la découverte. Sa couleur, sa luminosité, son spectre ont fait l’objet des travaux les plus remarquables. Mais le plus extraordinaire des phénomènes manifestés par cette étoile est celui-ci : En photographiant à diverses dates la région du ciel voisine de Nova Persœi, on a constaté, peu après l’apparition de cette étoile, que cette région contenait une nébuleuse brillante, et que, chose étonnante, cette nébuleuse paraissait s’éloigner de l’étoile concentriquement à celle-ci et avec une vitesse telle (étant donnée la parallaxe de l’étoile) qu’elle devait être voisine de la vitesse de la lumière, 300 000 kilomètres à la seconde.

Ce phénomène surprenant a donné lieu à des hypothèses variées. Certains ont pensé que la Nova se trouvait dans une région du ciel où flottaient des gaz nébulaires obscurs, comme ceux dont Bernard a découvert de vastes étendues en divers points du firmament. La lumière intense émise par la Nova lors de la sorte d’explosion qui lui a donné naissance se serait propagée de proche en proche à travers cette nébuleuse obscure, en rendant successivement visibles les diverses régions qu’elle rencontrait, de même que la lumière d’un projecteur balayant le ciel y fait apparaître successivement les divers nuages rencontrés par le faisceau lumineux.

On a aussi pensé qu’il pouvait s’agir des gaz incandescents projetés par la Nova au moment de sa formation explosive et qui auraient été lancés loin d’elle de manière à produire les apparences observées. Mais les plus grandes vitesses mesurées en astronomie ne dépassent guère mille kilomètres par seconde ; ce sont celles qu’on observe dans les nébuleuses spirales. Les vitesses constatées dans les explosions protubérantielles de l’atmosphère solaire sont encore inférieures à cela. Nous sommes loin de compte, bien que, malgré tout, les radiations cathodiques nous aient montré la possibilité d’émissions matérielles dont la vitesse approche de celle de la lumière.

Nous avons proposé nous-même, à l’époque, d’expliquer les apparences extraordinaires constatées autour de la Nova de Persée par les ondes hertziennes intenses que les décharges électriques de l’atmosphère de la Nova ont dû produire, comme font les décharges électriques de nos petits orages terrestres. Ces ondes se propagent, on le sait, avec la vitesse de la lumière, et comme elles ont la propriété d’illuminer les gaz raréfiés, il est naturel qu’elles aient rendu incandescents, au fur et à mesure de leur propagation, les gaz nébulaires divaguant autour de la Nova.

Cette explication d’ailleurs n’est pas plus démontrée que les précédentes et, comme elles, elle soulève diverses objections. Adhuc sub judice lis est.

Passons rapidement sur la Nova découverte dans la constellation de l’Aigle en 1918 et dont l’éclat maximum dépassa la première grandeur et arrivons maintenant à la reine du jour, à l’étoile qui vient d’être découverte dans la constellation du Cygne.

La Nova Cygni 1920, ainsi qu’elle est dès maintenant baptisée sur les registres d’état civil des astronomes, a été découverte vers le 20 août dans la région boréale de la constellation. Comme il arrive toujours en pareil cas, un grand nombre d’astronomes, et même de non astronomes, revendiquent l’honneur de l’avoir aperçue d’abord. La question de priorité n’étant pas encore résolue, — c’est un peu ici comme pour la première bataille de la Marne dont l’initiative victorieuse voit son attribution encore contestée, — nous ne prononcerons aucun nom. D’ailleurs, j’avouerai que le mérite de la découverte d’une étoile nouvelle ne me paraît pas de ceux qui valent d’être chantés : il n’implique aucun effort intellectuel, aucune recherche systématique de la pensée vers l’inconnu, mais seulement l’habitude d’observer les constellations familières, la faculté d’y remarquer un objet insolite et aussi un temps favorable et sans nuage. C’est une question de temps et de lieu non moins que d’attention individuelle.

Lors de sa découverte, l’étoile était de troisième grandeur et demie environ, puis elle augmenta d’éclat quelques jours (sans qu’il paraisse, qu’elle ait au moment du maximum dépassé la deuxième grandeur), et ensuite elle a commencé à s’éteindre.

Des mesures que nous avons faites à l’observatoire de Paris, il résulte que la Nova était le 26 août au soir de grandeur égale à 2,29 et que trois jours après, elle n’était plus que de grandeur 4,00. Dans ces trois jours, l’éclat apparent de l’étoile a donc été réduit à peu près un cinquième de sa valeur (exactement 1/4,8). Si la diminution d’éclat continue avec cette rapidité et sans autres fluctuations, il est évident que la Nova aura bientôt cessé d’être observable.

D’autres observations de la Nova Cygni, d’une nature plus délicate, ont été faites à l’heure où nous écrivons ces lignes, elles ont été communiquées à l’Académie des Sciences à une de ses dernières séances et elles nous apportent des renseignements suggestifs sur la nature exacte des phénomènes dont est le siège cette étoile.

Tout d’abord, M. Deslandres a rendu compte des observations speclroscopiques faites sous sa direction à l’observatoire de Meudon. Ces observations ont révélé que l’étoile présente le spectre habituel des Novæ. Ce spectre est très particulier : il est caractérisé au début par un fond continu assez faible, présentant la gamme habituelle des couleurs de l’arc-en-ciel et sur lequel apparaissent des raies brillantes peu nombreuses et très larges qui sont dues surtout à l’hydrogène, au calcium et à quelques autres métaux. Ces raies sont tout à fait analogues à celles qui caractérisent les couches basses de l’atmosphère du soleil. Mais, — et ceci est moins banal, — à ces raies brillantes sont juxtaposées, toujours du côté violet du spectre, des raies obscures très larges.

Or, la longueur d’onde d’une raie spectrale, c’est-à-dire sa position par rapport aux extrémités violette et rouge du spectre, dépend, on le sait, de la vitesse de la source lumineuse. C’est le principe de Doppler-Fizeau si fécond en astronomie physique. Rappelons en deux mots de quoi il s’agit. Si on est sur le quai d’une gare et qu’un rapide arrivant à toute vitesse traverse cette gare sans que sa locomotive cesse de siffler, on remarquera ceci : le son du sifflet de la locomotive qui était relativement aigu tant que celle-ci approchait, change brusquement de tonalité et devient beaucoup plus grave dès qu’elle nous a dépassé et s’éloigne de nous. La cause en est simple : la hauteur d’un son dépend de la longueur des ondes sonores, les ondes émises par une contrebasse sont beaucoup plus longues que celles d’un violon ; celles d’un cornet à piston, que celles d’un trombone. Un sifflet de locomotive émet des ondes sonores d’une longueur donnée ; mais s’il arrive que la locomotive se rapproche de nous très vite, en même temps que les ondes sonores qu’elle nous envoie, la longueur de ces ondes sera diminuée d’autant, puisque la vitesse de la locomotive les poursuit en quelque sorte, les comprime, les presse vers nous. Si au contraire la locomotive s’éloigne de nous, les ondes sonores qui nous viennent de son sifflet seront un peu plus étalées, car la vitesse de la locomotive s’éloigne d’elles et tend à les dilater, à les allonger.

Eh bien ! ce qui a lieu pour les ondes sonores a lieu aussi pour les ondes lumineuses. C’est ainsi que les raies qui, dans le spectre lumineux, caractérisent un corps donné, l’hydrogène par exemple, sont un peu déplacées vers le violet (ondes lumineuses plus courtes) ou vers le rouge (ondes plus longues) selon que la source de lumière se rapproche ou s’éloigne de nous. Grâce à cela, le spectroscope permet de mesurer avec précision la quantité dont un corps céleste se rapproche ou s’éloigne de nous, sa vitesse de rapprochement ou d’éloignement, sa vitesse radiale, comme on dit.

En appliquant, il y a quelques jours, cette méthode à Nova Cygni, on a donc constaté que cette étoile, comme les Novæ précédentes, présente des raies d’absorption fortement déplacées, — décalées, comme nous disons, — vers le violet. Cela signifie, — si aucune autre cause de décalage n’intervient, — que l’étoile projette dans notre direction des masses gazeuses abondantes animées de grandes vitesses. Pourquoi les voyons-nous projetées dans notre direction ? C’est que les gaz projetés par l’hémisphère de l’étoile qui nous est opposé ne sont pas accessibles à nos spectroscopes.

Quoi qu’il en soit, d’après les constatations apportées à l’Académie des Sciences, la Nova projetterait en abondance des gaz animés de vitesses voisines de 1 000 kilomètres par seconde. On y relève aussi des gaz animés de vitesses moindres, comme si, déjà éloignés de l’étoile par les forces explosives qui les ont projetés, leur vitesse s’était peu à peu amortie. En outre, M. Deslandres a signalé qu’on commence dès maintenant à apercevoir dans le spectre de la Nova les raies caractéristiques des nébuleuses.

C’est en effet une règle générale et toujours vérifiée, depuis que le spectroscope est appliqué aux étoiles nouvelles, que peu à peu, et à mesure que ces astres s’éteignent, leur spectre change de caractère et toujours de la même manière. Le fond du spectre s’affaiblit peu à peu, les raies brillantes se dessinent davantage et on voit apparaître les radiations qui caractérisent les nébuleuses. À la fin, seules ces dernières radiations subsistent. Il semble d’ailleurs réellement que les Novæ finissent en quelque manière par se transformer en nébuleuses. Il y a là une évolution exactement contraire à celle des théories cosmogoniques qui, comme celle de Laplace, font, à l’opposé, sortir les étoiles des nébuleuses, et ce n’est pas là le moindre des phénomènes paradoxaux que l’étude des étoiles nouvelles a manifestés. Quoi qu’il en soit, on trouve souvent la Nova, après son extinction, remplacée par une petite nébuleuse ronde à diamètre apparent notable. Tel fut le cas notamment pour Nova Aurigae de 1892, Nova Sagittarii de 1858, Nova Geminorum no 1 de 1913.

Mais la question que nous avons déjà effleurée à propos de l’étrange phénomène constaté dans Nova Persœi doit de nouveau se poser ici. S’il est vrai que les étoiles nouvelles finissent par être remplacées par des nébuleuses, cela veut-il dire que celles-là ont vraiment donné naissance à celles-ci ? Cela ne veut-il pas dire plutôt, et seulement, que les Novæ, par un mécanisme encore mal élucidé, rendent simplement visible une nébuleuse qui préexistait déjà sans être lumineuse ?

On discute beaucoup sur ces problèmes, et il faut avouer qu’ils ne sont pas près d’être résolus.

Et maintenant une question se pose qui domine tout, ici, comme ailleurs. Pourquoi ? Quelle est la cause, quelle est l’origine, quel est le mécanisme de cet incendie soudain qui, au fond du firmament, allume parfois le phare gigantesque et fugace d’une Nova ?

Des hypothèses nombreuses ont été émises pour expliquer le phénomène. Nous n’en retiendrons que les plus plausibles, celles qu’ont laissées à peu près intactes tous les faits récents relatifs aux Novæ qu’ont apportés les méthodes modernes de l’astrophysique.

Une théorie qui a eu longtemps la faveur des hommes de science et à laquelle Arrhénius a, récemment encore, donné son adhésion fortement motivée, est celle dont le principal protagoniste fut Vogel. D’après cette théorie, les Novæ seraient causées par la rencontre de deux étoiles obscures et éteintes, comme on sait, — notamment par l’étude des étoiles variables, — qu’il y en a un grand nombre dans le ciel. Il est d’ailleurs difficile d’appliquer les données du calcul des probabilités à la détermination des chances pour que deux étoiles se rencontrent, précisément parce que nous ignorons l’importance numérique relative des étoiles brillantes et des étoiles éteintes.

Cette théorie qui a été longtemps en faveur paraît définitivement devoir être abandonnée à la suite des observations de Nova Cygni que nous avons faites personnellement à l’Observatoire de Paris il y a peu de jours et dont il a été rendu compte à l’Académie des Sciences.

Mesurant à diverses reprises la température effective de la Nova (au moyen d’un appareil, le photomètre stellaire hétérochrome, qui permet de déduire cette température de la répartition de l’intensité dans le spectre de l’étoile) nous avons constaté que cette température n’était que peu supérieure à celle du soleil. Or, le calcul montre que, si l’apparition de la Nova était causée par la rencontre de deux astres obscurs, la température superficielle engendrée par le choc devrait dépasser énormément même celle des étoiles les plus chaudes, des étoiles à hydrogène et des étoiles à hélium. Or nous avons trouvé, pour ces étoiles les plus chaudes, des températures effectives supérieures à 15 000 degrés. Au contraire, mesurant la température effective de la Nova Cygni, nous avons trouvé, dans la nuit du 27 au 28 août, que cette température était d’environ 6 100°, à peine supérieure à celle du soleil, et dans la nuit du 29 au 30 avril, nous l’avons trouvée égale à 7 800°, c’est-à-dire encore relativement faible et voisine de celle des étoiles du type Polaire.

Ces chiflres paraissent inconciliables avec la théorie des Novæ qui attribue celles-ci à la rencontre de deux astres.

Mais des nombres précédents une autre remarque encore se dégage. Le jour où nous avons trouvé la température effective de la Nova égale à 7 800°, l’étoile était d’une demi-grandeur, c’est-à-dire très notablement moins brillante que le jour où nous avons trouvé cette température égale à 6 100°. A priori, on aurait pu s’attendre au contraire, étant donné que généralement une augmentation de température d’un corps incandescent s’accompagne d’une augmentation de son éclat.

Dans le cas de la Nova, tout semble jusqu’ici s’être passé comme si quelque chose avait progressivement absorbé davantage les rayons lumineux, à mesure qu’ils devenaient plus intenses. C’est ce qui serait arrivé, par exemple, si l’étoile à mesure qu’elle s’échauffait s’était entourée d’une atmosphère de plus en plus épaisse et absorbante.

Or il est précisément une théorie des Novæ qui semble cadrer assez bien avec les faits et l’interprétation précédente. Cette théorie a été émise par Huggins et perfectionnée par M. Deslandres. D’après elle, ce serait non pas le choc, mais le simple rapprochement de deux astres éteints qui causerait les Novæ. Ce rapprochement doit engendrer, en effet, des marées gigantesques de la masse interne ignée et fluide des deux astres. Il doit s’ensuivre de véritables et violentes éruptions de cette masse ignée et des gaz incandescents qui l’accompagnent (comme dans nos éruptions volcaniques), et cela avec véritable dislocation de l’écorce refroidie qui recouvrait cette masse interne. On s’expliquerait très bien de cette manière, d’une part, que des masses gazeuses soient projetées avec violence du sein de l’étoile, comme l’indique le spectroscope, d’autre part, que l’étoile s’entoure ainsi, à mesure qu’elle devient superficiellement plus chaude, d’une atmosphère de plus en plus absorbante.

À côté de ces théories, il en est deux autres encore qui sont, elles aussi, séduisantes. D’après l’une d’elles, qui est due à Seeliger, la Nova se produirait, lorsqu’une étoile obscure rencontre une masse obscure de gaz nébulaire comme il y en a, de place en place, dans le ciel. Le frottement dû à cette rencontre rendrait incandescente la surface de l’astre éteint, de même que les pierres du ciel lorsque, dans leur course errante, elles rencontrent à toute vitesse l’atmosphère supérieure raréfiée de la terre s’y échauffent à tel point par leur frottement contre l’air, qu’elles deviennent incandescentes en formant les étoiles filantes.

Toutes ces théories de chocs et de rapprochements d’astres ont ceci de commun qu’elles expliquent bien pourquoi, — ainsi qu’on l’a constaté, — les Novæ apparaissent le plus souvent dans le plan de la Voie Lactée, là où la matière sidérale est la plus abondante.

Il est enfin une théorie récente des Novæ qui aura peut-être un jour une brillante fortune, mais qu’on ne saurait encore discuter, faute de bases précises d’appréciation : c’est que les Novæ seraient causées par l’explosion soudaine de l’énergie intra-atomique qui, sous des influences cosmiques mal précisées, se libérerait dans les astres à un moment donné. Ici nous nageons dans l’hypothèse la moins facilement contrôlable et la plus vague.

On le voit, les explications de l’incendie gigantesque des étoiles nouvelles ne manquent pas. Ce qui est un peu mélancolique, c’est que, quand pour élucider un phénomène, nous avons péniblement édifié cent explications compliquées, il n’en est qu’une qui soit vraie : la cent et unième.

Charles Nordmann.
  1. Par là Tycho veut expliquer qu’elle n’a rien d’une comète ou de tout autre astre analogue.